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Monde

États-Unis : ces Américains musulmans qui se mobilisent pour le droit à l’avortement

Rédigé par Lionel Lemonier | Mardi 28 Juin 2022 à 11:30

           

La décision historique de la Cour suprême des États-Unis de révoquer le droit à l’avortement a provoqué de nombreuses manifestations au cours du week-end des 25 et 26 juin. Quelle place ont les musulmans dans ce débat très sensible ? Tandis qu'une étude met en exergue l'opinion de cette frange de la population américaine sur le sujet, une organisation musulmane fait valoir sa voix sur le droit à l’avortement.



© Deposit Photos
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La décision prise vendredi 24 juin par la Cour suprême a fait l’effet d’une bombe à travers les Etats-Unis. Majoritairement constituée de juges très conservateurs dont trois ont été nommés au cours du mandat de Donald Trump, la plus haute juridiction américaine a enterré l’arrêt qui garantissait le droit des Américaines à avorter depuis près d’un demi-siècle. Cette décision ne rend pas les interruptions de grossesses illégales, mais renvoie la fédération des Etats-Unis d'Amérique à la situation en vigueur avant l’arrêt emblématique Roe v. Wade de 1973 lorsque chaque Etat était libre d'autoriser ou d'interdire l'IVG.

Les Etats gouvernés par les Républicains les plus conservateurs n’ont ainsi pas tardé à rendre tout avortement illégal. En quelques heures, pas moins de sept Etats ont criminalisé l'IVG sur leur sol. Pour l’institut Guttmacher, un centre de recherche militant pour l’accès à la contraception et à l’avortement dans le monde, la moitié des Etats américains devraient interdire l’IVG à plus ou moins court terme.

Cette décision a provoqué une vague d’indignation à travers le pays et le monde. Des manifestations spontanées se sont déroulées dans plusieurs Etats, donnant lieu parfois à des actes de violences comme à Cedar Rapids, dans l’Iowa, où une camionnette a foncé dans un groupe de manifestantes, blessant une femme, selon les médias locaux.

Qu'en disent les Américains musulmans ?

A Washington, des milliers de personnes se sont rassemblées samedi 25 juin devant la Cour suprême, tandis que le président Joe Biden dénonçait « une erreur tragique » qui « met la santé et la vie de femmes en danger » et appelait les Américaines à défendre le droit à l’avortement lors des élections de mi-mandat en novembre prochain. « Aujourd'hui, la Cour suprême a non seulement renversé près de 50 ans de précédent historique, elle laisse également au bon vouloir des politiciens et idéologues la décision la plus personnelle qui soit », a fustigé son prédécesseur démocrate, Barack Obama, tandis que son épouse Michèle Obama a encouragé tous ceux et celles qui ne se reconnaissent pas dans cette décision à s’investir dans les organisations de défense de l’IVG.

La décision de la Cour suprême ne heurte pas seulement les défenseurs du droit à disposer de son corps, elle semble ne pas correspondre au point de vue d’une majorité d’Américains, y compris ceux qui ont une sensibilité religieuse. L'Institut pour la politique et la compréhension sociales (ISPU) a ainsi révélé en mai dernier les résultats d’une enquête sur l’opinion des musulmans vis-à-vis du droit à l’avortement, de même que celui des juifs, des catholiques et d'autres groupes religieux américains.

Les résultats peuvent paraitre surprenants avec l'image que le grand public peut se faire des adeptes de l'islam. En effet, 56 % des musulmans estiment que l’avortement devrait être légal : 25 % en toutes circonstances et 32% dans la plupart des cas. Chez les catholiques, 55 % partagent cette opinion, à raison respectivement de 17 % et 39 %. Parmi les juifs, 75 % défendent l’IVG (37 % et 38 %). Enfin, chez les personnes sans affiliation religieuse, 85 % défendent la légalité de l’avortement (47 % et 38 %).

Le droit à l’avortement n’est pas une « affaire de femmes »

A l’inverse, la majorité des protestants (54 %) estiment que l’avortement devrait être illégal dans tous les cas (20 %) ou pour la grande partie d’entre eux (35 %). Sans parler des évangélistes dont 80 % défendent l’illégalité, à hauteur respectivement de 37 % et 43 %. Seule une minorité de musulmans (16 %), de catholiques (11 %), de juifs (8 %) et de non-affiliés (3 %) défend l’illégalité de l’IVG dans tous les cas.

Au sein des communautés musulmanes américaines, les hommes défendent à part presque égale avec les femmes l’idée que l’IVG doit être légale : c’est le cas de 53 % des hommes pour 61 % des femmes. Des résultats qui doivent conforter les adhérents de de l'Association américano-musulmane du barreau (AMBA), une organisation qui rassemble des avocats et des étudiants en droit musulmans dont l’objet est de combattre les injustices aux Etats-Unis. S’agissant de l’IVG, ils défendent le principe islamique de la « rahma », la compassion en arabe.

En ce sens, un appel pour la justice reproductive a été lancé dès avril. « En tant qu'Américains musulmans et membres d’une minorité religieuse, nous sommes particulièrement bien placés pour condamner les interdictions d’avorter et les attaques envers les droits constitutionnels en matière de liberté religieuse, indiquent les rédacteurs de l’appel. Surtout si cette liberté est elle-même protégée des tentatives de certains d’imposer leur vision religieuse à l’exclusion de toutes les autres. Concrètement ici, il s’agit de la vision d’une portion étroite de la population blanche, chrétienne, dotée d’un point de vue patriarcal en total contradiction avec le nôtre. »

Les femmes, les seules « expertes » de leurs vécus

L'AMBA rappelle aussi que « les musulmans ne sont pas un groupe monolithique » doté d'une autorité « reflétant le système papal dans le catholicisme » et d'une vision « uniforme » sur les sujets touchant à la procréation et, en conséquence, à l'avortement. En effet, selon les courants et les écoles juridiques, les avis divergent et divisent les communautés.

L'organisation estime, pour sa part, que « les musulmanes enceintes, comme les autres femmes, sont les seules expertes de leur propre vie et de leurs vécus. Une IVG est une décision compliquée et nuancée, qui a des implications à plusieurs niveaux. Cette décision leur appartient en lien avec leur conscience individuelle. Si elles choisissent l’avortement, cette décision peut être prise en commun avec d’autres personnes, y compris leur guide spirituel ».

« En promouvant un point de vue religieux particulier et en privant les femmes enceintes du droit de diriger leur vie selon leurs vécus uniques, leurs traditions religieuses et leurs croyances, nous pensons que les États promulguant des interdictions de l'IVG constituent une menace pour la liberté religieuse et violent la Constitution américaine et les constitutions des États concernés qui consacrent le même principe. »

Lire aussi :
États-Unis : des leaders religieux unissent leurs voix pour défendre le droit à l'avortement




Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par Joseph le 01/07/2022 17:12 | Alerter
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L'avortement, le tabou.

L’arrêt de la Cour Suprême des États-Unis d’Amérique qui étendait le droit d’accès à l’avortement à toute la fédération n’est plus. Il a été révoqué par cette même juridiction.

Cette nouvelle décision de la Cour Suprême doit être considérée pour ce qu’elle est : la renonciation des juges à écrire eux-mêmes la loi. Ils sont en effet sensés seulement lire celle-ci pour permettre son application. Rendre aux parlements élus de chaque état fédéral le pouvoir de légiférer par eux-mêmes est plus démocratique que d’imposer, via une jurisprudence fédérale, une décision sans que le législateur en soit le décideur.
La Cour Suprême des USA applique, désormais, le principe de la séparation des pouvoirs : le juge n'a pas à faire la loi, il doit l'appliquer et si besoin l'interpréter. C'est aux élus dans chaque État de faire la loi. Au cas particulier de légiférer sur le droit de l'avortement.

L'avortement n'est pas un tabou, on peut en discuter. Grâce à l'arrêt de la Cour Suprême les élus américains pourront en discuter. C'est la moindre des choses dans une démocratie.

En France le droit de l 'avortement est un tabou, à tel point que l 'on veut le constitutionnaliser pour ne plus avoir à en discuter. Un tabou protégé par la loi constitutionnelle, cela devient un « super-tabou ». C'est un recul pour la démocratie.
Cela est la conséquence du formatage quasi totalitaire des esprits depuis des décennies. Des esprits à qui on a fait oublier que la loi Veil dépénalisait l’av...  


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