Cinéma, DVD

« Cheba Louisa » : l'amitié fait exister

Rédigé par | Jeudi 2 Mai 2013 à 00:00



« Cheba Louisa », une histoire d'amitié pour faire fondre les préjugés et le quant-à-soi. (Photo : © 2012 Florence Bonny - Legato Films)
Peut-on rester fidèle à sa filiation tout en devenant une femme libre de ses entraves familiales et psychologiques ?

Si l’on a un peu de mal à entrer dans le film durant les 15 premières minutes – celles-ci servant à « planter les personnages » comme on plante un décor afin que le spectateur ait bien en tête le rôle attribué à chacun… –, Cheba Louisa, premier long métrage de Françoise Charpiat, parvient à nous emmener peu à peu dans son histoire : celle du cheminement vers la liberté.

Une liberté qu’a du mal à prendre Djemila, une jeune femme de 29 ans, incarnée par Rachida Brakni (d’où la mise en route lente du spectateur pour croire au personnage s’il connaît la personnalité de Rachida Brakni dans la vraie vie…). Djemila, aînée de la famille, qui a réussi ses études et a trouvé un travail de cadre dans une grande mutuelle française, prend un appartement pour elle toute seule, premier pas pour s’éloigner de l’emprise d’une mère toute-puissante.

Sa mère Zohra, aimante mais autoritaire (Biyouna), n’a justement qu’une seule idée en tête : marier sa fille bien sous tous rapports avec le fils de son amie. Le fiancé, Ahmed (Mhamed Arezki), un gars de la cité, passe, quant à lui, plus de temps avec ses copains qui traînent sur le banc, en bas de l’immeuble, qu’à travailler d’arrache-pied. Les copains, eux, sont « typiques » de la diversité d’aujourd’hui : Chinois, Arabe, Noir…

Fred (Stanley Weber), le collègue de travail de Djemila, n’est autre que l'amoureux de la jeune femme. Bellâtre costumé, beau gosse « blanc français de souche », il ne demande qu’à rencontrer les parents de Djemila pour se faire connaître officiellement. Le père de Djemila (Agoumi), complice de ses enfants, est un grand admirateur de Cheba Louisa, dont il leur a appris toutes les chansons en cachette de son épouse.

Car parmi tous ces personnages, il y en a un, central : Cheba Louisa, le fantôme de la famille. Reine du chaâbi en Algérie, Cheba Louisa a choisi de vivre sa carrière d’artiste et d’assumer son choix de femme libre donnant naissance hors mariage. « Une bâtarde », comme on les nomme au pays, voilà ce qu’est le sentiment d’avoir été Zohra, fille de Cheba Louisa et mère de Djemila… Un passé qu’elle renie et qui explique la chape de plomb qui pèse sur l'héroïne.

Et c’est là que le film devient intéressant. Car Djemila ressemble à s’y méprendre à sa grand-mère. Par ses traits physiques, certes. Mais surtout par sa voix (son père ne lui a-t-il pas appris toutes les chansons durant son enfance ?).

Dilemme… Djemila continuera-t-elle sa carrière de cadre administrative, en tailleur, petits talons et chignon tiré, jouant la carte de la « parfaite intégrée » ? Dira-t-elle oui au mariage avec son fiancé dans les trois mois qui viennent et au bled, tel que sa mère l’a décidé unilatéralement, jouant la carte de la « loyauté familiale » ? Ou bien choisira-t-elle son bellâtre, qui, finalement, accepte de se faire circoncire et de prononcer la shahada pour approcher sa future belle-famille ?

Le déclencheur qui fera exploser ce bouillonnement intérieur est Emma. Formidablement interprété par Isabelle Carré, Emma est l’antithèse de Djemila : cheveux en houppette, jupe plus que mini, cette « blonde aux yeux clairs » élève seule ses deux enfants. Et si elle fait partie de ce qu’on appelle aujourd’hui les travailleurs pauvres (caissière en supermarché, elle parvient difficilement à joindre les deux bouts pour payer la cantine de ses enfants), elle sait rendre heureux ceux qui l’entoure.

Cheba Louisa rebondit alors à merveille dès lors que se noue peu à peu cette amitié entre les deux femmes : la « Française d’origine maghrébine » qui cherche à tout prix à s’intégrer et la « Française pure souche » désintégrée de tout carcan. Entre Djemila, coincée dans les injonctions maternelles opposées à son rêve lancinant de chanter sur scène, et Emma, pleine de sensibilité et artiste à ses heures perdues.

Les dialogues, non dénués d’humour, font souvent mouche. La part belle est donnée aux personnages féminins. Biyouna est parfaite en mère castratrice, reine du chantage affectif. Isabelle Carré, pétillante de vie, donne très envie de s’en faire une copine. Rachida Brakni taille son personnage loin des stéréotypes, en rendant finement toute la complexité des choix qu’elle a à faire.

Au-delà de la question de l’émancipation individuelle, Cheba Louisa, sur un ton léger et finalement optimiste, délivre un message simple et universel : accepter les autres et s’accepter soi-même.





Cheba Louisa, de Françoise Charpiat, avec Rachida Brakni, Isabelle Carré, Biyouna, Stanley Weber, Mhamed Arezki, Baya Belal, Agathe de la Boulaye, Malonn Levana, Florian Lemaire, Younes Bouab, Anne Loiret, Marie-Philomène Nga… Avec la participation de Rachid Taha.

En salles le 8 mai 2013.


Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur