Points de vue

Divisions, pièges à cons

Rédigé par Samuel Grzybowski et et collectif de signataires | Lundi 12 Janvier 2015 à 06:00

« Croire que la folie d’une poignée est la croyance de tous. Ne tombons pas dans le piège qui nous est tendu », affirment des personnalités de mouvements interreligieux, interculturels et de lutte contre l'islamophobie qui lancent un appel à l'unité, à la solidarité et à la liberté.



La France est fracturée. Elle saigne : bleu, blanc, rouge. Il y a eu 12 morts. Le mal est fait, la République est à terre, bafouée et elle voit rouge. Le lien social est menacé, le vivre ensemble dynamité. Le loup est dans la bergerie, oui le loup est vraiment dans la bergerie. S’attaquer à la rédaction d’un journal et s’en prendre à la liberté fondamentale d’expression est une chose ; créer la division, semer le doute, briser la cohésion d’une République et de ses valeurs en est une autre.

Aujourd’hui, les discours sont au recueillement et à l’union nationale, demain certains seront à la haine et à l’exclusion. Ils le sont déjà. A ne pas s’y tromper, le véritable piège devant lequel nous nous trouvons est bien celui de la division. Celui du repli sur soi et de la dénonciation de l’autre. La véritable victoire du terrorisme est de… terroriser. Leur but est de nous faire désigner un ennemi en France, un coupable dans notre communauté, un danger dans la nation.

Alors que faire ? Fuir ? Trouver un nouveau pays, accueillant, où il fait bon vivre ensemble ? Ou plutôt baisser la tête en attendant que ça passe et attendre des jours meilleurs ? Ils viendront sans aucun doute. Non je sais, et si on passait au karcher la racaille musulmane qui infeste nos cités ? Qu’on permette à chacun de s’armer et ils verront de quel bois on se chauffe ! Si l’intégrisme est indéniablement responsable du massacre, le carnage qui nous guette est bien celui de l’amalgame. Croire que la folie d’une poignée est la croyance de tous. Ne tombons pas dans le piège qui nous est tendu.

« Engagez-vous qu’ils disaient, engagez-vous »

Alors que faire ? « Vous qui vivez en toute quiétude, bien au chaud dans vos maisons », cette réponse vous appartient. L’indignation et l’émotion sont légitimes mais ne suffisent pas. Oui, chacun doit prendre sa part de douleur dans la conscience collective. Mais abandonner, pire, trahir ce qu’est la France, serait la victoire des terroristes et des désespérants. Agir pour la construire, l’esquisser, la dessiner est notre responsabilité collective et durable. Plus question de se cacher, de s’exclure du collectif meurtri. Ce combat est le vôtre, le nôtre et il est décisif. C’est maintenant.

Ce combat n’appartient pas au gouvernement, il n’appartient pas à l’opposition. Il n’appartient pas aux associations ou aux instances religieuses. Il n’appartient pas aux chrétiens, aux musulmans, aux juifs, aux athées ou aux agnostiques. Ce combat est celui du citoyen. C’est un combat rapproché, de proximité, qui ne promet que du « sang, de la sueur et des larmes », une lutte à mort contre un ennemi invisible. Ce combat est celui de la coexistence active : refuser la peur et l’extrémisme, respecter les différences de l’autre et les utiliser comme autant de forces et de richesses pour promouvoir les principes et les valeurs qui forment notre unité républicaine.

Sortons de nos maisons, sur nos paliers, levons les yeux quelques secondes de nos écrans. Ce combat se gagne par un sourire, une attention, une écoute, une connaissance de l’autre et une action avec lui. Il se gagne par le respect mutuel de la différence, par la fraternité, par la sensibilisation des plus jeunes dès l’école – le cœur de notre République – aux différences religieuses et culturelles. Dès aujourd’hui, élevons nous contre les attaques physiques ou verbales contre toute une collectivité, la communauté musulmane de France, désignée à tort comme responsable.

Les terroristes ont voulu mettre la France à genoux. Adressons-leur, à notre tour, un message. Nous sommes là debouts, solidaires et unis. Prêts à agir pour l’unité et la liberté en France.

Première parution de la tribune sur Mediapart.

Premiers signataires :

Samir Akacha, président de l’Association méditerranée des cultures d’islam pour la jeunesse (AMCIJ), Kevin Andre, chercheur à l'ESSEC et président de Kawaa, Guy Aurenche, avocat, Mohamed Bajrafil, enseignant, imam de la mosquée d'Ivry-sur-Seine, Wadya Ben Rabah, intellectuelle musulmane, Stephen Berkowitz, rabbin, Mouvement juif libéral de France, Abdallah Deliouah, enseignant, imam de la mosquée de Valence, Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon, Jean Delumeau, historien, Philippe de Roux, président des Poissons roses, Rokhaya Diallo, membre du bureau du réseau européen contre le racisme, Nabil Ennasri, écrivain, doctorant, président du Collectif des musulmans de France (CMF), Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique, Gaël Giraud, économiste, Samuel Grzybowski, président de Coexister, le mouvement interreligieux des jeunes, Kamal Hachkar, cinéaste, Samia Hatroubi, professeur d’Histoire, présidente Foundation for Etnic Understanding, Monique Hebrard, journaliste, Amadou Ka, président de l’association Les Indivisibles, Rivon Krygier, rabbin, Adath Shalom, Omero Marongiu-Perria, sociologue, spécialiste de l'islam en France, Médine, rappeur, Ahmed Miktar, président des Imams de France, Elsa Ray, porte parole du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), Jean-Pierre Rosa, intellectuel chrétien, Anas Saghrouni, président des Étudiants musulmans de France (EMF), Ilan Scialom, leader juif membre de l’InterFaith Tour, François Soulage, président de Chrétiens en forum