Points de vue

Estrosi fait une distinction entre le voile et la kippa : la laïcité, elle, n’en fait pas

Rédigé par Asif Arif et Slimane Tirera | Mardi 19 Janvier 2016 à 11:00



Christian Estrosi ne manque pas, une nouvelle fois, de se faire remarquer à travers ses déclarations osées. Depuis quelques jours, les réseaux sociaux pullulent de commentaires sur le port de la kippa de la part de deux députés de la République. D’aucuns n’ont pas hésité à rappeler que la laïcité devrait en principe freiner ce type de comportements. Appeler à se prononcer sur les faits, François Fillon avait déjà marqué son soutien au port de la kippa alors qu’il se montrait un ton plus réservé pour le voile.

La comparaison fallacieuse d’Estrosi

Christian Estrosi est, quant à lui, entré dans la polémique de manière plus vive et incisive. Sorti affaibli des régionales, il avait besoin de marquer le coup en suscitant une nouvelle fois la politique autour de l’islam, le voile et la République. Pour justifier sa différence de traitement entre le voile et la kippa, Estrosi trouve des justifications à l’international, alors que le fait faisant polémique, l’agression d’un professeur juif, a été commis en France, à Marseille.

Affirmant de manière totalement décontextualisée que le voile est imposé dans les Emirats Arabes Unis alors que la kippa n’est pas un signe religieux obligatoire à Tel Aviv, Christian Estrosi estime avoir suffisamment justifié sa position en surenchérissant que le judaïsme n’est pas une religion prosélyte. En somme, le judaïsme, puisqu’il n’est pas prosélyte, respecte plus la République que le christianisme, l’islam, le bouddhisme et les évangéliques.

Reste que ce genre de comparaisons totalement fallacieuses n’ont que très peu d’intérêt en France. D’abord parce que le port du voile n’est pas obligatoire en France et que les faits se sont déroulés en France. Il n’est en conséquence pas nécessaire de faire intervenir des éléments d’extranéités pour justifier des propos pareils. Ensuite, et nous posons la question très frontalement, le wahhabisme est-il la lecture officielle de l’islam ? Pourquoi devrait-on prendre ces pays comme modèles de référence de l’islam ? La France n’a-t-elle pas suffisamment de Français de confession musulmane vivant sur le territoire national pour leur demander ?

Cette récupération politique pour gagner du terrain contre les frontistes est en réalité une mauvaise stratégie. On le sait, et Christian Estrosi l’a bien essayé, que la surenchère profite toujours aux frontistes et qu’il faut désormais revenir à une politique plus égalitaire, visant la justice sociale plutôt qu’à des politiques qui polarisent et divisent la population. Par ailleurs, nous lançons un appel aux juifs et aux musulmans de France de ne pas se désunir face à ces raccourcis du président de la région PACA et de se fédérer autour de la notion de République.

La République ne distingue pas le voile et la kippa

Que François Fillon marque un léger haussement de sourcils à la question du voile et que Christian Estrosi continue sa croisade contre l’islam est un fait. Mais le principe de laïcité de l’Etat mis en place par la loi de 1905 interdit à l’Etat de faire entrer une concurrence entre les cultes, puisque l’Etat n’en reconnaît justement aucun.

Dans l’espace public, tout individu est libre de porter un signe religieux distinctif de son choix puisqu’il s’agit là de l’essence même de la liberté de conscience et de la liberté religieuse. Sauf limitation prévue par la loi (comme c’est le cas en matière de voile intégral), tout citoyen est libre de porter une kippa, un voile, un bonnet, une cagoule ou tout autre signe distinctif. Il a également le droit de ne rien porter, de se raser le crâne. La personne est ainsi libre de se déterminer par elle-même.

Qui est donc Christian Estrosi pour faire une distinction entre la voile et la kippa lorsque le principe de laïcité de l’Etat n’en fait pas ? Oui, Monsieur Estrosi, la laïcité ne distingue pas entre voile et kippa, ne vous en déplaise. Et c’est au nom de cette même laïcité que musulmans et juifs chérissons que vous affirmons avec fermeté : vous ne nous diviserez pas.


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Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, enseignant en Libertés Publiques et directeur du site Cultures & Croyances. Auteur d'un ouvrage sur l'Ahmadiyya, il publie prochainement un livre comprenant 50 fiches sur la laïcité aux éditions Bréal. Slimane Tirera est coordinateur national de La Maison des Potes et président de l’association Jeunesse en Mouvement.