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Quand Rachid Benzine se révèle en romancier

Rédigé par | Lundi 31 Octobre 2016 à 08:00

           


Quand Rachid Benzine se révèle en romancier
Nour, pourquoi n'ai-je rien vu venir ? (Ed. Seuil, 2016) commence gentiment de manière intrigante. On comprend d'entrée que Nour est une fille qui écrit à son père depuis la Syrie où elle est partie clandestinement rejoindre un jihadiste qu'elle a rencontré sur Internet. Elle l'a épousé, elle partage son combat et elle invite son père à la rejoindre.

On découvre que le père, sans autre nom que Papa, est professeur de philosophie. Il est veuf et a cru élever sa fille unique dans l'amour et la tolérance avec un esprit d'ouverture à l'analyse des situations. Le livre commence sur la désillusion d'un père découvrant les illusions de sa fille.

Une fois ce cadre posé, l'affaire s'emballe soudain. La violence est idéologique. Une violence crue, nue et brutale qui fait froid dans le dos en offrant au lecteur un bréviaire de l'argumentaire jihadiste comme rarement on peut le trouver : enthousiaste, naïf de cohérence, nimbé d'affection et enrobé de l'admiration d'une fille pour son père. Le tout servi sur l'espoir de renouveau d'un monde idéal.

Nour est aimante. Avec ferveur, douceur et tendresse, elle voudrait partager son bonheur avec Papa. Elle lui raconte son havre de paix au côté d'Ikram, chef de police au service de Daesh. Elle n'a qu'un mot sous la plume « Viens, Papa ! » ; « viens nous rejoindre pour enfin réaliser ce rêve dont tu m'as toujours bercé. Viens ! Notre combat est le tien, ne soit pas lâche, saisit l'occasion que nous offrons au monde de parachever les révolutions inabouties vers ce monde dont tu m'as tant parlé ! »

Quand Rachid Benzine se révèle en romancier

Entre amour filial et haine paradoxale

Avenant et prudent, Papa essaye de tirer Nour de l'enfer. Il s'accuse, se culpabilise. Puis il la supplie, l'implore de rentrer, s'il le faut, avec Ikram. Papa tient cette ligne quelques lettres avant de trébucher pour devenir l'intellectuel torturé par le dévoiement de ses valeurs. Il est alors sans merci : « Maintenant que tu vis au milieu de monstres, écrit-il, et que tu en as même épousé un, que t'inspirent ceux-ci ? Qu'éprouves-tu quand ton époux rentre harassé le soir, après une dure journée de labeur où il a fait exécuter ou tué de ses propres mains femmes et enfants (…). Ce sont des doigts velus et crochus qui parcourent ta peau ? Une haleine fétide qui précède ses baisers ? »

La cause semble perdue et le lecteur, à l'image des personnages, se trouve dans une impasse où deux rationnalités s'affrontent, coup contre coup, faits contre faits, arguments contre arguments, idéologie contre idéologie dans une angoissante escalade qui prend à la gorge.

Au milieu du déferlement de mots poignants, tissés de haine paradoxale et d'amour filial, Nour annonce la naissance de Jihad, son bébé, en rétorquant à une charge : « Pour la première fois de ma vie, je t'ai méprisé, Papa, parce que tu t'es rendu méprisable. Toi si fort, si beau dans tes sentiments et leur expression d'ordinaire... Tes propos orduriers traduisent tout ton mal. Tu n'es plus que l'ombre de toi-même. Le brillant universitaire nourri de raison et de spiritualité ne trouve plus les mots pour convaincre sa fille. » Elle signe : « Ta petite Nour que sa petite Jihad a rendue à l'humanité ! »

Un romancier est né

C'est alors que la magie de la littérature opère et que le talent de romancier se révèle. Inattendu est le dénouement. Il faut garder son âme d'enfant, se rappeler que, après tout, ce livret n'est qu'une fiction. Rien qu'un affreuse allégorie qui rend compte de la complexité d'une cruelle réalité dont la splendeur réside dans l'ignominie et la magnificence qui résultent des mêmes convictions.

Une fiction signée par un universitaire dont on connaît la pensée se lit avec l'appréhension de reconnaître l'auteur derrière ses personnages. Rachid Benzine a su se camoufler avec justesse. Il faut creuser profond pour retrouver le spécialiste de l'islam, qui marie l'honneur (Ikram) à la lumière (Nour) pour accoucher de Jihad qu'il confie à Papa, un intellectuel marginal, pieu musulman en terre d'islam ! On connaît Rachid Benzine l'herméneuticien, le spécialiste du Coran. Avec Nour, pourquoi n'ai-je rien vu venir ?, Rachid Benzine le romancier est né. Mabrouk !

Rachid Benzine, Nour, pourquoi n'ai-je rien vu venir ?, Seuil, octobre 2016, 96 pages, 13 €.



Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de... En savoir plus sur cet auteur


Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par François CARMIGNOLA le 31/10/2016 15:24 | Alerter
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Le point Godwin est si aisément atteignable qu'on ne peut qu'évoquer l'hypocrisie d'un propagandiste de l'islam politique donneur de leçons. Intégré au demeurant, du moins en apparence, tant qu'il n'y a pas de vraies réactions.

2.Posté par Melen le 03/11/2016 18:08 | Alerter
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Islam politique, il y avait longtemps que vous ne l'aviez pas dit (écrit) François. Islam politique est devenu le nouveau point Godwin.


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