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Religions

Turquie : la mosquée Sakirin, première mosquée décorée par une femme

Rédigé par Sevinç Özarslan (trad. S. Varlik) | Vendredi 12 Juin 2009 à 10:47

           

La 1 001e mosquée d’Istanbul, aux formes courbes et lumineuses, mêlant tradition et modernité, a ouvert ses portes le 8 mai dernier, sur la rive asiatique d’Istanbul, dans le quartier de Karacaahmet. Les enfants de Semiha et Ibrahim Sakir – une riche famille turco-saoudienne –, qui voulaient faire construire cette mosquée en hommage à leurs parents, ont sollicité les services de Zeynep Fadillioglu, célèbre pour ses réalisations de restaurants chics et de villas. Aujourd’hui, la designer turque est entrée dans l’Histoire comme étant la première femme à avoir décoré une mosquée.



Turquie : la mosquée Sakirin, première mosquée décorée par une femme

Turquie : la mosquée Sakirin, première mosquée décorée par une femme

Depuis 2006, vous avez travaillé sur le projet de la mosquée Sakirin, comment avez-vous procédé ?

Dans mon bureau, nous sommes dix-huit à avoir travaillé sur le projet. Par ailleurs, huit artistes ont participé aux travaux. Pour prévenir toute erreur possible sur le plan religieux, nous nous sommes entretenus avec l’historien Muhittin Serin, le doyen de la faculté de théologie de l’université de Marmara, Mustafa Fayda, ainsi que le fondateur de la chaire de théologie de l’université d’Ankara, Hüseyin Atay. Nous avons particulièrement fait attention à ne pas faire des erreurs par souci de beauté esthétique.

Quelle est la différence avec les autres mosquées d’aujourd’hui ?

Les sultans ottomans faisaient faire les mosquées aux architectes. Nous avons ainsi des chef-d’œuvres comme la Mosquée bleue ou la Süleymaniye. De nos jours, quand on veut construire une mosquée, il suffit que cinq personnes du quartier se réunissent. Il n’y a même pas d’architecte. Vous imaginez ? Les minarets donnent l’impression d’être sur le point de s’effondrer. Les mosquées sont dénuées de toute recherche esthétique. Alors que cela devrait être le contraire, non ? Nous avons certes aussi de belles mosquées, mais ce n’est pas le cas de la majorité.

Turquie : la mosquée Sakirin, première mosquée décorée par une femme

Qu’avez-vous changé ?

Par exemple, le mihrab est en cercle. Si le but est de s’orienter vers La Mecque, la forme n’avait pas beaucoup d’importance. Le minbar n’est pas vert mais il est beige. Il a douze marches. Sur les côtés de chaque marche, nous avons mis des feuilles qui représentent l’Univers. Les lignes sont plus modernes. Le minbar et le mihrab ont été dessinés par le directeur des beaux-arts de l’université de Marmara, Tayfun Erdogmus. Trois artistes ont travaillé à la réalisation du lustre. Cela a donné quelque chose de très original.
Nous avons également travaillé avec le vitrailliste Orhan Koçan. Nahide Büyükkaymakçi s’est occupée des cristaux. Les trois façades de la mosquée sont vitrées. C’est la première fois que l’intérieur d’une mosquée est autant visible de l’extérieur. Ces vitres ont été conçues comme les pages du Coran. Semih Irtes, du palais de Topkapi, a calligraphié le toit de la coupole. Dans la cour intérieure, l’artiste William Pye a réalisé un petit bassin ayant la forme d’une coupole.

Comment sont les tapis ?

Nous les avons également modernisés. Ils sont très simples et de couleur crème. Dans mon enfance, les plus beaux tapis étaient dans les mosquées ; aujourd’hui, c’est le contraire. C’est inimaginable de voir cela dans un pays comme la Turquie, réputé pour ses tapis.

Jusque-là, vous aviez conçu des bars, des restaurants et des cafés. Qu’est-ce qui vous a poussée à décorer une mosquée ?

J’entends souvent dire qu’on ne prend pas plaisir à aller à la mosquée. Il y a des problèmes d’hygiène. Beaucoup hésitent à entrer. Dans certaines régions, ils sont accueillis par des regards hostiles.
Par exemple, personnellement, deux fois j’ai été mise à la porte. J’étais en train de faire des invocations dans la cour d’une mosquée. Quelqu’un qui s’est pris pour un responsable m’a demandée de partir. Il faut changer tout cela. À l’époque du Prophète, c’est comme ça que l’on se comportait à l’égard des femmes ? ‘Aisha était passée à la tête d’une armée. Aujourd’hui, tout le monde ne parle que de la question des quatre épouses. Il faut éduquer aussi bien les hommes que les femmes. Pour cela, nous avons installé des grands écrans dans la mosquée.

Ils seront destinés aux sermons ?

Oui, mais je ne parle pas uniquement de l’éducation religieuse. C’est surtout dans les mosquées que nous pourrons instruire notre société. Je ne pense pas uniquement aux connaissances religieuses, mais les autres domaines aussi peuvent être évoqués dans la mosquée. J’ai écouté de nombreux sermons en Anatolie, l’horizon des imams est assez restreint, et cela se ressent dans leurs sermons. Nous avons tellement d’écoles religieuses.
Nous devrions éduquer des jeunes pouvant enseigner leur religion tout en étant capables d’expliquer d’autres domaines. Nous devons éduquer les classes populaires car, pour moi, la plupart des gens pensent comme les classes populaires. Avec les sermons, on pourrait transmettre de précieuses connaissances, un peu comme à l’école.

Pourquoi la dimension esthétique des mosquées est-elle si importante ?

En Europe, ce sont d’abord les églises, puis les familles royales qui orientaient l’évolution artistique.

Comment vous-même et vos proches avez-vous accueilli ce projet de mosquée ?

Mes proches ont été ravis. Quelques personnes m’ont suggéré de faire plutôt des écoles, mais moi, je ne fais pas des investissements. Nous avons subitement suscité l’intérêt des médias étrangers, comme la BBC, la CNN, la National Radio, Le Figaro ou Elle.

Pourquoi, selon vous ?

Le fait qu’une femme s’occupe de la décoration d’une mosquée suscite leur intérêt. Malheureusement, nous savons tous que, par rapport à l’islam, certains signaux ne sont pas encourageants. On ne parle de nous que pour le terrorisme. Et encore, nous, nous avons de la chance, dans d’autres pays la femme ne peut même pas conduire. Ce n’est pas un hasard si la presse étrangère pense ainsi. Ils ont de quoi justifier leurs positions. On ne montre pas les gens ayant réalisé des choses de qualité.
La place de la femme en islam a été enfermée dans une logique simpliste, comme si une femme musulmane ne pouvait pas avoir de métier, qu’elle devait nécessairement rester chez elle, s’occuper de ses enfants et avoir un mari violent.

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