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« 100 mosquées attendent encore leurs imams »

Islam turc de France

Rédigé par Propos recueillis par Selami Varlik | Mercredi 30 Septembre 2009 à 06:00

Ömer-Faruk Harman est conseiller aux Affaires religieuses à l’ambassade de Turquie, en France, jusqu’au 30 septembre. Dans un entretien accordé avant son départ, il décrit la gestion des imams turcs en France et revient sur le problème du manque d’imams suffisamment formés, notamment du point de vue de la langue française.



Ömer-Faruk Harman (à g.), lors de l'inauguration de la mosquée Mevlana à Gien (Région Centre) , en mai 2008.

Ça fait maintenant quatre ans que vous êtes conseiller aux Affaires religieuses et votre fonction touche bientôt à sa fin…

Oui, mon travail de conseiller aux Affaires religieuses à l’ambassade de Turquie avait commencé le 12 septembre 2005 et s’achèvera le 30 septembre 2009. Normalement, la mission dure trois ans, mais il y a une possibilité de prolongation d’une année. Avant de venir ici, j’étais professeur d’histoire des religions à la faculté de théologie de l’université d’Ankara, je vais probablement retrouver mes fonctions. Mon domaine de recherche touche plus particulièrement l’histoire et les textes sacrés du judaïsme et du christianisme.

Quelle est votre fonction ?

J’étais dans le domaine de la recherche, des séminaires, des conférences et des cours d’université. A Paris, c'est différent, je devais descendre sur le terrain, aller à la rencontre des Turcs de France.
En tant que conseiller aux affaires religieuses, je suis responsable des services liés au culte, soit principalement de la gestion et du contrôle des imams en fonction dans les mosquées turques de France, l’objectif étant de répondre au mieux aux attentes de nos citoyens.
Nous avons donc aussi bien la charge de gérer les imams de France que de prendre en charge le dialogue entre ces derniers et la population.

Combien d’imams turcs officient actuellement en France ?

Quand je suis arrivé en 2005, nous avions en France 71 imams sous contrat avec l’État turc.
Aujourd’hui, leur nombre est de 121. Ils sont donc tous salariés de l’État turc. La grande majorité sont diplômés d’une faculté de théologie. Parmi eux, certains poursuivent encore leurs études en entamant en France des masters et des doctorats.
Je crois que l’on peut dire que parmi les imams des différentes communautés que constituent les 6 millions de musulmans de France, ceux de Turquie sont certainement les plus qualifiés. Aussi bien sur le plan de l’enseignement universitaire qu’ils ont suivi que sur le plan de leur dépendance à l’égard d’une institution qui les contrôle.

Pourquoi ce contrôle des imams par l’État turc est-il important ?

Comme tout pays, l’État français voudrait que règne dans sa population une paix civile et que l’intégration se fasse sans difficultés. Il voudrait que les membres des différentes communautés vivent sereinement dans la société française en en respectant les valeurs culturelles. En ce sens, comme tout autre pays, l’État français veut éviter toute forme de radicalisme et de fondamentalisme.
Sous cet angle, le fait que les imams venant de Turquie soient des fonctionnaires de l’État turc et qu’ils soient donc sous son contrôle assure certaines garanties. Nous avons la capacité de garder sous contrôle le discours religieux qu’ils diffusent ainsi que le type de relation qu’ils développent avec la société française. Ils ne sont pas libres de dire ni de faire ce qu’ils veulent.

Y a-t-il beaucoup de mosquées en attente d’imams ?

Non, 100 mosquées attendent encore leurs imams. L’État turc est prêt à les envoyer, mais c’est la France qui s’oppose à cause de sa conception de la laïcité.
Sur ce point, nous rencontrons encore des difficultés. Nous répondons aux responsables français que s’ils veulent se préserver des extrêmes et promouvoir l’intégration, nos imams ne font précisément pas partie de ces extrêmes. Autrement, ils ne seraient pas fonctionnaires de l’État turc.
Nous leur disons que plus ils nous permettront d’avoir ici des imams sous contrat, plus on pourra augmenter les chances d’avoir un discours en faveur de l’intégration. Nous demandons encore 30 postes sous contrat, mais ils ne nous ont toujours pas été accordés.

Comment alors avez-vous pu passer de 71 à 121 imams sous contrat ?

En 2004, alors qu’il n’y avait que 71 imams sous contrat, il y a eu des discussions avec les responsables français, qui nous ont alors accordé 50 nouveaux postes, qui devaient s’échelonner sur plusieurs années. C’est ainsi que nous sommes arrivés aujourd’hui à 121 imams.
Depuis, il n’y a pas eu de nouvelles augmentations. Alors que ce problème est très important. Étant donné mes fonctions, je suis en contact avec les Turcs vivant en France. Leur principale requête, c’est d’avoir un imam dans leur mosquée, aussi bien pour la prière, notamment durant le mois de Ramadan, que pour les mariages, les décès, les naissances, la formation religieuse des enfants.

N’est-ce pas paradoxal puisque la France se soucie justement de pouvoir former des imams en France, conformément aux valeurs culturelles françaises ?

Ce qu’on leur répond, c’est que notre proposition va précisément dans le sens de leur souhait. Par exemple, actuellement en France, les Algériens représentent la minorité la plus importante en nombre, mais il y a plus de mosquées marocaines. Il y a en France près de 2 000 mosquées.
Combien y a-t-il en France d’imams venant du Maroc, payés par l’Etat marocain et ayant un certain niveau d’études universitaires ? Il faudrait faire une enquête pour voir quel est le niveau d’instruction universitaire des imams des autres communautés et voir dans quelle mesure leurs États respectifs parviennent à les contrôler.
Malgré cela, nos demandes de nouveaux postes d’imams n’ont malheureusement pas de réponses positives. Il est difficile de comprendre pourquoi.

Que font les mosquées sans imam ? Ont-elles des solutions de rechange ?

Les mosquées sans responsable du culte se retrouvent dans l’obligation d’inviter des imams de Turquie pour des durées de trois mois. C’est la mosquée elle-même qui prend alors en charge le salaire de l’imam et les frais, qui sont très importants puisqu’ils vont et viennent tous les trois mois. Ces imams ne sont pas sous contrats avec l’État. Il y a actuellement 36 imams qui officient de cette façon en France. En trois mois, ils ne parviennent ni à s’adapter à la France, ni à développer des liens avec les membres de leurs communautés.
On a demandé pour ces imams des droits de séjour d’un an. Le ministère de l’Intérieur avait accepté, mais celui de l’Immigration s’y oppose toujours. Certaines mosquées ont recours à cette possibilité uniquement pour le mois de Ramadan, d’autres le font régulièrement, parfois avec le même imam, qui fait des allers-retours. Tout dépend de la relation qu’il entretient avec la communauté.

Il y a aussi la nouvelle initiative permettant à des jeunes bacheliers français d’origine turque de suivre des études théologiques en Turquie ?

Oui, l’objectif est de faire en sorte que les imams qui vont être en fonction dans les différents pays européens soient eux-mêmes issus de ces pays. Le ministère turc des Affaires religieuses a ainsi lancé il y a trois ans cette initiative, proposant à des jeunes bacheliers franco-turcs de suivre en Turquie des études théologiques à l’université d’Ankara, en tant que boursiers.
Actuellement, 30 élèves suivent cet enseignement. Ils sont financièrement totalement pris en charge par le ministère des Affaires religieuses.

À l’issue de leurs études, leurs contrats en tant qu’imams sont-ils certains ?

Pour l’instant, on leur offre la possibilité de suivre gratuitement des études de théologie. Certains d’entre eux feront sans doute de la recherche avec un troisième cycle. Pour que les autres puissent officier comme imams en France, certaines questions devront trouver des réponses : quels statuts auront-ils ? Qui va payer leurs salaires, la Turquie ou la France ?
Étant donné la loi de 1905, ce serait assez difficile que ce soit la France. La même question se pose pour la Turquie. Mais, dans tous les cas, il est important qu’on ait des imams connaissant aussi bien la langue que la culture française. Selon moi, le prochain pas à franchir sera la création en France d’une faculté de théologie islamique, ce qui n’est possible que dans l’Alsace-Moselle.
Personnellement, je suis tout à fait favorable à ce que ces jeunes Français d’origine turque qui suivent 4 ans d’enseignement théologique en Turquie et qui poursuivent un 3e cycle aient des fonctions dans une telle institution. Les autorités françaises voient d’un bon œil le projet d’une faculté internationale de théologie islamique.

Comment pourrait fonctionner cette faculté ?

Elle pourrait être ouverte conjointement entre plusieurs pays en relations avec les autorités françaises. Il y avait eu un tel projet dans les années 1990, mais l’opinion publique n’était pas prête. Mais les choses changent, les Français connaissent de plus en plus les Turcs et l’islam. Les murs d’ignorance vont ainsi lentement s’écrouler.

Pour vous, la connaissance de la langue française chez les imams est capitale ?

Elle est essentielle. Nous avons mis en place un partenariat avec les autorités afin que les imams puissent avoir une formation à la langue française.
C’est actuellement l’Institut de langue et de culture française, relié à l’Institut catholique de Paris, qui s’en occupe. En plus des 400 heures de cours de langue française obligatoire à Ankara, de plus en plus d’imams suivent 6 mois de perfectionnement dans cet institut. Les nouveaux imams suivent systématiquement cette formation. Ils étaient 12 l’an dernier, 15 nouveaux imams arrivés cette année ont commencé les cours au début du mois d’août. La formation va durer jusqu’au mois de février 2010.
Ces cours sont très importants. Dans de nombreuses mosquées turques, près de la moitié des personnes présentes à la prière du vendredi ne sont pas Turcs. Peut-être faudrait-il à long terme faire en sorte qu’une partie du sermon soit en français, comme c’est le cas à la Grande Mosquée de Paris. Cela permettrait également de développer les liens entre la communauté turque et le reste des populations vivant en France. Le principal obstacle à l’intégration est la méconnaissance de la langue française.

L’objectif est peut-être aussi de permettre un meilleur contact entre les imams et les jeunes générations ?

Oui, bien sûr. Un imam doit connaître la culture et la langue de la société dans laquelle il vit. Autrement, il ne pourra tisser des liens ni avec la jeune génération de musulmans turcs ni avec son voisinage. C’est pourquoi ce projet de formation des étudiants franco-turcs en Turquie me semble très important, même s’ils ne finissent pas tous imams. Dans tous les cas, nous auront besoin d’eux dans nos multiples activités liées à la gestion du culte islamique au sein de la communauté turque et du point de vue de ces rapports avec la société française.
L’objectif est de tout faire pour augmenter le nombre d’imams parlant français. Ce projet évoqué, l’idée d’une faculté de théologie à Strasbourg ou la formation de six mois en français font partie des initiatives pour régler le problème de la formation d’imams connaissant la langue et la culture française.

Trouvez-vous que les Turcs s’investissent assez dans la vie sociale et culturelle française ? Eux aussi n’ont-ils pas des efforts à faire pour qu’on connaisse mieux leur monde et leur religion ?

Il est important que les Turcs réussissent à se faire connaître. Pour cela, il faut être présent socialement, prendre part à la vie politique locale, user du droit de vote et d’éligibilité. Nous conseillons ainsi à nos citoyens de prendre la nationalité française, ce n’est absolument pas incompatible avec l’islam.
Si vous avec une communauté de 500 personnes mais vous n’avez que 5 votants, les candidats ne vont tenir compte que de ces 5 personnes. Si les 500 votaient, l’attitude à leur égard serait très différente.

Avez-vous constaté une évolution sur ce plan durant ces cinq ans ?

Oui, absolument. Dans la direction de la plupart des associations turques de France, la génération des primo-arrivants a laissé la place à des jeunes qui sont nés en France et qui sont parfaitement francophones. La deuxième et la troisième génération sont bien plus actives ; elles mêlent leur énergie à l’expérience des anciens. Elles ne sont plus renfermées sur elles-mêmes. Elles n’hésitent pas à établir des contacts avec la société française.






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