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Didier Fassin : « En se niant comme pays d'immigration, la France met en péril sa cohésion et son unité »

Rédigé par princevaillant@ymail.com | Jeudi 4 Février 2010 à 00:48

Un changement s'opère en France dans la façon de définir l'étranger. Les frontières ne sont plus juridiques et géographiques, mais sociales, culturelles, voire raciales. L'anthropologue et sociologue Didier Fassin a enquêté sur cette dérive.



En 2006, un an après les émeutes qui ont enflammé les banlieues, un programme de recherche fut lancé et financé par l'ANR (Agence nationale de la recherche) afin de mettre à jour « les nouvelles frontières de la société française ». De la reconnaissance des discriminations à la montée des revendications minoritaires, impossible d'ignorer la formation de nouvelles lignes de partage à l'intérieur de l'espace national. Durant quatre ans, sociologues, anthropologues, juristes, politistes, psychiatres ont enquêté sur le terrain. Le fruit de leur travail, d'une brûlante actualité, est publié aujourd'hui aux éditions La Découverte, sous la direction de Didier Fassin. Cet anthropologue, sociologue et médecin partage son temps entre la France et les Etats-Unis : premier non américain à être nommé professeur à l'Institut d'étude avancée de Princeton, il continue d'enseigner à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, à Paris.

Qu'appelez-vous les « nouvelles frontières de la société française » ?

Ce sont toutes ces limites par lesquelles on cerne l'étranger. Le fait marquant, depuis quelques années, est qu'il ne s'agit plus seulement des frontières géographiques du territoire et juridiques de la nationalité, mais aussi des frontières immatérielles, non officielles, définies selon des critères sociaux, culturels, ethniques ou même raciaux, qui dessinent un étranger de l'intérieur. Un citoyen américain qui vit en France, même s'il parle très mal notre langue, sera considéré, dans sa vie de tous les jours ou même dans ses rapports avec l'administration, comme moins étranger qu'un Français d'origine malienne : il aura moins de mal à trouver du travail, il sera moins souvent contrôlé par la police, il fera l'objet de moins de préjugés. Comme le révèle un récent témoignage, même un journaliste du Monde, s'il a un nom arabe, peut être considéré comme étranger, ce qui indique bien que le phénomène touche tous les milieux sociaux. En fait, il n'y a pas en France de « problème des étrangers », mais un problème de « qui est vu comme étranger ».

Pouvez-vous décrire ces deux types de frontières, externe et interne ?

Il n'existe qu'un seul mot en français pour dire « frontière ». En anglais, il y en a plusieurs, et j'en ai retenu deux : border, la ligne territoriale et légale qui sépare les étrangers et les nationaux ou les immigrés et les autochtones, et boundary, qui désigne les limites invisibles, symboliques, tracées entre catégories sociales et groupes humains. Ces frontières intérieures distinguent les individus sur des critères de couleur, d'origine, de culture, voire de religion, qui contribuent à radicaliser la différence. Ce sont des constructions idéologiques de l'Autre dont l'efficacité pratique est considérable pour compliquer l'accès à l'éducation, à l'emploi ou au logement. C'est pourquoi nous avons décidé, en réunissant une quarantaine de chercheurs, de travailler sur cette double frontière que la plupart des études abordent séparément : il y aurait d'un côté l'immigration et les sans-papiers, de l'autre la discrimination et les jeunes des banlieues. Il faut penser les deux ensemble.


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Propos recueillis par Catherine Portevin et Sophie Lherm - 02/02/2010
Source : Télérama