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Afef Jnifen : « Le retour en force de Berlusconi ne présage rien de bon pour la communauté arabe d’Italie »

Rédigé par Propos reccueillis par Fériel Berraies Guigny | Mardi 29 Avril 2008 à 12:47

A l’issue des élections législatives et sénatoriales en Italie qui ont annoncé le retour en force de la Ligue du Nord et de son « cavaliere » Berlusconi, nous nous sommes entretenus avec Afef Jnifen pour qu’elle nous fasse part de ses premières impressions, mais également de son combat pour démystifier l’image négative de l’islam en Italie. Une discussion à bâtons rompus, sur les effets de la polémique Magdi Alam suite à sa conversion et le poids des accusations qu’il a portées à l’encontre de la religion musulmane dans le monde, s’en est suivie.

Afef Jnifen est plus qu’une simple icône du glamour et de la beauté, bien qu’elle avoue devoir beaucoup à ce monde qui continue à la séduire. Afef Jnifen, aux côtés de l’actrice française d’origine algérienne Rachida Brakni sont les deux premières égéries du monde arabe à pénétrer dans le monde si fermé de la haute cosmétique avec l’Oréal. Et ce qui ne gâche rien, elle est aussi l'épouse de Marco Tronchetti Provera, président de Telecom Italia et de Pirelli. Elle fera aussi une entrée très remarquée au Festival de Cannes 2008 qui l’intronisera et par la même, la fera connaître à la presse internationale. Une entrée de pleins feux dans le people world qui ne l’empêche pas pour autant de prêter sa notoriété à des causes nobles, comme l’enfance en danger ou malade. Et surtout, de continuer à militer contre l’image négative de l’immigration et de l’islam dans son pays d’adoption.



Icône de la mode puis de la télévision italienne, comment expliquez vous votre intérêt pour le politique et les questions sociales?

Afef Jnifen - (Les droits réservés de la photo sont de Afef Jnifen.)
Afef Jnifen : La mode est certainement une vocation que je continue d’exercer; d’ailleurs l’Oréal m’a dernièrement intégrée dans sa campagne cosmétique. Je suis la première égérie du monde arabe à avoir cet honneur. Avant moi il est vrai que l’on optait plus pour des Jane Fonda, Claudia Schiffer ou encore Pénélope Cruz. Quant à la télévision italienne, il est vrai que le programme satirique sur la société italienne que j’avais animé l’année dernière avait reçu un franc succès. J’ai d’ailleurs obtenu un oscar de la télévision italienne pour ce programme. S’agissant de mon intérêt pour la politique, j’y baigne déjà depuis ma plus tendre enfance, à travers la carrière de mon père, et encore aujourd’hui je l’avoue je suis de très près les mutations de la société italienne et sa vision du monde arabe. Face à certaines déclarations, certaines images faussées concernant le monde arabe, il m’est difficile de rester stoïque. C’est ce qui m’a poussée à réagir à bien des occasions. Les questions liées à l’immigration arabe, au communautarisme religieux, ont fait que j’ai profité de ma notoriété pour défendre cette communauté. Même si moi-même je ne relève pas de l’immigration économique, je me sens investie de ce rôle, celui qui consiste à déconstruire certains stéréotypes extrêmement dangereux s’agissant de l’islam et de l’immigration en Italie. Du reste, la communauté arabe d’Italie soutient mon combat et est très fière de mes actions.

Vous êtes connue pour vos prises de position contre la xénophobie en Italie, quel est pour vous l’image que la femme arabe devrait donner en terre d’Occident ?

A. J. : Je suis désireuse avant tout de casser certains clichés qui nous présentent comme des femmes soumises, sans droits et sans fonction. Je me bats pour expliquer qu’au contraire, dans certaines sociétés non seulement la femme est l’égale de l’homme mais elle occupe aussi de hautes fonctions. En Tunisie, par exemple il y a plus de femmes dans le Parlement qu’en Italie ou en France. Je considère qu’elles n’ont rien à nous apprendre, ces sociétés occidentales. Bien sûr les mentalités arabes doivent aussi évoluer notamment au sein de certains pays du Golfe. Mais pour ce qui est du Maghreb, la femme a certainement une place importante au sein de la société. Le plus grand danger aujourd’hui provient des médias occidentaux qui déforment certaines réalités.

On vous voit beaucoup dans le sillage des politiques, auriez-vous des velléités de carrière ?

A. J. : Je suis vraiment à l’aise dans ces sphères-là, il est vrai. La politique m’attire, mais aujourd’hui je n’envisage pas de faire une carrière, et puis je ne suis pas encore dans l’âge politiquement correct, je n’y pense donc pas pour l’instant, peut être dans quelques années. Et puis, il me faudra alors avoir quitté le monde de la mode, pour avoir une certaine crédibilité.

Des rumeurs vous disaient promue à un passage dans le Sénat italien ?

A. J. : Il y a deux ans, il est vrai que la collaboration avec Berlusconi et certaines de mes prises de position s’agissant du monde arabe, ont fait que j’y avais pensé, mais ensuite le gouvernement a changé.

Entre temps Berlusconi est revenu

A. J. : Oui mais aujourd’hui, à l’instar d’il y a deux ans, je n’envisage plus une collaboration avec lui. De plus j’ai soutenu pendant cette campagne la candidature de Veltroni, je suis plus proche de ses idéaux politiques. Et pour moi, la défaite d’aujourd’hui est assez éprouvante car elle signe également un retour en force de la Ligue et tout ce qui va s’ensuivre d’effets négatifs pour la communauté arabo-musulmane d’Italie.

Vous vous dites « Conseillère technique » pour les questions touchant le monde arabe, cette expérience vous tenterait elle une seconde fois ?

A. J. : Oui peut être, pourquoi pas, une fois mes engagements avec la mode finie. Mon travail était simple, il ne me demandait pas vraiment de démontrer une connaissance en géopolitique ou en diplomatie, je conseillais selon ma propre opinion personnelle, basée sur la connaissance que j’ai du monde arabe et de sa mentalité. La connaissance des deux cultures et le fait de constater que nos deux mondes passent par une période de crise, ont fait le reste.

Vous êtes par ailleurs engagée dans certains combats humanitaires, pouvez-nous en parler ?

A. J. : Je fais beaucoup d’actions pour venir en aide aux enfants malades, ou encore pour contrer le phénomène de la pédophilie, et celui des enfants des rues. Cette action s’inscrit dans le cadre national.

L’Italie actuelle enregistre une montée du racisme, et une méconnaissance du monde musulman, à quoi attribuez vous cela ?

A. J. : Je pense que les médias ont un rôle très important dans l’approvisionnement en clichés et stéréotypes faussés. Par ailleurs, il est vrai aussi que le monde arabe a parfois un discours dur et assez violent qui court le risque d’être récupéré par l’extrême droite. Entre nous par ailleurs, nous ne savons pas dialoguer dans la mesure et quand on fait face à l’Occident c’est toujours dans une dynamique agressive et sans concession. Et cela alimente les discours de haine et la désinformation, et on ne récupère en Occident que ce qui peut être sensationnel et contre le monde musulman.

Parlez de l’affaire Majdi Alam, pensez-vous que cette polémique va contribuer à creuser davantage les écarts entre les communautés religieuses ?

A. J. : Dans ma réponse dans la Stampa en Italie, j’ai bien expliqué que non, l’affaire Majdi Allam n’allait sûrement pas générer des émeutes ou des attentats, il n’est pas si important que ça, même si on sait que c’est un individu qui a des procédés qui sont plus du registre du coup médiatique. Je pense qu’il a un problème de reconnaissance, et c’est presque narcissique. Je pense que ce monsieur a un sérieux problème d’identité, un jour il dit quelque chose, le lendemain il dit le contraire. Le problème ne vient pas de sa conversion, mais des accusations qu’il a porté à l’encontre de l’islam qui ont encore plus exacerbé les haines et l’incompréhension entre les communautés en Italie.

Dans ce cas de figure, que pensez-vous de l’implication du Vatican pour la conversion au catholicisme de Monsieur Alam ?

A. J. : Monsieur Alam voulait jouer au martyr potentiel, il en a fait une véritable mise en scène. Je ne comprends pas qu’il puisse devenir plus royaliste que le roi, les articles qu’il a écrit sur l’islam dépassent de loin les tons de certains mouvements d’extrême droite. En fait il en a fait un fond de commerce, la haine contre l’islam. Et le jour de sa conversion, je disais aux médias italiens, vous verrez qu’il écrira un best seller sur le sujet et le lendemain même, j’ai été informée qu’il avait fini son livre à paraître prochainement. Je l’ai attaqué et j’ai critiqué ses propos. C’était un véritable bras de fer, entre les deux seules personnalités du monde arabe en Italie : Moi versus Lui. Quand à sa conversion par le pape, je pense qu’il a profité du fait qu’il connaissait énormément de monde qui évoluait autour du Vatican, pour profiter d’une conversion hautement médiatique.

Vous vous êtes insurgée plusieurs fois contre les écrits anti islamiques de Oriana Fallaci ?

A. J. : C’est aussi un autre cas, mais je trouve cela un peu plus légitime, qu’une italienne parle en ces tons, même si je ne suis pas d’accord avec ces propos, qui disaient que les arabes allaient envahir l’Europe, car non seulement c’est faux, mais cela incite également à une profonde incompréhension par rapport à l’islam. Aujourd’hui, elle n’est plus de ce monde, Dieu ait son âme. Je suis plus gênée s’agissant de Magdi Alam, un ancien musulman, qui tient des propos extrêmement racistes et le danger vient justement du fait qu’il est extrêmement lu en Italie.

L’Eurabie serait juste un mythe selon vous ?

A. J. : Oui absolument, la communauté arabe en Italie n’est pas si nombreuse par ailleurs, la communauté est surtout composée de main d’œuvre, il n’y a pas d’intellectuels. C’est la raison pour laquelle, cette communauté ne peut se défendre contre les discours incitant à la haine.

Comment qualifierez-vous l’Italie d’aujourd’hui, d’anti-métisse?

A. J. : Non pas vraiment, l’Italien n’est pas raciste dans sa nature. Mais le retour en force de la Ligue, à partir d’aujourd’hui, n’augure rien de bon pour notre communauté. Il faut s’attendre à des temps durs avec ce nouveau gouvernement, car les fossés d’incompréhensions grâce aux médias vont se creuser. On risque de revenir à ce qu’on avait expérimenté déjà il y a deux ans. C’est un coup terrible pour nous, je suis personnellement assez éprouvée, ce soir à la lecture des résultats.