Religions

Asma Lamrabet : « L'islam ne peut en aucun cas constituer une entrave à la modernité »

Entretien avec Asma Lamrabet

Rédigé par Assmaâ Rakho Mom | Vendredi 24 Octobre 2008 à 13:06

Le Groupe international d'études et de réflexion sur les femmes en islam (GIERFI) organise, vendredi 24 octobre à Rabat, sa deuxième conférence-débat lançant ses activités. L'occasion pour Saphirnews de présenter le dernier né des groupes de réflexion sur les femmes et l'islam, présidé celui-là par Asma Lamrabet, auteure entre autres ouvrages de « Le Coran et les femmes : une lecture de libération » (Tawhid, 2007). Entretien.



Saphirnews : Qu'est-ce que le GIERFI ?

Asma Lamrabet : Le GIERFI est un groupe international d'étude et de réflexion sur les femmes en Islam . Il est constitué de chercheur-es, universitaires, intellectuels-les, théologiens-nes et représentantes de la société civile du Maghreb, d'Europe, d'Amérique du Nord et d'Afrique sub-saharienne.



Pourquoi est-il lancé à Rabat et non à Barcelone, son siège ?

Asma Lamrabet : Le groupe a son siège à Barcelone. Il est membre du Conseil national des femmes de Catalogne et le lancement à eu d'abord lieu à Barcelone le 22 septembre 2008, où le groupe a organisé au sein d'un département de l'Université autonome de Barcelone, une conférence-débat afin de faire connaître aux médias et au public sa vision et ses objectifs. A Rabat, le 24 octobre prochain aura lieu la deuxième conférence-lancement des activités du GIERFI, et ce en partenariat avec une éminente institution religieuse qui est la Rabita Mohammedia des oulémas du Maroc, sous la présidence effective de son secrétaire général, Pr Ahmed Abbadi. Cet événement est doublement significatif pour nous puisque, en plus du lancement dans le cadre d'une institution religieuse reconnue mondialement, nous réalisons un de nos principaux objectifs : travailler en partenariat avec des savants et savantes afin de proposer des solutions concrètes de l'intérieur de l'islam à cette problématique. Ce qui va contribuer à promouvoir une pensée alternative sur les femmes en islam dans les débats contemporains.

Le GIERFI est-il un mouvement ancré dans la réalité maghrébine et destiné à lutter contre les statuts personnels instaurés dans ces pays, ou se veut-il universel ?

Asma Lamrabet, présidente du GIERFI
Asma Lamrabet : Le GIERFI se veut d'abord un groupe international qui regroupe des femmes musulmanes venant de différents horizons culturels et sociaux et liées par des valeurs et principes religieux communs. Ceci dit, il existe, malgré la diversité culturelle et les problèmes sociopolitiques inhérents à chaque contexte, un véritable "contentieux" quant à l'interprétation du religieux concernant la femme en islam, qui transcende les spécificités locales. Le statut juridique de la femme tel qu'il est représenté dans la majorité des statuts personnels du monde musulman se reflète aussi dans le discours islamique sur les femmes à l'intérieur des communautés islamiques en Occident.

Comment définiriez-vous le feminisme islamique ?

Asma Lamrabet : Le féminisme islamique est un mouvement de femmes musulmanes qui revendiquent des droits et des valeurs d'égalité, d'équité et de justice telles qu'elles sont prônées par les textes scripturaires de l'Islam : Coran et sunna. La démarche s'inscrit donc dans le cadre du référentiel islamique et selon une approche réformiste ouverte sur l'impératif des valeurs universelles et les données de la réalité contemporaine.

Le féminisme musulman se réfère-t-il à la Déclaration universelle islamique des droits de l'homme ?

Asma Lamrabet : Pas spécialement. La déclaration universelle des droits humains n'est pas en contradiction avec le message universel de l'islam et on peut s'y référer sans pour cela renier quoi que ce soit de notre référentiel spirituel.

Cette Déclaration ne permet pas par exemple le changement de religion, qu'en pensez-vous ?

Asma Lamrabet : Cela est du à une certaine lecture littéraliste des textes , car la liberté de croyance et de conviction est au cœur de l'islam.

Le féminisme islamique rejoint-il les mouvements féministes mondiaux par ses revendications, le droit à l'avortement par exemple ? Ou bien a-t-il ses revendications propres ?

Asma Lamrabet : Le féminisme islamique rejoint les mouvements féministes mondiaux dans ce qui sous tend ces mouvements, à savoir les principes universels de justice, de droits et d'égalité. Nous adhérons donc à ces grands principes mais il est de notre droit de ne pas adhérer à certains modèles. Il existe autant de modèles de « féminismes » qu'il existe de problèmes sociopolitiques propres à chaque contexte. Il y a toujours eu divergence au sein des mouvements féministes -parfois même une divergence profonde et au sein de mouvances d'un même pays. La pluralité de ce mouvement est donc une richesse et elle doit être respectée. Nous avons à l'instar des autres mouvements de femmes nos propres revendications et il est de notre droit de choisir en connaissance de cause les paramètres de notre propre émancipation. Ceci dit, le droit à l'avortement ne constitue pas pour nous une priorité d'autant plus que l'islam offre des latitudes et une grande flexibilité par rapport à cela. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi cette thématique n'a jamais été revendiquée et ce même par les féministes musulmanes laïques.

Enfin, comment comptez-vous concrètement 'promouvoir une émancipation de la femme musulmane qui puisse concilier foi et modernité' ?

Asma Lamrabet : L'islam en tant que message universel ne peut en aucun cas constituer une entrave à la modernité. La libération de la femme est au coeur de cette noble religion. Sauf qu'à force d'accumuler des interprétations discriminatoires à l'encontre des femmes, on a fini par sacraliser une lecture rigoriste et tronquée du religieux et à ne plus faire la part des choses entre ce que disent vraiment les sources et les compilations interprétatives humainement construites.

Actuellement, le discours islamique sur les femmes est complètement à l'opposé de ce qu'en disent les sources sacrées et c'est un discours qui en plus d'infantiliser la femme, est en décalage par rapport aux attentes et aux besoins des femmes musulmanes vivant au XXIe siècle. Promouvoir une émancipation de la femme qui puisse concilier foi et modernité passe d'abord par la nécessité pour les femmes de connaître leurs droits, ceux-là même qui leur ont été octroyés par l'islam, afin de ne plus se taire devant les injustices et les discriminations faites au nom de cette même religion. C'est là une première étape certes, mais une étape essentielle. Le reste viendra plus facilement... inchaAllah.