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Histoire

Toumi Djaïdja : « L’égalité est un chantier permanent »

Rédigé par Mérième Alaoui | Mardi 10 Décembre 2013 à 02:49

           

Initiateur de la Marche, Toumi Djaïdja est resté très discret pendant 30 ans. Pour la première, fois, il témoigne dans un livre*. « Avare en mots », il a accepté notre interview exclusive.



Toumi Djaïdja, en 1983.
Toumi Djaïdja, en 1983.

Salamnews : Le film de Nabil Ben Yadir retrace votre aventure, Tewfik Jellab joue votre rôle sous le nom de Mohamed… Cela doit être déroutant de voir sa vie sur grand écran ?

Toumi Djaïdja : Lorsque j’ai vu le film pour la première fois, j’ai éclaté en sanglots… Revoir cette partie de ma vie m’a fait remémorer tellement de choses… Trente ans pour un historien, ce n’est pas grand-chose, mais la mémoire a besoin de se nourrir d’Histoire. Le cinéma est un vecteur très important pour cela, notamment pour les plus jeunes. Quoi que votent leurs parents, je pense qu’ils sont forcément touchés si le message est sincère et vrai, et surtout porteur d’égalité, valeur universelle.

Vous avez eu un courage incroyable, d’abord en sauvant un adolescent attaqué par un chien, puis après avoir pris une balle dans le ventre, de lancer l’idée folle d’une marche pacifique…

Toumi Djaïdja : Se faire tirer dessus, subir une opération de microchirurgie de 9 heures, ce n’est pas de la blague. Toute ma famille a été touchée dans sa chair… Même après cela, je n’arrivais pas à avoir de colère. Il est difficile de changer sa nature profonde, je suis le fruit d’hommes qui sont avant moi. Je pense à papa, bien sûr... On aurait pu lever le poing, mais c’est la main tendue qu’on a préféré lancer à la France. Il y avait aussi un contexte qui expliquait la Marche… La vie est sacrée et on nous bafoue, on nous tue. Nous avions déjà expérimenté la non-violence en faisant une grève de la faim, c’est une arme redoutable. Je me rappelle qu’un jour, au local, une maman arabe vient me raconter qu’on a tué son fils ! Elle m’a bouleversé ! Toutes ces mamans n’ont jamais crié vengeance, elles ont demandé justice.

Après avoir rassemblé 100 000 personnes à Paris et dans une telle effervescence, vous décidez de vous effacer. Avez-vous été déçu par la suite des événements ?

Toumi Djaïdja : Déçu non, mais vous ne pouvez pas mener un combat sans soldats, on ne peut pas tous être des généraux ! On ne gagne pas des batailles en ordre dispersé. Et plus tard, SOS Racisme n’a pas « récupéré » le mouvement, on a subi une OPA non amicale ! La machine de guerre d’une certaine gauche et des énarques parisiens étaient déterminés à récupérer le capital sympathie de la Marche. Et nous n’avions que 20 ans ! Surtout, il était important de garder mon intégrité, ma liberté de parole. Pour ma part, l’atterrissage était assez doux, car j’étais amoureux ! Puis j’ai fait ce qu’il y a de plus merveilleux, j’ai construit une famille.

Pour la première fois, vous décidez de témoigner dans un livres d’entretiens avec Adil Jazouli, « La Marche pour l’égalité »*.

Toumi Djaïdja : Cette visibilité autour de la Marche me permet simplement de diffuser un message qui me tient à cœur avec systématiquement une double grille de lecture. À la fois une dimension humaine et une dimension politique. Mais mon engagement est quotidien. Toutes les bonnes actions démultipliées à l’infini, cela peut faire une belle société ! L’essentiel est qu’on puisse vivre ensemble par-delà nos différences parce que c’est l’essence même de la vie ! Mais l’on doit avoir un projet commun qui fasse consensus, dans lequel chacun puisse s’identifier. C’est ce qui fait la base du sentiment d’appartenance à son pays.

Attaque raciste contre une ministre d’État, un FN en hausse… L’actualité montre que le combat antiraciste est encore très vif.

Toumi Djaïdja : Aujourd’hui, on balance une banane à une ministre parce qu’elle est Noire ! C’est une honte. C’est à la justice d’intervenir. Je repense au pain au chocolat, à l’Auvergnat… Oui, il y a un constat à faire et il est amer ! Mais les bourreaux raffolent des victimes. Je veux dire qu’il ne faut pas rester dans une position victimaire ! L’égalité est un chantier permanent.

Comme la lutte contre l’islamophobie ?

Toumi Djaïdja : Nous sommes les enfants d’hommes qui ont quitté femmes et enfants pour venir dans ce pays mourir sur les plages et dans les villages et combattre le nazisme. Ils sont venus avec tout ce qui les constitue. Leur foi était essentielle pour gagner la guerre, donc pourquoi aujourd’hui on nie à leurs enfants leur religion ? Pourquoi on nie simplement leur droit ?

Toumi Djaïdja, La Marche pour l'égalité. Une histoire dans l’Histoire, entretiens avec Adil Jazouli, Éd. de l’Aube, novembre 2013, 160 p., 13,80 €.





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