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Derrière le niqab, une enquête à contre-courant qui dévoile le voile intégral en France

Rédigé par Myriam Attaf et H. Ben Rhouma | Lundi 12 Octobre 2020 à 20:25

           

« Derrière le niqab » est le fruit d'une enquête de dix ans réalisée par Agnès De Féo et consacrée aux femmes qui, en France, ont porté et enlevé le voile intégral. Loin d’exacerber les fantasmes autour des niqabées, la sociologue met à nu les contradictions soulevées par ce choix aux motivations bien plus complexes qu’elles n’y paraissent.



Dix ans après l'interdiction de la loi anti-niqab, la sociologue est l'auteure de « Derrière le niqab », un livre-enquête inédit autour du phénomène du voile intégral en France. © DR / Saphirnews
Dix ans après l'interdiction de la loi anti-niqab, la sociologue est l'auteure de « Derrière le niqab », un livre-enquête inédit autour du phénomène du voile intégral en France. © DR / Saphirnews
Dix ans après la promulgation de la loi sur l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public, Agnès De Féo publie Derrière le niqab, une enquête inédite qui lève le voile sur les motivations profondes de femmes qui ont décidé de porter le niqab et qui, pour certaines, ont choisi de le retirer.

Les motivations du port du voile du niqab sont le plus souvent paradoxales, relève le politologue et spécialiste de l’Islam, Olivier Roy, dans la préface de l’ouvrage rédigée par ses soins. « Les niqabées ne sont pas invisibles : au contraire. Elles veulent être vues, elles veulent sortir. Cette ambivalence profonde entre pudeur et exhibitionnisme est un élément clef, qui rebute par ailleurs bien des maris potentiels », note-il rappelant, à l’aune de l’enquête, la réalité que recouvre ce choix. « Le niqab est un phénomène individuel, détaché de toutes tradition ou pressions sociales. (…) Il est rarement un état mais surtout le moment d’un parcours plus complexe et souvent plus chaotique », précise-t-il.

Déconstruire l’image forgée par l’intuition populaire sur les niqabées

La préface d'Olivier Roy révèle ainsi l’objectif assumé d’Agnès De Féo : résister aux sirènes du simplisme. La sociologue cherche avant tout à démontrer que, derrière le port du voile intégral, se jouent des trajectoires de vie particulières, des luttes personnelles, mais aussi la volonté de revendiquer une certaine place dans la société.

« Mon but avec ce livre est de permettre aux lecteurs et lectrices d’accéder aux usagères du niqab pour en comprendre le mécanisme. Il me semble essentiel de déconstruire l’image forgée par l’intuition populaire, d’enrayer les réactions de rejet compulsif à leur encontre, ainsi que de saper le discours de ceux qui font de la supposée aliénation des musulmanes leur fonds de commerce », explique-t-elle à Saphirnews.

Ainsi, comme le note Olivier Roy, « la pratique religieuse des femmes niqabées est faible, même dans leur appartement privé. Comme si le port du niqab absorbait tout ce qui pouvait y avoir de religieux chez elles. Leur dévotion tourne entièrement autour de la mise en scène de soi-même. (...) Le nombre important de convertis et de mères célibataires est (aussi) un bon indice de leur étrangeté ». Ces femmes, nous indique Agnès De Féo, « ont reçu une éducation républicaine laïque, sont le plus souvent en rupture avec leur milieu familial non-religieux et n’ont jamais subi de contrainte de leur entourage ». Un descriptif bien loin des clichés sur les niqabées.

Lire aussi le témoignage de Lollipop : « Je porte le niqab et je ne crois en aucun Dieu »

Derrière le niqab, une enquête à contre-courant qui dévoile le voile intégral en France

« Le voile intégral n’est pas tombé du ciel, mais procède d’une réaction féminine qu’il serait absurde de censurer »

Agnès De Féo, qui rapporte dans son ouvrage les profils et les témoignages d’expériences individuelles, voire intimes du niqab, de 16 femmes sur les 200 qu'elle a pu côtoyer au cours de son enquête, souligne que le port du voile intégral n'est pas un état de fait sans origines. « Le niqab est une réaction issue de notre modernité qui mérite l’analyse. Le voile intégral n’est pas tombé du ciel, mais procède d’une réaction féminine qu’il serait absurde de censurer », nous indique la sociologue

Une démarche impulsée par le besoin d’occuper une place particulière dans l’espace public, encouragé en partie par la loi anti-niqab promulguée en 2010 selon Agnès De Féo. « La loi a d’abord eu paradoxalement un effet persuasif, puisqu’elle a incité des femmes qui ne mettaient même pas le foulard à porter le niqab. La médiatisation a été telle qu’elle a attiré des musulmanes dans cette voie de la religiosité ultra-visible », relève-t-elle. Une réaction identitaire qui révèle un besoin de s’affirmer tout en se cachant.

A travers son enquête, la sociologue a ainsi pu « démontrer ce lien direct entre l’interdiction et la prise du niqab, pour les "néo-niqabées" nées de la polémique et de la loi. Certaines de ces femmes ont mal supporté le traitement qui leur était infligé (violences, harcèlement de rue, pressions policières) et vont choisir de quitter la France, la plupart vers des destinations sans risque, mais d’autres vont partir en Syrie et en Irak ».

Sur un autre plan, la loi a « vulnérabilisé des femmes autonomes et libres de leur choix, en encourageant les citoyens ordinaires, à la recherche d’un exutoire, à s’en prendre à elle » et « a permis la banalisation du discours sexiste sur les femmes musulmanes ». En cela, l'interdiction n'a eu « aucune dimension positive », martèle Agnès De Féo, d'autant plus que la médiatisation sur le phénomène du voile intégral était disproportionnée par rapport à la réalité. Au moment du lancement du débat en 2009, la France comptait entre 350 et 2 000 femmes en niqab. L’interdiction a ainsi provoqué « l’effet inverse de celui recherché » pour Agnès De Féo.

Que l'on soit pour ou contre le niqab n'est pas le sujet du livre. A travers son ouvrage, la sociologue relève l'extrême importance de donner la parole aux premières concernées, écartées des débats où elles ont été réduites à des objets, mais qui, selon les mots d'Olivier Roy, « font éclater toutes les coutures ».

Dix ans après, on parle d’une loi contre les séparatismes. Qu'en dites-vous à l'aune de votre enquête ?

Agnès De Féo : Cette loi contre les séparatismes se situe dans la droite ligne des autres mesures vexatoires à l’égard des musulmans, et des musulmanes en particulier. Comme les autres, l’intitulé de ce projet de loi se veut général par l’usage du pluriel, mais c’est bien à la communauté musulmane que la loi s’adresse. Pourtant le séparatisme et le communautarisme ont été créés par les gouvernements français successifs.

L’exemple type est celui des écoles confessionnelles qu’Emmanuel Macron a particulièrement visées dans son discours du 2 octobre. Or celles-ci sont apparues après la loi de 2004 d’interdiction des signes religieux à l’école, afin de permettre aux jeunes filles exclues de l’école publique de s’instruire.

Dans ce nouveau projet de loi, il s’agit encore d’infantiliser les musulmans en leur dictant « cinq piliers » du vivre ensemble dans une parodie de dogme laïc, et en les aidant à promouvoir un « islam des lumières », qui constitue un oxymore absurde. Le problème est que l’image des musulmans se trouve encore une fois écornée, alors que ceux-ci recherchent dignité, respect, fierté, comme j’ai pu le vérifier depuis plus de trente ans d’échanges avec eux.


Agnès de Féo, Derrière le niqab, Armand Colin, septembre 2020, 288 pages, 17,90 €.





Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 13/10/2020 07:18 | Alerter
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L'article contient des perles remarquables, qui provoquent l'hilarité.

La "forme" de l'argumentation est celle ci: l'interdiction suscite ce qu'elle interdit.

"La médiatisation a été telle qu’elle a attiré des musulmanes dans cette voie de la religiosité ultra-visible"

"démontrer ce lien direct entre l’interdiction et la prise du niqab, pour les "néo-niqabées" nées de la polémique et de la loi."

DONC, l'interdiction est absurde:
"Le voile intégral ... procède d’une réaction féminine qu’il serait absurde de censurer ".


La conclusion est à citer encore et toujours:
"« islam des lumières », constitue un oxymore absurde."

2.Posté par Abdoulaye le 13/10/2020 18:51 | Alerter
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@François. Rira bien qui rira le dernier...

3.Posté par Henri-Pierre GUILLERME le 14/10/2020 10:21 | Alerter
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HPGIZEH
encore un commentaire d'homme diront certaines, oui, oui, d’un homme Français Musulman (origine bretonne) et vivant en immersion totale dans une grande ville touristique du proche orient. Je rejoins (mais sans doute pas pour les mêmes raisons - rire-) M. François Carmignola
"« islam des lumières », constitue un oxymoreabsurde."

Cette question du voile en France est pratiquement ignorée en terres musulmanes (qui ne sont pas que musulmanes, loins s'en faut).

Les tracassés du voile en France sont souvent (à les entendre, les écouter, les lire) des gens de mauvaise foi au mieux, des ignorants (sincères parfois) le plus souvent, des idiots trop souvent.

Ce sont les Musulmans qui sont concernés. Le malaise est à l'intérieur du Din Islam. Extrait de ce que disait, il y a quelques mois, le Sheikh al-Azhar Ahmad al Tayyeb “... the (Islamic) heritage that is being derided today…WE derided it and made people afraid of it … ” "... l'heritage des Musulmans qui est aujourd'hui moqué ... (c'est) NOUS (les Musulmans) (qui) l'avons ridiculisé et avons réussi à en effrayer les autres ..."
Ceci n'est pas "une preuve", mais indiscutablement un indice ...
Pour ceux qu'y s'y intéressent, le même jour que la citation précédente : by Professor Mohamed Othman Elkhosht*, excerpt : “The religious sciences are in a state of stagnation, they are based on copying and reproduction. There is no critical analysis, no scientific* analysis, and no use of methodologies from the humanities or social sciences. Al...  

4.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 15/10/2020 21:32 | Alerter
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Pardon, mais je vous trouve trop allusif. Que voulez vous dire exactement ?

"islam des lumières oxymore absurde" s'entend comme "l'islam ne peut pas être "des lumières" car irréformable", ce qui s'entend à son tour de deux manières: a) car c'est inutile, il est DEJA parfait b) car c'est impossible, il est TROP imparfait.
Evidemment on pourrait comprendre de ce que vous dites, en ce que vous riez d'un point de vue que vous trouvez ridicule car vous seriez persuadé que bien sur il est possible que l'islam soit "des lumières". Reste à savoir si ce possible est DEJA réalisé (ce que vous semblez évoquer) ou bien seulement à venir...

Pourriez vous m'éclairer, je vous prie ?

5.Posté par Henri-Pierre GUILLERME le 17/10/2020 16:19 | Alerter
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Préambule : "islam des lumières oxymore absurde" s'entend comme "l'islam ne peut pas être "des lumières" POINT ! jusque là je vous rejoins entièrement et sincèrement.

à FC : (réponse à votre post n° 4)

Certes ! Mais attention je ne suis qu'un modeste observateur, avec un modeste bagage éducatif et bourré de parti-pris ... comme tout le monde sans doute.

Le temps lumières (expression éclairante ?) des empires arabes (disparus depuis 7 siècles, quand même, appelons un chat un chat) est fort lointain (1.000 ans pour arrondir). Depuis il y eut un second 'sursaut' qualifié par certains de Réforme, de lumière : l'avènement de la dynastie Saoud et du Wahhabisme associé (Il y a environ 170 ans, c’est tout), lequel, plus tard inspirera un certain Hassan el Bana : début de réactions enchainées ... dont la décolation de ce matin (ou d'hier ?) ... quelle horreur.

Mes citations al Azhariennes sont du 28 Janvier 2020.
Ce sont parmis les premières de la plus haute autorité Musulmane au Proche-Orien (à égalité politique avec le Gardien des Deux Mosquées ? je ne sais).
Ce genre de déclaration dévoile le désarroi de celui qui est au fond du puits. Au fond du puits on n'évoque pas les lumières !

Les lumières du siècle fameux, résultent d'un moyen âge assez noir et d'une renaissance en mi-teinte. Les lumières résultent d'un excès d'obscurantisme. Action-réaction. L'homme n'est sensible qu'aux différences.
Je n'évoque autre chose que cette maladie dégénérative qui ronge les Musulmans du Proche-Orient...  


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