Points de vue

Et s'il y avait l’union sacrée contre l’islamophobie

Rédigé par Elmahdi ALLOUCHI | Jeudi 9 Mars 2006 à 00:00

L’intérêt de mettre en place des lois spécifiques, c’est qu’elles rendent les choses bien claires pour ceux qui sont chargés de les interpréter; l’inconvénient, c’est que naturellement dans un souci d’égalité, chaque composante spécifique de la société peut légitimement demander à légiférer pour elle, chose que l’on peut aisément comprendre, sinon; on peut s'interroger sur la place et le sens de l' « égalité » au bon milieu de notre devise nationale.



Voilà une attitude courageuse qu’il faut saluer des deux mains : une mobilisation nationale de solidarité pour dénoncer la mort atroce de Ilan Halimi, 23 ans, tué probablement parce qu’il était de confession juive, chose que les juges chargés d’instruire l’affaire ont en tout cas retenue dans les qualificatifs des faits rendus public, à savoir : "enlèvement, séquestration, association de malfaiteurs, meurtre avec préméditation commis en raison de l'appartenance de la victime à une religion déterminée".

Il faut condamner les gangsters


Cette tragédie est à mettre avant tout sur la responsabilité d’une politique policière répressive qui a mis dans son collimateur les jeunes des banlieues en révolte contre la précarisation de leur situation et les automobilistes des quartiers pauvres harcelés par des contrôles à répétition des patrouilles qui se dressent à tout coin de rue à défaut de parler carrément de quartiers assiégés.
Les contrôles se terminent souvent par des « PV », pour un petit rien du tout et la spoliation progressive des permis de conduire ou plutôt de ce qu’il en reste comme points, en laissant la grande voyeurisme et les maîtres chanteurs sévir royalement dans la cité.

Ilan Halimi a été séquestré pendant quatre semaines et la police passe de raté en raté [1], les enquêteurs ayant repéré le cybercafé d’où les ravisseurs communiquaient par email avec les parents de la victime et aussitôt des caméras y sont installées, car si les policiers ont procédé à cette surveillance. Ils étaient persuadés que les ravisseurs pourraient revenir à l’endroit. Effectivement, ils n’avaient pas tort, sauf que l’internaute gangster a pris cette fois-ci le soin de prendre place devant le poste de l’ordinateur en se couvrant d’une capuche et d’une écharpe.
Or devant l’anticipation des enquêteurs et le risque encouru par la victime au regard du montant exorbitant de la rançon demandée (450.000€), il était judicieux de mettre des agents de police prêts à intervenir dans la boutique au moindre alerte du courriel, ou du moins, solliciter la coopération active du personnel de cette boutique en ce sens; sans cette lourde faute, Ilan ne serait probablement pas mort.

La hiérarchie des racismes


La tragique issue de ce jeune homme aussi sévèrement condamnable soit-elle, ne doit pas nous faire oublier une autre réalité toute aussi traumatisante, c’est l’acharnement hystérique d’une petite minorité de soit-disant intellectuels et hommes politiques, qui n’a d’intelligence que la haine et le délire, avec la complicité de certaines médias, qui ouvrent de larges espaces à l’expression des ordures à merveille tantôt sur l’islam en tant que religion à partir des clichés, tantôt sur les musulmans ou de ceux qui les représentent.

Si les musulmans de France ne sont pas insensibles à la multiplication des unions sacrées qui se forment pour contrer des fléaux touchant certaines minorités confessionnelles, sociales et ethniques de ce pays comme l’antisémitisme, l’homophonie, le révisionnisme où le négationisme, ils s’interrogent cependant sur les moyens mis en place par les pouvoirs publics pour lutter contre le racisme spécifique qui les touche, c’est à dire : l’islamophobie. En cela ils partent du principe que tous les racismes sont à combattre avec la même vigueur et la même détermination.

Or aujourd’hui, si l’on peut se réjouir que des fléaux touchant spécifiquement une catégorie de nos concitoyens sont bien combattus aussi bien par la force des lois que celle de l’opinion, il est cependant révoltant de constater que d’autres catégories de citoyens de ce pays subissent la provocation, l’humiliation, l’insulte, l’agression, voire plus grave encore, du fait de leurs origines ethniques et confessionnelle; sous le regard complice de notre conscience politique nationale.

Si aucune charge ne pèse sur les auteurs des faits islamophobes, lorsque l’affaire est portée sur le terrain juridique, c’est que la faute revient au législateur qui trouve que certains racismes comme l’islamophobie ne valent pas la peine d’une reconnaissance par une loi spécifique, alors que parallèlement, sous la pression du pouvoir et de la classe politique dirigeante, exercée par l’entremise du représentant du ministère public, qui rappelons-le, requiert sur les mêmes mètres carrés de parquets que les juges chargés de dire le droit, l’appartenance religieuse ou sociale de certaines victimes est non seulement retenue, mais elle constitue une circonstance aggravante, ce qui se traduit souvent par des peines sévères pour les auteurs des faits effectivement avérés.

Deux solutions


L’intérêt de mettre en place des lois spécifiques, c’est qu’elles rendent les choses bien claires pour ceux qui sont chargés de les interpréter; l’inconvénient, c’est que naturellement dans un souci d’égalité, chaque composante spécifique de la société peut légitimement demander à légiférer pour elle, chose que l’on peut aisément comprendre, sinon; on peut s'interroger sur la place et le sens de l' « égalité » au bon milieu de notre devise nationale.

Pour éviter cette double pondération des mesures qui placent certains justiciables au dessus de la loi et d’autres en dessous de la loi, deux solutions s’imposent :

- Tout aligner par le bas: cela suppose de supprimer toutes les lois spécifiques et d’en garder que la loi générale sur le racisme, les discriminations raciales et autres xénophobies.
- Soit aligner le tout par le haut : Dans ce cas, à chaque racisme spécifique, législation spécifique.

En ce qui nous concerne, en tant que musulmans, et devant la recrudescence des propos et de faits à caractère islamophobe, demander à supprimer ceux que d’autres composantes considèrent comme sacré, acquis souvent après des combats de longue haleine, c’est s’engager sans intérêt sur un autre front dont l’issue est plus qu’incertaine, mais qui nous ferra, à coup sûr, perdre le combat engagé contre l’islamophobie.

Les islamophobes sont là


Dans un soucis de lutter contre l’amnésie et autres mémoires courtes, souvenons-nous des propos suivants (la liste n’est pas exhaustive), et pesons la teneur de la haine qu’ils renferment :

- « Le problème est que la plupart de ces jeunes [émeutiers]sont noirs ou arabes et s’identifient à l’Islam.» Alain Finkielkraut dans Haaretz, 18 novembre 2005.

- « l'islam est le terreau de l'islamisme et l'islamisme le terreau du terrorisme». Philippe de Villiers sur TF1, le 16 juillet 2005.

« il aura rendu sa puissance au Catholicisme, sa grandeur à l’Œcuménisme, et su affronter à travers un dialogue incessant les défis de l’Islam, de l’Intégrisme, du Nationalisme.» Jean-Claude Gaudin sur le site Internet de la mairie de Marseille en parlant du pape, le 2 avril 2005.

- « Certains journalistes français issus de l'immigration maghrébine sont confrontés à la discrimination, sans doute parce qu'ils sont proches des tendances islamistes. » Blandine Kriegel à l’Elysée, le 18 mars 2004

- « Je suis un peu islamophobe, ça ne me gêne pas de le dire, j'ai le droit de penser que l'Islam, je dis bien l'Islam, je ne parle même pas des islamistes, apporte une certaine débilité qui en effet me rend islamophobe» Claude Imbert sur LCI, le 24 octobre 2002

- « La religion la plus con, c'est quand même l'Islam » Michel Houellbecq dans le mensuel LIRE en 2001.

- « Deux millions de musulmans en France, ce sont deux millions d'intégristes potentiels. » Pierre-André Taguieff sur France inter en 1997.

Pour mémoire, Madame Blandine Kriegel et Monsieur Claude Imbert sont des membres du Haut conseil de l'intégration (HCI). Or par leurs déclarations ils ont fait de cette institution un HCI du genre : Haut Centre d’Islamopphobie .

A ces agissements, qu’est-il arrivé à ces islamophobes ? Ont-ils été inquiétés par la justice ? Pas vraiment, car la législation actuelle permet à tout un chacun, y compris pour les chiens galeux de s’en donner à cœur joie en déversant de la haine de manière brutale ou insidieuse sur l’islam et les musulmans sans se faire véritablement de soucis.

Publiés par une brochette de quotidiens et de magazines de la presse, les dessins immondes représentant insidieusement le Prophète de l’islam comme étant un terroriste, a poussé les organisations musulmanes du CFCM et le MRAP dont il faut saluer le courage de porter l’affaire devant les tribunaux. Mais une fois de plus, le défaut d’une loi spécifique réprimant l’islamophobie risque de plonger les juges dans d’un tas de textes sur le racisme dont l’interprétation prête allègrement à confusion quand le caractère religieux s’en est imprégné, et l’issue de l’affaire demeure plus que jamais aléatoire d’une juridiction à l’autre.

Une pétition contre l'islamophobie


Au delà de l’aspect juridique, quel soutien politique les victimes de l’islamophobie ont-elles reçus? Aucun ou presque, c’est devenu chose banal que des propos et des attitudes islamophobes ne suscitent aucune condamnation politique, y compris chez les populations des cimetières qui se croient toujours indispensables, d’autant que la très controversée loi antivoile, orchestrée et votée pour mémoire, par une majorité des députés de la droite parlementaire et activement soutenue par une partie de la gauche dans une ambiance tambour battant d’union sacrée pour l’islamophobie, est une loi qui a été servie par le folklore politique (couscous merguez du SOS NINI inclus), sur un plateau médiatique à une opinion qui n’en a pas demandée.

La loi a largement contribué à la montée de l’islamophobie par amalgame, car, en élargissant la neutralité religieuse appliquée jusqu’ici aux enseignants [2] aux élèves, elle a introduit une superbe confusion dans la tête de pas mal de fonctionnaires, cela va des enseignants qui demandent aux femmes parents d’élèves assimilées à tort à des agents administratifs de l’éducation nationale d’ôter « ce qu’elles ont sur la tête » lorsqu’elles accompagnent leurs enfants lors des sorties scolaires, aux maires qui s’opposent à la célébration de mariages, aux officiers d’état civil qui empêchent manu militari des proches d’assister au mariage d’un des leurs, jusqu’aux employés de certaines préfectures, commissariat refoulant des usagers …et j’en passe. Toutes ces victimes ont étrangement le tort d’avoir une conviction religieuse, qui leur cause tant de préjudices. (ah j’ai failli oublier les propos du député maire UMP, Monsieur Grosdidier qui déclare à l’Assemblée : qu’un mariage sur deux dans sa commune résonne des youyous).
Loin d’être anecdotique, ces cas se banalisent hélas un peu ça et là et créent des situations relevant de « fait accompli ».

Si Le Robert définit « L'islamophobie », comme étant «une forme particulière de racisme dirigé contre l'islam et les musulmans, qui se manifeste en France par des actes de malveillance et une discrimination ethnique contre les immigrés maghrébins», dans la réalité, l’islamophobie se traduit par l’envoie à la poubelle d’un CV lorsque celui-ci porte le nom de « Mohamed » ou de « Fatima » ou quelques autres de ce genre-là. C’est aussi le refus d’attribution d’un logement lorsque la couleur de la peau évoque certains exotismes, sans oublier l’attitude de mépris à l’égard des femmes voilées, et, comme chacun le sait, la liste est non exhaustive.

Enfin, une fois n’est pas coutume, le CFCM a mis en ligne une pétition à l’adresse http://contre-islamophobie.com/petitionnationale/php/index.phpn , chacune et chacun est convié(e) à la signer, en invoquant la providence qu’un pas en avant sera franchi.

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[1] L’hebdomadaire l’express relate dans son édition du 23/02/06, comment les enquêteurs ont manqué de peu les ravisseurs d’Ilan Halimi.

[2] le conseil d’Etat stipule dans son arrêt 1989, que l’obligation de neutralité religieuse ne concerne que les enseignants, une interdiction de principe aux élèves de porter des signes religieux est illégal.