Société

AC LE FEU défie les politiques

Rédigé par Nadia Sweeny | Vendredi 27 Octobre 2006 à 15:35

Le collectif de Clichy Sous Bois, AC LE FEU (Association Collectif Liberté Egalité Fraternité Ensemble Unis), a organisé mercredi 25 octobre 2006, une marche de la place Denfert Rochereau à l’Assemblée nationale, à Paris. Environ 500 manifestants se sont réunis afin de déposer aux parlementaires les Cahiers de Doléances de 20 000 français. Ces témoignages ont été recueillis suite à une tournée du collectif dans plus de 120 villes.



Créé après la mort de Zyed et Bounna, 17 et 15 ans, le 27 octobre 2005 à Clichy sous bois (93), et suite aux émeutes des banlieues françaises, le collectif Ac le Feu se démarque par son engagement citoyen. Plusieurs centaines de personnes, d'horizons très divers, se sont réunies, ce mercredi 25 octobre à 14h place Denfert Rochereau à Paris, sous des slogans tels que « le plus grand parti politique de France c’est le peuple », ou encore « voter, c’est exister ».


la parole du peuple


La marche s’est dirigée vers l’Assemblée nationale, en vue de remettre aux parlementaires des cahiers de doléances. Durant un an, le collectif Ac le feu a parcouru plus de 120 villes françaises, récoltant plus de 20 000 témoignages. « A l’instar des sans culottes de la révolution française de 1789, notre démarche vise à faire remonter l’expression populaire auprès des élites de la nation. » écrit ainsi le collectif dans sa synthèse.

« Les deux petits qui sont décédés a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Je n’excuse pas la réaction des jeunes durant les émeutes, mais je suis à 8000 % d’accord avec eux. » Déclare Rafika, 21 ans, habitante de Clichy Sous-Bois et membre du collectif AC le feu. Un grand nombre de journalistes étaient présents. La majorité des chaînes de télévisions et une grande partie des radios nationales et locales se sont déplacées. « Si les journalistes prennent les mauvais mots et disent encore, voici des noirs et des arabes fâchés qui font ça, ça ne sert à rien. Mais si ils diffusent nos véritables slogans, je suis flattée et très émue qu’ils soient tous là. » Déclare ainsi la jeune femme.

Une délégation du collectif a été reçue au Sénat vers 16h00, puis, en fin de journée à l’Assemblée nationale. Ils ont pu remettre aux parlementaires les cahiers de doléances. « Tous les problèmes et les solutions qui ont été évoqués, nous les amenons à l’Assemblée Nationale en disant : voila maintenant ce n’est pas à nous de travailler pour vous, mais à vous de travailler pour nous. Nous vous apportons la parole du peuple. » Explique enfin Rafika.

Doléances et propositions

Rafika portant une partie des Cahiers de Doléances

Un travail d’une importance capitale a été réalisé par ces jeunes de Clichy Sous-Bois. Non seulement ces cahiers de doléances évoquent les difficultés rencontrées par une partie de la population française, mais ils tentent d'y apporter des solutions en émettant des propositions. Un véritable défi est ainsi lancé à la classe dirigeante.

Première doléance, l’emploi. « Les jeunes dénoncent le système pervers qui consiste à leur demander de l’expérience qu’on ne leur donne jamais l’occasion d’acquérir. (…) Le leitmotiv, c’est le sentiment que la France ne laisse pas sa chance à sa jeunesse. » Peut on lire dans ces cahiers. Une vingtaine de propositions claires sont évoquées comme :« Un quota minimum de salariés de moins de 25 ans dans les entreprises. (...) Le rétablissement des emplois jeunes. La création d’une banque nationale d’aide à la création d’entreprises par les jeunes. Une meilleure couverture géographique des filières BTS et IUT.»

Seconde doléance : « trop, trop, trop de discriminations racistes ! » Plus de la moitié des témoignages parlent de ce problème, la plupart étant évoqués par les jeunes entre 18 et 25 ans. Il faudrait « garantir l’égal accès aux services publics (…) dans les quartiers défavorisés. Les diplômes étrangers doivent être reconnus à fonction égal, salaire égal. (…) Enseigner une Histoire partagée et plus juste, sur la colonisation et les traites. »

Les conditions de vie, l’insalubrité, la difficulté de trouver un logement à loyer raisonnable, sont des problèmes récurrents. Les propositions sont, entre autres, « La limitation des hausses de loyers en fonction de l'évolution des salaires, la création d'une caisse nationale d'assurance sociale pour les cautions. (...) Le respect des obligations de la loi sur la Solidarité et le Renouvellement Urbain (ndlr : impliquant 20% de logment social obligatoire par commune), sans dérogation : suspension ou inéligibilité des maires récalcitrants. Décloisonner les grands ensembles, faciliter les accès aux centres villes. (…) La création d’emploi pour l’entretien des cités par des jeunes de la cité. »

Justice et égalité


Les quatrième et cinquième réclamations concernent la justice et les pratiques policières. « Les cahiers de doléances sont l’expression d’une criante et désespérée demande de justice. » Les propositions sont diverses et impliquent notamment « la diversité (sociale, culturelle et ethnique) dans le recrutement des magistrats et autres membres du tribunal» , la gratuité de la justice et l’abolition de certains privilèges.

Concernant la police, les témoignages « sont loin de revendiquer la suppression de la police ou de se muer aux appels aux armes ou à la justice privée (…) ». Ils réclament que les violences policières soient sévèrement réprimandées, « ce qui implique de prendre en compte les plaintes des victimes. La police devrait être exemplaire. » Ils demandent une désolidarisation et l’indépendance des corps d’inspection de la police, l’IGS (Inspection Général des Service) et l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) ; mais aussi une meilleur formation des policiers, « le rétablissement de la police de proximité et de cadres de dialogue social. »
Concernant l’insécurité, selon les témoignages des habitants de ces quartiers, ce n'est pas une priorité « au regard des questions cruciales pour leur avenir (…) » Par contre, ils « fustigent la tranquillité dans laquelle les trafiquants en tout genre « exercent leur métier », au vu et au su de tous, et de la police. S’attaquer aux trafics sans soupçonner l’ensemble de la population d’un quartier, c’est bien à cela que doit servir un travail d’enquête sérieux. »

L'amalgame entre islam et islamisme

L’éducation, la répartition des richesses, la citoyenneté et la santé sont aussi évoquées dans ces cahiers. Les problèmes de bourses, les politiques d’orientation précoce, le manque de moyens de l’Education nationale, sont autant de problèmes cités.
L’Islam est aussi un sujet abordé. L’essentiel des cahiers le mentionnant dénoncent « les effets secondaires de la loi sur le voile en terme de regard social, de discrimination dans le monde de l’entreprise ou à l’embauche, et surtout, l’amalgame permanent entre islam et islamisme, islam et terrorisme, et l’idée sous jacente que les musulmans ne seraient pas loyaux à la France et à la République. » Le souhait est de favoriser l'information et l'échange.
La condition des femmes, de son côté, fait l’objet de propositions telles que la parité des salaires, des moyens de communiquer, notamment avec les jeunes garçons, sur l’émancipation et le droit des femmes, mais aussi mieux organiser l’accueil des victimes de violences sexuelles dans les commissariats.

Les politiques sont enfin montrés du doigt, par leur « manque de respect des engagements pris, le manque de proximité et d’écoute, de consultation et de prise en compte des citoyens et de leurs besoins. Le sentiment que la « classe politique » est une caste privilégiée (économiquement et au plan judiciaire) revient régulièrement. » Ils proposent donc de créer une loi « organisant le contrôle de la réalisation des promesses de campagne », mais aussi de « développer l’usage du référendum pour les grandes décisions. »

Plus que de simples recommandations émises par un bureau de consultation, les points mis en avant dans ces cahiers font office de véritables prescriptions politiques. Les jeunes de Clichy Sous-Bois, dont certains avouent avoir participé aux émeutes de novembre 2005, se sont organisés dans un véritable mouvement citoyen qui prouve à tous que leur colère relève d’un véritable ras-le-bol et non d’une volonté opaque de « foutre la m... ». Un défi et une main tendue de manière claire en direction des politiques. Le collectif espère que ceux-ci seront « à la hauteur de cet évènement. »