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Monde

Tribunal Russell : à Londres, les entreprises complices d’Israël jugées

Deuxième session du Tribunal Russell sur la Palestine

Rédigé par Propos recueillis par Hanan Ben Rhouma | Samedi 20 Novembre 2010 à 00:08

           

Après avoir analysé les responsabilités des États dans le conflit israélo-palestinien à Barcelone, en mars dernier, le Tribunal Russell sur la Palestine (TRP) examinera du 20 au 22 novembre, à Londres, les responsabilités des multinationales dans les violations des droits humains et du droit international par Israël envers le peuple palestinien. Les activités des entreprises, souvent pointées du doigt pour leur complicité avec l’État hébreu, feront l’objet d’une analyse poussée par un comité international d’experts. Physicien et maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise, Brahim Senouci est aussi un membre fondateur du comité d'organisation du TRP. Il explique la démarche à Saphirnews.



Créé en 2009, le TRP est né à la suite d’un appel de Ken Coates (président de la Fondation Bertrand Russell), Nurit Peled (Israélienne, prix Sakharov 2001) et Leila Shahid (déléguée générale de la Palestine auprès de l'UE).
Créé en 2009, le TRP est né à la suite d’un appel de Ken Coates (président de la Fondation Bertrand Russell), Nurit Peled (Israélienne, prix Sakharov 2001) et Leila Shahid (déléguée générale de la Palestine auprès de l'UE).

Saphirnews : Le Tribunal Russell sur la Palestine (TRP) examinera cette fois la responsabilité des multinationales dans leur complicité avec Israël. Pourquoi avoir choisi ce thème ? Quelle importance a-t-il à vos yeux ?

Brahim Senouci : On considère qu’Israël bénéficie de complicités à caractère politique tout d’abord. Ces complicités ont fait l’objet de la première session à Barcelone, qui a mis en lumière les complicités de l’Union européenne (UE) et de ses États membres.
En parallèle, Israël bénéficie aussi de complicités à caractère économique. Il est évident que les entreprises qui continuent de traiter avec l’État hébreu, y compris dans le domaine militaire, contribue au maintien de son impunité et de sa croissance économique, ce qui lui permet de rester suffisamment fort pour appliquer la politique d’apartheid à l’égard des Palestiniens.

Brahim Senouci, membre organisateur du Tribunal Russell sur la Palestine.
Brahim Senouci, membre organisateur du Tribunal Russell sur la Palestine.

Quelles sont les entreprises particulièrement visées par le TRP ?

B. S. : Véolia et Alstom sont visées pour leur participation à la construction et à la gestion du tramway qui traverse Jérusalem-Est pour se rendre vers deux colonies israéliennes implantées en territoire palestinien, ce qui constitue une infraction au droit international, puisqu’on n’a pas le droit de contracter avec une puissance occupante pour faire des investissements dans une partie du territoire occupé.

Il existe aussi des complicités à caractère financier et nous avons interrogé à ce titre la société Dexia (une banque spécialisée dans le financement des collectivités israéliennes, ndlr). La société israélienne fabriquant des machines à gazéifier de l’eau Soda Club est aussi visée, car elle prétend que ses appareils sont fabriqués en Israël alors qu’elles sont produites dans une colonie israélienne. Il y en a bien d’autres et je ne vais pas pouvoir toutes les citer ; et si on les cite toutes, on aura l’impression que seules ces sociétés sont coupables.

On a choisi de discuter pendant cette session des entreprises les plus importantes, les plus emblématiques, car elles contribuent particulièrement au développement de la colonisation et assistent directement Israël dans son entreprise coloniale comme, par exemple, Caterpillar, qui fabriquent des bulldozers différents de ceux qui sont fabriqués dans les autres pays, car ils sont blindés, plus lourds et sont conçus pour des entreprises de démolition telles que celles auxquelles on assiste actuellement dans les Territoires occupés.

Les entreprises qui seront jugées par ce tribunal d’opinion ont, semble-t-il, été contactées. Avez-vous reçu des réponses ? Quelles sont les déclarations qui vous ont été faites ?

B. S. : Il est normal qu’elles soient contactées. Nous avons procédé de la même manière à Barcelone, puisque nous avons écrit à tous les États européens et à l’UE dès lors qu’ils avaient une implication dans la collaboration avec Israël, car ils avaient naturellement le droit de présenter leur défense et de développer leurs arguments devant le jury.
Les entreprises ont bénéficié du même traitement, mais nous n’avons pas reçu de réponses fermes quant à leur participation. Elles peuvent éventuellement envoyer leur défense par écrit, qui sera bien entendu portée à la connaissance du jury ; mais personne ne l’a encore fait.

Par souci d’image ?

B. S. : Je pense qu’elles sont très ennuyées par ce genre de procès. Les entreprises haïssent ce genre de publicité et elles n’ont pas très envie d’être associées à ce déballage public de leurs activités « clandestines ». D’ailleurs, certaines commencent à avoir des problèmes comme Alstom ou Véolia qui ont perdu des contrats importants dans plusieurs pays, notamment dans les pays nordiques. Cette session ne peut pas améliorer leur sort.

À l’issue des conclusions qui seront tirées par le TRP, quelles sont les actions envisagées par le Comité à l’égard de ces entreprises ?

B. S. : Les actions principales consistent à faire connaître les conclusions du TRP. C’est un Tribunal d’opinion, qui ne dispose d’aucune force de coercition. Il ne peut pas obliger les entreprises à se conformer au droit, nous n’en avons pas la possibilité. Nous sommes un Tribunal civil, constitué de citoyens dont le rôle est de porter à l’opinion les faits dont le TRP a pris connaissance, afin qu’elle s’en saisisse pour militer contre les entreprises incriminées.
À la première session, nous avons demandé aux citoyens des pays européens d’exiger de leurs gouvernements qu’ils se conforment au droit international, notamment en suspendant l’accord d’association qui lie l’UE à Israël.
De la même manière, nous leur demanderons de pointer du doigt les entreprises qui sont complices de la colonisation et d’agir soit en organisant leur boycott, soit en demandant à leur commune ou à leur département de ne pas lier des contrats avec ces entreprises.

Des actions judiciaires sont-elles aussi envisagées ?

B. S. : C’est tout à fait envisagé. Nous attendons le rapport des experts, l’écoute des témoins et les conclusions du jury avant de penser des actions judiciaires. Nous avons une armée d’avocats, notamment britanniques, qui sont connus pour leur sérieux et leur rigueur et c’est eux qui détermineront les possibilités, une fois les conclusions du jury du tribunal tirées.

L’enjeu médiatique est alors fort…

B. S. : C’est l’enjeu principal, même si nous n’avons pas les moyens à notre disposition pour mettre à exécution nos sentences. Notre seul moyen est de demander aux opinions d’exiger de leurs États l’application des décisions.

Comment expliquez-vous que peu de médias rendent compte de vos activités ?

B. S. : C’est un immense problème. Sachez tout de même que les comptes rendus dans la presse espagnole, à Barcelone, ont été extrêmement nombreux. Tous les grands journaux espagnols ont rendu compte de cette session et de ses conclusions. Le directeur d'El Pais, le plus grand quotidien espagnol, a assisté à la plupart des travaux du jury. Les médias ont rapporté les faits de manière extrêmement fidèle.
En France, le mur des médias est beaucoup plus difficile à franchir. Notre travail est de continuer à alerter de la situation jusqu’à ce que quelque chose finisse par se passer. Et nous espérons qu’avec la session de Londres nous avancerons d’une case dans notre rapport aux médias.

De quelle manière cette session s’inscrit-elle dans la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions)?

B. S. : À l’issue des conclusions de Barcelone, le jury a lancé un appel pour le maintien et le renforcement de la campagne BDS au cas où les États européens restent sourds aux appels à l’application du droit. Cette campagne est devenue centrale dans la stratégie pacifique de soutien à la cause de la justice au Proche-Orient.
À partir du moment où les États et les organisations ne font pas ce qu’il faut pour l’application du droit, l’opinion doit alors prendre en charge la question en mettant la pression sur la partie israélienne, en la boycottant, en organisant les désinvestissement et en appelant aux sanctions.

Des militants sont actuellement inquiétés par la justice française. Que dites-vous de ces faits ?

B. S. : Cela prouve que cette campagne commence à prendre de l’ampleur et qu’elle commence à inquiéter. Son efficacité commence à se faire sentir et c’est une des raisons qui me poussent à appeler à son renforcement.
Outre les militants inquiétés qui ont participé aux actions de boycott, il y a aussi des personnalités qu’on croyait insoupçonnables qui ont aussi été inquiétées comme la sénatrice Alima Boumediene-Thiery ou l'ancien ambassadeur de France Stéphane Hessel, qui ont fait l’objet d’attaques odieuses et véritablement répugnantes.

Dernièrement, un article présentant le boycott d’indigne a été éditée. Une autre tribune a été publiée pour montrer non seulement que le boycott n’est pas indigne mais est une action citoyenne complètement pacifique.
Les plaignants assurent que le boycott correspond à une discrimination mais, dans les réponses que nous leur faisons, nous expliquons que le boycott est une action purement politique. Quand on boycotte un État comme nous l’avons fait en Afrique du Sud hier, ce n’était pas le pays (où se tiendra la prochaine session, ndlr) qui était boycotté mais le régime d’apartheid. Quand celui-ci est tombé, les relations avec cet État sont redevenues parfaitement normales. Israël ne peut pas faire l’objet d’un traitement particulier.






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