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Islam, “esclaves” (ou “castés”) et catégories de race en Afrique de l’ouest musulmane
Infos pratiques
du Jeudi 5 Juin 2014 au Vendredi 6 Juin 2014
Laboratoire d’Anthropologie Sociale - Collège de France - Salle Claude Lévi Strauss : 52, rue du Cardinal Lemoine (M° Maubert-Mutualité)
75005 Paris
Description
Journées d’études : “Islam, ‘esclaves’ (ou ‘castés’) et catégories de race en Afrique de l’ouest musulmane” — Jeudi 5 et vendredi 6 juin 2014 — Laboratoire d’Anthropologie Sociale, Collège de France, 52 rue du Cardinal Lemoine, 75005 Paris, Salle Claude Lévi Strauss (M° Maubert-Mutualité)

I. L’‘esclave’ selon l’islam de l’Occident musulman : macule de l’infidélité ou émancipation par l’incorporation du Coran

Lors du premier panel, il s’agira de mettre en tension deux modalités de « l’argument de race », l’appartenance à l’islam ou son exclusion présentes dans des énoncés à l’endroit des « esclaves » ou des « castés ». La première modalité prégnante plutôt dans la boucle du Niger, privilégiera l’ancestralité arabe (descendant de Mahomet ou sharîf…) ou islamique. A l’opposé de ceux qui prétendent à une telle ascendance, les populations noires asservies sont marquées jusqu’à maintenant par la « macule de l’infidélité » (stain of infedility). Et ce, même après conversion et manumission comme le démontre Bruce Hall dans A History of Race in Muslim West Africa, 1600-1960 (New York, Cambridge University Press 2011). L’infidélité et non la couleur de peau étant la justification légale selon le fiqh de la mise en esclavage, celle-ci remonte au jihâd au cours duquel l’ancêtre présumé païen de l’esclave aurait été capturé.

Une seconde modalité plus inclusive de l’argument de race mit en avant, non plus l’hérédité, mais la conversion et l’apprentissage du savoir coranique et islamique (‘ilm) ou de la connaissance mystique (ma‘rifa). Celle-ci prévalut dans l’ensemble Mauritano-Sénégambien « atlantique » à partir de la fin du XVIIe siècle comme le montre Rudolph Ware dans The Walking Qur’an, Islamic Education, Embodied Knowledge, and History in West Africa (University of Carolina Press, à paraître). L’islam y fut émancipateur à l’égard des esclaves à deux moments distincts. Á la fin XVIIIe et au début XIXe siècles les fondateurs des imamats Fulbe/Fulani qui ne prétendaient à une origine chérifienne[1], luttèrent au départ contre la mise en esclavage des musulmans et leur vente sur les bateaux des chrétiens. Cette période coïncidant avec la campagne pour l’abolition de la traite atlantique, on prendra la mesure des malentendus entre les protagonistes de deux formes d’abolitionnisme, celui occidental, sécularisé, et celui d’Afrique de l’Ouest, restreint aux seuls musulmans[2]. Le second moment d’émancipation de la fin du XIXème et du début du XXème siècles, fut impulsé par les ordres soufis post-jihâd (Muridiyya…) précédant souvent les abolitions « légales » de 1904/1905[3].

II. Les catégories de « descendants d’esclaves » ou de « castés » : substances, relations

La seconde matinée s’interrogera sur les autres fondements de la résilience contemporaine des catégories de « descendants d’esclaves » ou de « castés » (artisans, griots…). Les limitations au respect des obligations de l’islam édictées aux descendants d’esclaves ou bien l’exclusion matrimoniale qui les transforment en « quasi caste » ne peuvent s’expliquer qu’en mettant en rapport les énoncés attribuant une « infidélité permanente » (Scheele 2012) et les divers domaines du social. En outre ces catégories qu’on ne peut plus confondre avec des groupes discrets (« libres, « castés »..) sont prises dans des relations transversales aux autres champs du social ou de l’économie – parenté à plaisanterie, relations de pouvoir ou types d’extranéité[4]… Cet ensemble, que certains anthropologues envisagent maintenant comme un continuum, est néanmoins fragmenté par des distinctions purs/impurs, des références à des substances corporelles véhiculant des valeurs morales et esthétiques – couleurs de peau ou humeurs vitales (sang, lait…).

On se demandera comment s’articulent les composantes relationnelles et substantielles de ces catégories. Quelles sont les réponses des individus ou des groupes face à l’invocation de ces « humeurs morales » dans la sphère semi-publique du mariage, dans la pratique religieuse et dans la vie politique ? Stratégie de mobilisation, inversion du stigmate, quête de la reconnaissance islamique… Nous croiserons également les questions de race, de catégories sociales et de genre selon la perspective de l’intersectionalité. Il existe des différences marquantes selon qu’on est un homme ou une femme esclave, surtout du point de vue du mariage, de l’héritage, et de la filiation, et bien évidemment des activités serviles. Du point de vue du genre, les femmes esclaves n’ont pas le même statut que les femmes nobles et ne sont pas créditées des mêmes valeurs.

III. La lutte pour la reconnaissance islamique : mouvements abolitionnistes, contestation du fiqh et stratégies pieuses

En effet depuis la fin des années 2000 et avant les fracas du Nord Mali, plusieurs mouvements sociaux ou anti-slavery movements (ASMs) abordés lors de la troisième matinée, remettent en cause « l’esclavage » à partir de l’islam même. Ce faisant, ces mobilisations récusent une historiographie issue de la traite atlantique et de l’abolitionnisme qui envisageait le racisme de couleur comme une justification de l’esclavage[5]. L’importation de cette perspective en Afrique de l’ouest signifiait que l’esclavage était conçu d’abord comme un rapport d’exploitation, l’islam étant réduit à une « idéologie[6] ». Trois mouvements plus récents soit reformulent l’agenda abolitionniste (Hahonou et Pelckmans 2011), soit se situent en dehors de celui-ci. La première stratégie est illustrée par l’IRA (Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste) en Mauritanie, regroupant de nombreux harâtîn affranchis et descendants d’esclaves (Ould Ahmed Salem 2013). Son dirigeant, Biram Dah Abeid mit en cause publiquement en 2012 des énoncés du fiqh malékite déclenchant une tempête de fatwas. En revanche chez les Haalpulaaren du Sénégal et de Mauritanie, les subalternes regroupés au sein du mouvement Enndam Bilaali, s’emparent du nom d’esclave et inversent les stigmates de leur infériorité sociale et de leur « ignorance » de l’islam en prônant la réussite économique et en s’organisant comme une quasi confrérie. Troisième espace, celui de la boucle du Niger au Mali, voit l’émergence d’associations Bella : TEMEDT, MBJEN…? On s’interrogera sur le relatif cloisonnement de ces mouvements émergents ou, au contraire, sur leur mise en connexion entre pays voisins du Sahel ou entre les deux rives du Sahara.

IV. Lors de la quatrième matinée consacrée au festival de vidéo de recherche sur l’esclavage et l’émancipation du CIRESC, seront montrées les images des traces de l’émancipation des esclaves comme les luttes actuelles pour la reconnaissance islamique.

Programme
Jeudi 5 juin 2014

I. L’‘esclave’ selon l’islam : « macule de l’infidélité » ou émancipation par l’incorporation du Coran — 9h-12h

Présidents de séance : A. W. Ould Cheikh, Jean-Fréderic Schaub (EHESS, CRBC, Paris)
- Bruce Hall (Université Duke, Etats-Unis) — « Les critiques de l’esclavage au Sahel musulman précolonial, à travers les opinions juridiques »
- Rudolph Ware (Université du Michigan, Etats-Unis) — « La Première Révolution Atlantique : Islam, Abolition et République au Sénégal, 1770-1810 »
- Tal Tamari (CNRS, IMAF, Paris) — « Les castes sur le continent africain »

II. Les statuts sociaux : substances, relations — 14h-18h

Président de séance : Dominique Casajus (CNRS, IMAF, Paris)
- Dorothée Guilhem (Associée à l’Université d’Aix-en-Provence) — « La vie sociale du sang ou la dynamique intergénérationnelle d’une élaboration pratique de soi et d’autrui. L’exemple des Fulbe de Mopti (Mali) »
- Abdarahmane Ngaïdé (UCAD/IEA de Nantes) — « Mémoire de l’esclavage et mutations sociales et politiques dans la société Haalpulaar au XXIe siècle. Discours « philosophique » et méthodes pratiques (Sénégal/Mauritanie) »
- Corinne Fortier (CNRS, LAS, Paris) — « La couleur des esclaves. Genre et statuts des harâtîn dans la société maure de Mauritanie »
- Hinne Ali Diakité (Doctorant, Université Lyon 2) — « Une lettre du Shaykh al-Bakkay Kunta: une ethnographie de la bouche du Niger au milieu du XIXe siècle»

Vendredi 6 juin 2014

III. La lutte pour la reconnaissance islamique : mouvements abolitionnistes et stratégies pieuses — 9h-12h

Présidente de séance : Catarina Madeira Santos (EHESS, IMAF, Paris)
- Jean Hébrard (EHESS, directeur du CRBC, Paris) — Présentation de Freedom Papers, An Atlantic Odyssey in the Age of Emancipation (2012, co-écrit avec Rebecca Scott)
- Abdel Wedoud Ould Cheikh (Université de Metz, LAS, Paris) — « Les référence du fiqh mis en causes par le mouvement IRA, en 2012 à Nouakchott (Mauritanie)»
- Lotte Pelckmans (Université de Leiden, Pays-Bas) — « Images et entretiens avec les Bellah Touaregs du mouvement MBJEN (Mali) »
- Jean Schmitz (IRD-EHESS, IMAF, Paris) — « De la revendication sociale à la quête de reconnaissance islamique dans la vallée du Sénégal : le mouvement Enndam Bilaali »

IV. Festival de vidéo de recherche sur les traites, les esclavages et leurs héritages (CIRESC) — 14h-18h

Président de séance : Jean-Paul Colleyn (EHESS, IMAF, Paris)
- Marie Rodet (SOAS, Londres) — Présentation du film Les Diambourou : Esclavage et émancipation à Kayes (Mali)
- Ibrahima Thioub, Abdarahmane Ngaïdé et Ibrahima Seck — Présentation du film : Endam Bilaali. Renégocier les identités en situation post-esclavagiste

Débats en présence des réalisateurs et de Jean-Paul Colleyn

Télécharger le programme

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[1] En particulier les fondateurs de l’imamat du Fuuta Tooro (vallée du Sénégal/Mauritanie), du califat de Sokoto rayonnant à partir, du Nigeria, de la Diina du Mali…,
[2] Mentionnons les deux cas les mieux documentés : l’almaami Abdul Qader à la tête de l’imamat du Fuuta Tooro et les Français de Saint Louis dans les années 1780, le sultan Ahmadu Bello successeur d’Uthman dan Fodio fondateur de Sokoto et le voyageur anglais Hugh Clapperton dans les années 1820 (Fisher 1985, Lovejoy 2004, Lockhart & Lovejoy 2005), Le premier a été abordé par Rebecca Scott et Jean Hébrard, dans leur livre Freedom Papers (2012). Ceux-ci qui ont collaboré avec Rudolph Ware, narrent en micro historiens les pérégrinations des deux côtés de l’Atlantique (Saint Domingue, Caraïbes…) des descendants de Rosalie « de nation poulard » (i.e. pulaar) capturée dans la vallée du Sénégal vers 1785 et leur émancipation au cours des siècles à travers les « papiers ».
[3] Ces thématiques prolongent celles abordées lors d’une table ronde organisée par l’IISMM et le CEAf en mars 2012 et donneront lieu à un futur ouvrage Le Sahel musulman entre soufisme et salafisme : les défis de la subalternité et du transnationalisme (C. Jourde, A. W. Ould Cheikh, J.Schmitz, eds).
[4] Cette perspective relationelle avait été celle de la journée d’études internationales « Relations, dispositifs, histoires : ‘castes’ et esclavage au Sahel musulman” (31 mail 2013) CEAf et IISMM organisée par Ismaël Moya et Elena Vezzadini (communications mises en ligne).
[5] Cela jusqu’à la mise en cause par l’historienne du XVIIIe siècle, Roxann Wheeler dans The Complexion of Race (2000) du lien établi par Eric Williams entre ces deux ordres de phénomènes.
[6] L’évanouissement progressif de la relation servile au Sahel entraina corrélativement la mise au passé précolonial de l’esclavage interne ou son imputation seulement aux « Blancs », Bidhân maures, Touaregs, Arabes maliens… La raciologie « coloriste » qui servit de grille d’analyse aux « événements de 1989 » (Mauritanie/Sénégal) et aux rebellions touarègues des années 1990 rendit possible un tel déni.
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