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Points de vue

Quand Al-Zawahiri insulte Obama : du radicalisme religieux à la haine raciale

Par Bakary SAMBE, chercheur en Sciences Politiques

Rédigé par Bakary SAMBE | Dimanche 23 Novembre 2008 à 13:58

           


Les insultes racistes contre Barack Obama proférées par Ayaman Zawahiri, numéro deux d’Al-Qaida, ne doivent pas être réduites à une simple dérive langagière. C’est un vieil impensé qui est remonté à la surface. Il n’est pas besoin de préciser, comme la grande majorité des Musulmans, notre désapprobation du discours et des méthodes de Zawahiri. Aussi, notre indignation pour ses propos à l’endroit de Barack Obama ne saurait-elle être comprise comme une quelconque défense de la politique extérieure américaine avec laquelle nous n’avons jamais caché notre désaccord sur bien des aspects.

Que s’est-il donc passé ? Un dirigeant d’une mouvance terroriste professant la haine et le bellicisme et incarnant l’intégrisme islamiste à son plus haut degré, vient de fonder sa critique d’un homme politique et de ses éventuelles décisions sur un critère racial, de couleur. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’il y associe Colin Powell et Condolezza Rice, tous ces Noirs « serviles » dans son acception. C’est là qu’on voit que tous les extrémismes, religieux comme politiques, se valent ! Ce discours n’a rien à « envier » à celui des partis d’extrême droite, racistes. Le même discours avait cours dans certaines radios communautaires lors de la guerre en Irak en 2003 pour critiquer Condolezza Rice, cette autre « négresse ».

Le plus inquiétant est que Zawâhirî emprunte le biais religieux. Mais il faut vite se détromper de ces artifices. C’est tout un imaginaire habité de préjugés qui refait surface. J’ai eu, plusieurs fois, l’occasion de revenir sur les préjugés de certains Arabes au sujet de l’homme noir (l’inverse aussi peut-être vrai sauf que l’Africain musulman voit en eux des symboles du « bon croyant » !). Des Zanj au temps des Abbassides à la kahla (servante noire jusqu’à récemment au Maroc, ou dadda), du Waçif (utilisé en Tunisie) au ‘Azzî mais aussi le Kahlûsh (en Algérie), les sobriquets comme les quolibets ne manquent pas dans la rue arabe contemporaine pour tancer et s’amuser à rappeler au Noir sa prétendue « condition inférieure.» Quel étudiant africain en Egypte ou au Maroc, pour ne citer que ces pays, n’a pas entendu ces cris d’enfants comme d’adultes l’interpellant au sujet de sa couleur comme le Sammâra, le ‘Azzî et j’en passe ! Il faudra chercher l’origine d’une telle attitude dans l’histoire. Même Ibn Khaldûn, esprit éclairé de son temps, parlait des Noirs en terme de « wahshiiyyîn, ou “mutawahhishîn”, “sauvages” en arabe : la vision arabe de l'Afrique et de l'Africain reste encore tributaire de ces préjugés. L'islamisation du continent n’a pas signé la fin des idées reçues et des préjugés. Aujourd’hui, encore, subsistent de nombreux préjugés malgré le partage d’une même religion. C’est que la mémoire collective dans le monde arabe a du mal à rompre avec l’imaginaire populaire et le caractère servile qu’il prête aux Noirs. C’est là toute la gravité des propos d’Ayman Zawahirî qui traite le président élu des Etats-Unis d’ « esclave » ; ce qui montre que c’est surtout sa couleur qui lui donnerait un tel « statut ». Il n’est pas rare de rencontrer des termes arabes désignant l’homme noir qui renvoient à une certaine nature servile comme dans le parler arabe syrien moderne ou le mot ‘abd (littéralement esclave, peut désigner, en même temps, un « noir » tout court). Même s’il tend à disparaître du langage conventionnel ce terme ‘abd (esclave en rabe) peut, de temps en temps, ressurgir pour exprimer certaines situations ou choses ayant trait aux Noirs. Ayman Zawahiri a effectivement utilisé les deux termes très évocateurs de ‘Abîd (pluriel de ‘Abd, esclave) et zunûj (pluriel de Zanj, en référence aux esclaves noirs (qui s’étaient révoltés) au temps des Abbassides). Il dit les emprunter de Malcom X ! Le conseil américain des Relations avec l’islam n’a pas été dupe d’une telle espièglerie et n’a pas tardé à condamner de tels propos qui ne sauraient engager les Musulmans.
Il faut néanmoins reconnaître les efforts éducatifs de certains pays, comme l’Algérie, alors, « révolutionnaire », avaient essayé de rompre avec cette image de noir africain, en initiant une véritable promotion de la culture sub-saharienne.

C’est pourquoi je ne veux pas croire à un racisme naturel des Arabes envers les noirs ou encore moins l’insinuer ! Mais il y a bel et bien un réservoir d’imaginaires enfoui sous les strates de l’histoire qui tend à remonter constamment en surface pour alimenter discours et perceptions.
L’on me rétorquera certainement qu’Al Zawahiri, dans sa condamnable allocution, a quand même fait l’éloge d’un Malcom X, lui le Musulman ! Mais c’est bien là le nœud du problème.
L’homme noir, dans les plus vieilles représentations arabes est considéré toujours avec une présomption d’irréligiosité… jusqu’à preuve du contraire (la scène est banale : salam cousin, t’es muslim ? oui ! alhamdoulilah ! et lui alors ? mon frère ?)

Il faut dire que dans le discours islamiste, la négation de la diversité des réalités islamiques et la reconnaissance des apports possibles d’autres courants sont une constante têtue.
J’ai plusieurs fois attiré l’attention sur les préjugés qui perdurent et dont souffrent les Musulmans noirs et l’islam africain. On peut en arriver à penser que quelques fois derrière la condamnation systématique de certaines pratiques de l’islam de l’islam chez les Africains, directement rangées au nombre des bid’a innombrables et blâmables, il y a quelque part le mépris de l’homme tout court. Les Musulmans africains doivent-il toujours tout copier et ne jamais rien apporter ? Ils doivent se dissoudre dans une sorte d’islam standardisé souvent modelé voire « Mcdonnalisé » par les conceptions « frères musulmans », puis s’arabiser dans leur accoutrement et leur expression pour enfin (!) être admis comme « bons musulmans », comme des « frères ».

Cette tendance n’épargne pas la France. Une scène invraisemblable à l’Université de Californie à Los Angeles me pousse de plus en plus à le penser. Lors d’une rencontre avec l’équipe de recherche sur l’islam et le Moyen-Orient dirigée par le Professeur Jonathan Friedlander (UCLA International Institute), un haut responsable musulman, par ailleurs membre de l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF) et président d’un Conseil régional du Culte musulman, a osé traiter l’islam pratiqué par les Africains dans sa version confrérique comme un simple « folklore dénué de toute spiritualité ». Je suis sûr qu’il dirait la même chose des ibadhites ou des chiites duodécimains comme ismaéliens (si cela peut consoler !) ; de tous ceux qui sont différents de lui, en somme ! Il n’est donc plus étonnant qu’on ferme la porte des mosquées à des Musulmans africains voulant y célébrer un évènement aussi important dans leur vie spirituelle que le Mawlid (commémoration de la naissance du Prophète) ! A quoi bon laisser des groupes de musulmans « folkloriques » entonner la Mimiya d’El Hadji Malick Sy ou les Qaçâ’id d’Ahmadou Bamba dans les mosquées ? Eh oui, cela fait un peu désordre ! Et les Anâshid des Frères en derbouka ? Ce n’est donc pas pareil ! En 2006, Un responsable musulman africain en Provence décriait même une rcertaine dérive qui risque de conduire à l’« ethnicisation » des mosquées.

Quel rapport me dira t-on ? La négation de la diversité, le fait d’ériger un mode de religiosité en modèle unique et exclusif, la croyance à une incapacité ou légitimité des certains à apporter quoi que ce soit en les condamnant au mimétisme, l’exclusion par le culte exacerbé des appartenances sont les ingrédients communs au discours et à toutes les conceptions unitaristes et dogmatiques de l’islam dont celle de Zawâhirî. Ils conduisent aux mêmes dérives. Et tout ceci n’aide pas à une véritable éducation à la diversité et au respect des différences qui est une nécessité dans le monde arabe. Il ne faudrait pas entrer dans le jeu de ceux qui font du noir musulman un frère et de l’autre un simple kahlush un esclave noir comme le pense Zawahiri. C’est bien cela qui transparaît dans son discours haineux et inacceptable.

Le radicalisme religieux et le discours raciste de Zawâhiri porte les mêmes germes de haine et de totalitarisme que les thèses d’extrême droite ou ultranationalistes d’ailleurs. On peut se féliciter, pour le moment, que ce type de discours franchissant le rubicond, du radicalisme à la haine raciale, reste minoritaire chez les Musulmans. En plus, il ne faudrait jamais tomber dans le travers qui veut que l’on s’émeuve du seul racisme dont on est victime en faisant la sourde oreille sur celui qui touchent les autres. Ce serait la négation de l’universalité même de l’humain !
Il est sûr que le travail d’éducation à la diversité et à sa reconnaissance s’impose à jamais en un véritable défi à relever dans le monde arabo-musulman.





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