Points de vue

Chomsky : seul dans l’Amérique

Rédigé par Fékih Ryadh | Lundi 2 Décembre 2002 à 00:00

Le ' dissident américain numéro 1 ' multiplie les articles, les interviews, les livres pour démasquer le véritable visage d'une Amérique ivre de puissance et qui se croit tout permis. Portrait d'un empêcheur de ''bombarder'' en rond...



Le ' dissident américain numéro 1 ' multiplie les articles, les interviews, les livres pour démasquer le véritable visage d'une Amérique ivre de puissance et qui se croit tout permis. Portrait d'un empêcheur de ''bombarder'' en rond...

 

Pourquoi aux Etats-Unis, où la liberté d'expression est un dogme inscrit dans le texte même de la Constitution, les seules voix qui se font entendre aujourd'hui sont celles, menaçantes et imprécatoires, de George W. Bush, et de son trio infernal : le secrétaire d'Etat Colin Powell, ancien général d'état-major, le belliqueux ministre de la Défense Donald Rumsfeld, et l'impitoyable patronne du Conseil national de sécurité (NSC) Condoleeza Rice ?

Pourquoi la grande presse américaine, dont on connaît le degré d'objectivité et le souci d'équité, offre-t-elle, aujourd'hui, le spectacle désolant d'un unanimisme vaguement patriotique digne des médias de l'ancienne Union soviétique ?

Pourquoi cette presse, dont on sait l'intelligence avec les services de renseignement et les grands groupes financiers, ne reflète-t-elle que l'image d'un peuple américain blessé dans son amour-propre et ivre de vengeance, soutenant, à grands coups de 'God bless America' un président qu'il a (mal, très mal) élu ?

Cette image est-elle le reflet exact de la réalité américaine d'aujourd'hui ? On est en droit d'en douter. Car, comment passer sous silence les manifestations, débats publics et grèves de la faim contre la guerre en Irak, dont l'Amérique est aujourd'hui le théâtre, les voyages répétés de groupes d'Américains en Irak, les protestations des masses ouvrières inquiètes de la détérioration de la situation économique, l'audience grandissante du mouvement pacifiste, l'engouement public pour les sites Internet contestataires, le foisonnement de journaux alternatifs non-alignés sur la position officielle de Washington et, last but not least, les annulations de dernière minute, et sans explication, de certains voyages intérieurs du Président Bush, lui-même souvent publiquement hué ?

 

Comment expliquer, surtout, les ventes impressionnantes du dernier livre de Noam Chomsky, 11/9, autopsie des terrorismes, paru le 21 novembre 2001, aux éditions Seven Stories, aux Etats-Unis (et simultanément dans onze autres pays), et qui a déjà été vendu à des centaines de milliers d'exemplaires à travers le monde ?


 

Les fusils tournés dans l'autre sens

Dans cet ouvrage iconoclaste, boudé par les grands médias américains et européens, qui estiment son contenu trop extrémiste, l'auteur soutient avec force arguments que les Etats-Unis sont les premiers responsables, quoique indirects, des attentats du 11 septembre 2001, et que les auteurs de ces attentats ' proviennent du réseau terroriste dont les racines plongent dans les armées mercenaires organisées, entraînées et armées par la CIA '.

Seconde thèse de cet intellectuel juif de Boston, souvent qualifié de 'dissident américain numéro 1' : les attaques du 11 Septembre sont 'd'horribles atrocités', mais les Américains feraient bien de comprendre qu'elles ne sont qu'une réaction à des atrocités non moins horribles commises depuis des années par la politique étrangère américaine. ' Au cours des siècles, les Etats-Unis ont annihilé leur population indigène (des millions de personnes), conquis la moitié du Mexique, sont intervenus violemment dans la région, ont conquis Hawaï et les Philippines et, en particulier au cours des cinquante dernières années, usé de la force dans à peu près toutes les parties du monde ', écrit le linguiste du Massachusetts Institute of Technology.
Qui rappelle les interventions des Etats-Unis au Vietnam, au Timor oriental, au Cambodge, en Amérique centrale, en Irak, en Yougoslavie et ailleurs, et souligne à quel point le soutien américain à Israël est mal perçu dans l'ensemble du Monde arabo-musulman. ' Les Etats-Unis ont dû s'opposer aux résolutions du Conseil de Sécurité, voter seuls avec Israël contre les résolutions de l'Assemblée Générale, bloquer toutes les initiatives diplomatiques depuis la proposition de Sadate, en février 1971, d'un traité de paix sur la base de la résolution 242 de l'ONU', note Chomsky avec regret. Avant d'ajouter : 'On ne peut considérer les Etats-Unis comme une victime innocente qu'à condition d'ignorer la liste de ses actions et celles de ses alliés '. Et de conclure: ' Pour la première fois, les fusils ont été tournés dans l'autre sens '.

Un grille de lecture différente

Pour comprendre le 11 Septembre, il faut comprendre les motivations de ceux qui ont commis les attentats, explique le ''Sakharov américain''. Ces motivations sont, selon une enquête publiée, le 14 septembre 2001, par le Wall Street Journal, le ressentiment à l'égard du gouvernement de Washington qui soutient les crimes israéliens dans les territoires palestiniens, bloque les accords internationaux par un processus diplomatique interminable, dévaste la société civile irakienne, soutient les régimes anti-démocratiques dans les pays arabo-musulmans et impose des barrières contre le développement économique de ces pays en maintenant en place des régimes oppressifs.

' Pour la grande majorité de gens souffrant d'une oppression et d'une pauvreté profonde, des sentiments similaires, mais plus acides, sont la source de la fureur et du désespoir qui ont mené aux attentats suicides, comme cela est généralement compris par ceux qui s'intéressent aux faits ', explique Chomsky. Le dissident américain fait remarquer, cependant, que les Etats-Unis, comme la plupart des pays occidentaux, préfèrent une autre explication, plus confortable. Ils souscrivent à l'analyse du New York Times du 16 septembre 2001 selon laquelle les auteurs des attentats de New York ont agi par ' haine des valeurs qui sont portées par l'Occident comme la liberté, la tolérance, la prospérité, le pluralisme des religions et le suffrage universel '. Le linguiste, qui trouve cette explication 'idiote et infantile ', ne cesse d'en démontrer l'inanité dans ses articles et entretiens aux journaux.