Points de vue

Alsace-Moselle : faut-il étendre le concordat à l'islam ?

Rédigé par Abdalhaq Nabaoui | Mercredi 21 Juin 2006 à 06:27



Après Mgr Dore, archevêque de Strasbourg, avec les présidents Jean-François Collange et Jean-Paul Humbert, François Grosdidier vient de proposer l’extension du régime concordataire en vigueur en Alsace-Moselle, au culte musulman et une modification de la loi de 1905 afin de « permettre aux collectivités locales qui le souhaitent de construire des lieux de culte pour répondre aux besoins de leur population ».

Cette prise de position courageuse en ces temps d’intolérance à l’égard du fait musulman mérite tout d’abord d’être saluée pour elle-même. Il convient de l’examiner à la fois techniquement et politiquement.

Techniquement, est-il absolument nécessaire d’exiger l’extension du régime concordataire à la religion musulmane ? La réponse à cette question est nuancée : théoriquement, en droit pur, il n’est pas absolument indispensable de bénéficier de ce régime pour construire de nouveaux lieux de culte. Il suffirait « simplement » – mais hélas les choses sont souvent plus compliquées – d’appliquer aux demandes la simple réglementation d’urbanisme.

Hélas, les règles en sont trop souvent détournées par des élus qui devraient en principe faire respecter la loi : détournements du droit de préemption urbain lorsque des associations religieuses veulent s’installer ou s’agrandir, refus de permis de construire pour réaliser de nouveaux locaux ou en aménager d’anciens, détournement de la législation pour essayer de décourager les associations qui ont réussi à s’installer… tout cela est le quotidien des associations musulmanes au pays des droits de l’homme.

Théoriquement, donc, nous voyons bien que l’application de la seule législation existante pourrait suffire. Concrètement, il n’en n’est rien. En ce sens, l’extension du régime concordataire au culte musulman permettrait de faire sortir celui-ci de la précarité juridique qui est son quotidien en ne laissant plus seulement aux collectivités locales la simple faculté de l’aider, mais en donnant à ce culte des droits, sanctionnés pas la loi, dans un souci de traitement égalitaire des différentes confessions s’exerçant sur un territoire donné.

Politiquement, la question est encore plus délicate – en admettant que le principe même de l’extension ne pose aucun problème, ce qui n’est peut-être pas le cas !

Imaginons cette extension du régime concordataire devenue de droit positif. Quelle sera la réaction des collectivités locales ? Prenons un exemple concret : l’attribution de locaux au Conseil Régional du Culte Musulman. Alors qu’en droit local la compétence cultuelle est communale, nous nous sommes heurtés, lors des deux premières années de vie du CRCM a un refus de certaines communes, arguant du fait que le Conseil étant régional, c’était à la Région de rechercher et d’attribuer des locaux en tant que de besoin.

Si l’on ajoute à cela, le refus de certains exécutifs locaux d’avoir des rapports à peu près normaux avec tel ou tel président de CRCM élu au motif qu’il ne lui convenaient pas, on se heurte là à une dimension qui, pour être non écrite, n’en n’est pas mois extrêmement lourde à gérer sur le plan local. Il faudra que la loi soit bien précise et bien contraignante pour éviter la poursuite de tels errements. L’introduction, dans le nouveau Code de la propriété des personnes publiques, qui vient d’être publié, de la faculté expresse attribuée aux collectivités locales de consentir des baux emphytéotiques pour la construction de lieux de culte méritera d’être observée attentivement dans la pratique.

De façon plus générale, rien ne pourra se faire sans le soutien ferme de l’Etat qui est toujours, que les gouvernements soient de droite ou de gauche, plus attentif au développement harmonieux du culte musulman que bien des collectivités locales, du moins quand il ne s’abrite pas derrière le principe de leur « libre administration » pour éviter de gênantes questions de simple respect des droits de l’Homme…

Malgré ces réserves, redisons-le, cette initiative mérite d’être saluée comme un geste important en faveur des fidèles musulmans de ce pays, dans un souci d’effectivité plus grande du principe d’égalité. Cet effort en faveur de plus de droit, de plus d’Etat, est de nature à apporter un élément de réponse aux questions qui ont été brutalement posées l’hiver dernier par les banlieues. Souhaitons maintenant que l’on n’utilise pas l’argument éculé du calendrier parlementaire trop chargé pour éviter d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale…

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Abdalhaq Nabaoui est le président de l’Union des organisations islamiques dans le Grand Est (Alsace, Lorraine et Franche-Comté).