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Religions

Prêtres et imams se rencontrent à Lyon autour de l'agir ensemble

Entretien croisé avec Jacques Bolon et Azzedine Gaci

Rédigé par Propos reccueillis par Assmaâ Rakho Mom | Lundi 19 Novembre 2007 à 13:08

           

Le dialogue interreligieux, plus précisément entre chrétiens et musulmans, peut-il se faire entre les acteurs de terrain, à savoir entre prêtres et imams ? C'est en tout cas ce qu'ont fait, et apparemment avec succès, des prêtres et des imams, qui se sont réunis samedi dernier 17 novembre au lycée Maurice La Mache de Lyon (8ème arrondissement), autour du thème 'mieux se connaître pour agir ensemble'. Au programme, conférences, débats, et ateliers de travail ayant mené à des conclusions et autres recommandations en vue d'un dialogue franc et d'une "meilleure connaissance mutuelle", selon les termes employés par Jacques Bolon, responsable du pôle Maghreb islam au diocèse de Lyon qui, avec Azzedine Gaci, président du CRCM Rhônes-Alpes et recteur de la mosquée 'Othmane' de Villeuranne, ont bien voulu répondre aux questions de Saphirnews.



Azzedine Gaci, président du CRCM Rhône-Alpes et recteur de la mosquée 'Othmane' de Villeurbanne
Azzedine Gaci, président du CRCM Rhône-Alpes et recteur de la mosquée 'Othmane' de Villeurbanne

Saphirnews : Pourquoi une rencontre à ce niveau, entre prêtres et imams ?

Azzedine GACI : Cette rencontre est arrivée tout naturellement suite au voyage que nous avons effectué en Algérie en février 2007 avec le cardinal Barbarin. Au retour, nous nous sommes réunis chez le cardinal et je lui ai dit : "Pourquoi ne pas organiser une rencontre au sommet, pas seulement entre les responsables, mais entre les acteurs du terrain, à savoir les prêtres et les imams, autour d'un sujet qui nous permettra de mieux nous connaître". D'ailleurs, c'était cela l'intitulé : "Mieux se connaître pour agir ensemble". Parce qu'on a remarqué qu'au sommet on se connaît un peu, on se dit les choses sincèrement, mais sur le terrain beaucoup ne se connaissent pas suffisamment, parce qu'ils ne se rencontrent pas suffisamment, et aussi parce que les rencontres entre musulmans et chrétiens se font de manière superficielle.
La matinée a donc été consacrée à des conférences, et l'après-midi à des ateliers durant lesquels nous avons discuté de sujets très concrets.

Jacques BOLON : L'origine remonte à peu près à un an, lorsqu' avait été décidé un voyage commun entre chrétiens et musulmans en Algérie. C'est le point de départ. Au cours de ce voyage, une réelle amitié s'est créée. On s'est dit qu'il fallait faire autre chose, aller un peu plus loin dans le sens d'une meilleure connaissance mutuelle, parce qu'on s'est aperçus au cours de ce voyage que chacun de notre côté, nous avions soit des idées préconçues, soit on ignorait ce qu'était l'autre.

Et tout le programme de cette rencontre a été construit à partir de là. On le voit bien dans la progression des conférences qui ont eu lieu. Au départ, le matin, ce sont les institutions qui ont été présentées de façon globale, ensuite c'était 'quel est le rôle d'un prêtre et quel est celui d'un imam ?', et dans un troisième temps on a élevé encore le débat puisqu'il y a eu deux présentations : foi chrétienne, foi musulmane. Et puis l'après-midi, on a essayé de faire se rencontrer les gens sur le terrain à travers des thèmes d'ateliers. C'est à ce moment qu'il y a eu des dialogues extrêmement importants.

Comment s'est déroulée la rencontre ? Le public était-il au rendez-vous ?

A. G. : Cela a dépassé toutes nos attentes. Nous attendions 60 imams et 60 prêtres, et nous nous sommes retrouvés avec 200 personnes. Et pour la première fois, je pense qu'il faut le souligner, il y avait beaucoup plus de musulmans que de chrétiens, avec à peu près 120 musulmans et 80 chrétiens. Huit départements étaient représentés. Il y avait une cinquantaine d'imams, des aumôniers des prisons et des hôpitaux, des conférenciers, des responsables associatifs, et des cadres religieux de façon générale.

J. B. : Le public était plus qu'au rendez-vous puisque ça a plutôt débordé même ! Au départ nous comptions sur 120 personnes, et dans la pratique nous étions un tout petit peu moins de 200. Cela a même posé des problèmes d'ordres logistiques. Au niveau des repas, cela a été juste !

Image de la rencontre au lycée Maurice La Mache, à Lyon (8ème)
Image de la rencontre au lycée Maurice La Mache, à Lyon (8ème)

Quel enseignement tirez-vous de cette journée ?

A. G. : Il y a quelque chose qui a été dit à la fin de cette rencontre, un terme qui est revenu dans tous les ateliers pratiquement, c'est le terme 'ensemble'. Tout le monde est convaincu qu'on peut faire des choses ensemble, que nous devons construire des projets ensemble, qu'il faut multiplier ce type de rencontres, de façon à détruire les barrières que d'autres ont construit depuis très longtemps entre les porteurs de foi et de spiritualité de façon générale.

L'autre enseignement est qu'on commence à dire les choses honnêtement. Personnellement, quand un chrétien me pose une question dans n'importe quel domaine de l'islam, cela me permet de faire un travail sur la foi, non pas pour en douter, mais pour l'enrichir.

J. B. : Déjà c'est une grande joie des deux communautés. La joie de pouvoir se rencontrer, de pouvoir se parler, de pouvoir se comprendre, et celle de pouvoir se dire qu'on peut aller plus loin même si on est différents.

Justement pensez-vous contribuer à un renouveau du dialogue interreligieux, moins consensuel et plus axé sur les débats de fond ?

A. G. : C'est exactement cela ! Je pense qu'on a dépassé le dialogue entre les élites, et on a réussi pour une fois à faire descendre le dialogue interreligieux vers la base. C'est très bien entre les élites mais ça ne va pas très loin tant que ce travail ne se fait pas au niveau des responsables sur le terrain. Je ne sais pas si c'est une première en France, mais en tout cas par le nombre, autant d'imams que de prêtres, je pense que c'est une première, et tout le monde en était satisfait et en était demandeur.

Il y a eu huit ateliers traitant aussi bien du don d'organes, de l'euthanasie, de la fécondation in vitro, que de l'enseignement du fait religieux à l'école.

J. B. : Là je pense que pour le débat de fond, ça prendra plus de temps. Et ça passera d'abord par la connaissance mutuelle, et il faut que cette connaissance mutuelle s'approfondisse. Je pourrais répéter les mots du cardinal Barbarin qui, à Lourdes, avait dit qu'il fallait passer par plusieurs étapes. On partait de la peur, ensuite on parle de tolérance, on supporte l'autre en fait, puis on passe au respect de l'autre, et il faut aller jusqu'à l'admiration de l'autre. Je crois que durant notre journée de samedi, nous en étions au respect de l'autre, parce qu'on se comprend mieux, mais il me semble que nous n'en sommes pas encore à l'admiration.

Qu'est-il ressorti, concrètement, des ateliers de travail organisés ?

A. G. : Bien entendu, un compte-rendu va être publié pour répertorier tout cela, mais on avait demandé à chaque atelier de noter toutes leurs recommandations et conclusions, et chaque atelier devait ressortir avec une recommandation. J'étais personnellement à la tête de l'atelier consacré à l'éthique, et nous en sommes ressortis avec ce fait que la vie est un don de Dieu, et qu'il fallait la respecter de la conception à la mort. L'Homme devrait tout faire pour respecter cette vie.
Autre exemple, l'atelier des réalités pénitentières est ressorti avec la résolution selon laquelle il faudrait une réunion au moins une fois par an entre les aumôniers musulmans des prisons et ceux chrétiens, et il faudrait absolument que le personnel pénitencier ait une approche des religions afin de faciliter le rapport entre les surveillants et les détenus.
Pour l'accompagnement de fin de vie, il est apparu que les chrétiens ont une très grande expérience s'agissant de l'aumônerie dans les hôpitaux. Les musulmans commencent tout juste dans ce domaine, et il faudrait tout faire afin que les rapports entre les aumôniers musulmans et les personnels hospitaliers soient pacifiés. De toutes les manières, un fascicule va être édité sur les résultats de cette rencontre.

J. B. : Je suis en train actuellement de faire la synthèse de cette journée. Je n'ai pas encore reçu tous les compte-rendus, mais il y a une chose qui ressort de la présentation des différents ateliers, c'est le mot 'ensemble', qui est revenu dans les huit ateliers. Il faut donc chercher à éliminer tout ce qui peut nous diviser, tout en sachant qu'on a une vision spirituelle qui est différente.

Une autre image de la rencontre entre prêtres et imams
Une autre image de la rencontre entre prêtres et imams

Pourrions-nous assister par la suite à un dialogue à trois, entre prêtres, rabbins et imams ?

A. G. : C'est ce qui nous a été reproché un peu, à savoir 'pourquoi pas un dialogue à trois'. Du côté musulman comme du côté chrétien, et j'espère que c'est pareil du côté juif, il y a une volonté d'organiser cette rencontre dans les années à venir. Mais je pense honnêtement que le dialogue interreligieux en France se conçoit comme la construction de l'Europe. Il y a un axe fort constitué par les chrétiens et les musulmans, tout simplement parce que nous sommes les plus nombreux. Il faut absolument que nous arrivions à nous entendre très bien sur un certain nombre de sujets, à être sincères, à dire les choses le plus naturellement possible, à discuter des choses qui fâchent, comme le problème des conversions qui gêne aussi bien les musulmans que les chrétiens, celui des mariages mixtes, celui encore du prosélytisme. Une fois que ce dialogue sera en marche, on pourra l'étendre à toutes les autres communautés.

J. B. : C'est possible. On l'a d'ailleurs évoqué samedi dernier. Mais ce qui est sûr c'est que c'est plus compliqué dès qu'on est à trois, mais c'est envisageable. Par contre on ne pourrait pas le faire un samedi, ni un dimanche, et ce serait difficile de le faire un vendredi. Il faudra donc trouver d'autres formules pour pouvoir se rencontrer.





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