Cinéma, DVD

Au temps où les sultans ottomans étaient cinéphiles

Par Seyfeddine Ben Mansour

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Samedi 7 Juillet 2012 à 17:00



Depuis le 13 juin, et jusqu’au 5 août prochain, la Cinémathèque française rend hommage au cinéma égyptien. Une cinquantaine de films sont ainsi présentés dans le cadre d’une rétrospective intitulée « Ciné-Egyptomania » et destinée à rendre compte de la richesse de l’une des cinématographies majeures du monde musulman.

Hors du monde arabe, c’est aujourd’hui la Turquie et l’Iran qui se signalent par l’abondance, sinon par la qualité de leur production. Par l’ancienneté de son introduction également : à Téhéran, en 1904, Mirza Ebrâhim Sahhâf-Bâshi, photographe du shah Mozaffar ed-Dîn, ouvre la première salle de cinéma du pays ; dans l’Egypte ottomane, ce sont des membres de la communauté italienne qui, en 1897, projettent les premiers films muets. De même dans la capitale de l’Empire, où ce sont également des membres de minorités non musulmanes — des Juifs et des Arméniens stambouliotes, essentiellement — qui, en 1896, introduisent le « cinématographe ».

La perception du cinéma, de même que son développement, dans ce qui n’allait pas tarder à devenir la République turque, sont intimement liés tant au cosmopolitisme d’Istanbul qu’au rapport, souvent complexe, à une modernité d’importation. Lorsqu’il apparaît en 1896, le cinéma trouve naturellement sa place dans les quartiers de Péra et de Sehzadebasi, les deux centres par excellence du divertissement commercial. La nouvelle invention y côtoie à Pera, quartier surtout peuplé de non-musulmans, des spectacles d’origine européenne tels que les cafés-chantants et les variétés. A Sehzadebasi, quartier majoritairement musulman, il rejoint des formes de spectacles plus traditionnelles, telles que le Karagöz (théâtre d’ombres) et le Meddah (conteurs publics).
C’est à partir de 1908 que le cinéma devient une forme de spectacle autonome, avec des lieux de représentation, une programmation mais aussi un public spécifiques. Il commence alors à essaimer dans d’autres quartiers de la capitale.

Des soirées cinéma pendant le Ramadan

Cette évolution n’était pas du goût de tous. Certains théologiens suspectaient en effet cette invention nouvelle, importée et exploitée par des non-musulmans, de porter atteinte aux bonnes mœurs. Le pouvoir impérial ne suivra que très partiellement leur avis ; le pouvoir républicain qui lui succédera louera cet instrument de la modernité.

Si les autorités impériales n’ont pas exercé un contrôle structurel (censure), les autorisations accordées aux nombreux exploitants stipulaient que les films ne devaient pas traiter de sujets religieusement mais surtout politiquement sensibles.

Le cinéma a même, globalement, été encouragé, tant pour des raisons fiscales (taxe de solidarité en sus des impôts ordinaires dont devaient s’acquitter les exploitants), que pour des raisons de prestige, la nouvelle technologie ayant vocation à manifester le pouvoir du sultan. Abdulhamit II était du reste un amateur fervent de cette technologie nouvelle, et faisait souvent organiser des projections en petit comité.

Les exploitants, de leur côté, tout en s’adaptant aux exigences des autorités, s’efforçaient de parer aux critiques des ulémas, et de répondre aux demandes d’un public très divers. Ainsi, dans le quartier de Sehzadebasi, des projections réservées aux femmes étaient-elles organisées à l’intention des musulmanes.

De même les veillées ramadanesques faisaient-elles l’objet d’une programmation spéciale trente jours durant. Enfin, ils n’hésitaient pas, dans un élan de solidarité nationale, à organiser des projections à des fins non lucratives, dans le but, par exemple, de venir en aide à des victimes de désastres naturels ou de conflits ethniques.


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