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Monde

Boycotter la Coupe du monde de football au Qatar, une fausse bonne idée ?

Rédigé par Lionel Lemonier et Lina Farelli | Lundi 14 Novembre 2022 à 11:25

           

Les appels au boycott de la Coupe du monde de football, organisée au Qatar, se sont multipliés ces dernières semaines dans les médias et sur les réseaux sociaux. Tandis que les uns évoquent les dures conditions de vie imposées aux travailleurs immigrés et le coût écologique de l'événement sportif, les autres dénoncent l'hypocrisie ou simplement l'inutilité de ces appels. Alors le boycott est-il une solution ?



A quoi va ressembler le premier Mondial de l'histoire dans un pays arabo-musulman ? Plusieurs personnalités politiques, sportives ou artistiques appellent au boycott de la Coupe du monde de football 2022, qui se déroule au Qatar du 20 novembre au 18 décembre. Parmi les raisons mises en avant, les conditions déplorables de vie et de travail des immigrés sur les chantiers du Mondial, et l’aberration écologique que constituent la construction de stades entièrement climatisés et les allers-retours en avion du million de supporters attendus qui ne pourront pas tous dormir sur place.

L’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) a tenu, jeudi 27 octobre, un débat sur le sujet qui divise. A la table de son directeur Pascal Boniface, auteur de plusieurs livres autour de la géopolitique du sport, figurait le président d’Amnesty International France Jean-Claude Samouiller et le journaliste à L’Équipe Vincent Duluc. Les trois intervenants se sont positionnés contre le boycott, à l'heure où les partisans du boycott se font particulièrement entendre ces dernières semaines. Vincent Duluc a d’abord fait remarquer que les climatisations des stades ne devraient pas fonctionner car la Coupe du monde a lieu à une période hivernale, lorsque les températures extérieures ne sont pas élevées au Qatar. Par ailleurs, à ses yeux, si le débat est nécessaire, « le boycott n’a (globalement) jamais fait avancer la moindre cause » à l'exception de l'Afrique du Sud car, rappelle-t-on au cours du débat, « il était global ».

L'hypocrisie des appels relevée

« C’est la première fois que la question du coût écologique est posée. Elle le sera à l'avenir », signale aussi Pascal Boniface, se demandant même si les grands événement sportifs comme les Coupes du monde ou les Jeux olympiques pourront perdurer longtemps du fait, entre autres, qu'ils ne pourront jamais compenser les émissions de carbone qu’ils génèrent. Pour autant, il n’est pas sûr non plus que supprimer des Coupes du monde règlera le problème. De son côté, la FIFA, consciente que le sujet prend de l'importance, tente de se positionner dessus avec son « Carton Vert pour la planète ». Sans convaincre grand monde pour le moment.

Concernant la maltraitance des travailleurs immigrés au Qatar, Pascal Boniface estime « qu’il vaut mieux se servir de ce type d’événement pour améliorer le sort des concernés ». Et de dénoncer la culpabilisation de citoyens qui entendent regarder les matchs car jugés « complices » des maltraitances. Il relève aussi l’hypocrisie consistant, pour « des élites politiques et intellectuelles » qui « voient le sport de haut », à appeler au boycott « alors que l’on continue d’acheter du gaz, du pétrole et de vendre des Rafales » au Qatar. Un tacle à la Ville de Paris, qui s'est déclarée pour le boycott, est glissé : l'émirat est propriétaire du PSG, fait dont la municipalité s'accommode bien puisque les critiques sur ce point sont à ce jour absentes.

© Amnesty France
© Amnesty France

Profiter de l'événement pour faire pression

Jean-Claude Samouiller, le président d’Amnesty International France, n'est pas « contre le boycott » mais ne le prône pas non plus : « Sur le plan stratégique, on estime que ce n’est pas un levier suffisamment puissant, explique-t-il. Nous préférons profiter de ces événements internationaux (...) pour pointer et alerter sur le sort des travailleurs migrants » - au nombre de deux millions - et « sur toutes les violations massives » constatées au Qatar. Il estime lui aussi qu’il est très hypocrite « de demander à des sportifs de renoncer à un objectif important pour eux, alors qu’on continue à vendre des armes ou à bâtir des routes (...). On ne demande pas de s'acheter une bonne conscience à bas prix ».

C'est dans ce sens qu'Amnesty International, comme Human Rights Watch, réclame la création d’un fonds de 440 millions d’euros visant à indemniser les personnels non payés et les familles des victimes sur les chantiers. Alors que la Coupe du monde devrait générer six milliards de dollars de retombées économiques selon les organisateurs, la demande des ONG a été refusée par les autorités qataries, estimant que les critiques sont « motivées par le racisme ». « Ils ne veulent pas laisser un petit pays, un pays arabe, un pays musulman, organiser la Coupe du monde », a déclaré le ministre du Travail Ali ben Samikh Al-Marri. « Ils savent très bien que des réformes ont été faites, mais ne veulent pas le reconnaitre. »

« Une supériorité civilisationnelle ressentie comme telle par les pays du Sud »

La nouvelle est tombée début novembre, après la tenue du débat à l'IRIS. La législation qatarie a certes connu quelques améliorations sur plusieurs plans ces dernières années « mais l’impunité est généralisée sur le terrain », déclare Jean-Claude Samouiller dont l'ONG dénonce, par exemple, le système de la « kafala », ce parrainage considéré comme abusif qui lie les travailleurs migrants à leurs employeurs. Pour le militant des droits humains, il est nécessaire de « s’appuyer sur l’indignation internationale pour forcer les Qataris à modifier les règles. (…) Nous devons obtenir le plus d’améliorations possibles avant le démarrage de la compétition. Après, il sera trop tard », a-t-il insisté.

Ces appels au boycott sont souvent le fait de pays occidentaux et « il y a quand même, en arrière-plan, une supériorité civilisationnelle qui est ressentie comme telle par les pays du Sud » qui ne souhaitent pas se laisser dicter leurs conduites, analyse Pascal Boniface. En même temps, les Qataris « n’avaient pas imaginé que la visibilité donne des obligations morales ». « S’ils veulent faire taire les critiques pas sincères, il faut satisfaire les critiques sincères » à l’image de celles émises par les grandes ONG, déclare le directeur de l'IRIS, favorable à un dialogue constructif plutôt qu’à de simples positions « brutales et agressives ».

« Si Gianni Infantino (le président de la FIFA, ndlr) souhaite vraiment que le monde se concentre sur le football pendant la Coupe 2022, il devrait commencer par s’assurer que ceux qui l’ont rendue possible obtiennent la justice et les réparations qu’ils méritent. Le temps presse », plaide Amnesty dans une tribune au Monde. « Tout ce que nous demandons à ce stade, c’est que la FIFA s’engage fermement à indemniser les victimes d’atteintes et à financer des programmes de prévention, dont un centre où les travailleurs pourront s’informer sur leurs droits et obtenir une assistance et des conseils juridiques. Il suffirait pour cela d’un simple trait de plume de Gianni Infantino. »

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