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Points de vue

Présidentielles 2007 : L’UOIF choisit le centre

Rédigé par Fouad Bahri | Vendredi 20 Avril 2007 à 15:28

           

Une semaine avant le premier tour des élections présidentielles, le discours de l’UOIF et son message politique à l’endroit des candidats était attendu. Très logiquement, mais sans le dire explicitement, la première fédération musulmane de France a choisi de jouer la carte Bayrou contre les deux candidats de l’UMP et du PS. Un choix qui, tout en sanctionnant la politique de Nicolas Sarkozy, ne parvient pas à camoufler la perte d’influence politique de l’UOIF, aucun candidat n’ayant jugé utile de faire le déplacement à cette 24ème rencontre des musulmans de France.



Ainsi soit-il. Ce sera Bayrou ou rien. Certes, pour le vice-président de l’UOIF, Fouad Alaoui, le choix du meilleur candidat, ou pourrait-on dire du moins mauvais, à ces élections présidentielles, n’aura pas été facile. Aucun des prétendants ne s’est, en effet, particulièrement illustré par son respect du culte musulman ou des thèmes qui sont chers aux citoyens musulmans de France tel que l’égalité des droits, une meilleure représentation sociale, la lutte contre les discriminations ou encore une politique plus équitable au Proche-Orient.

Aucun des candidats, à l’exception d’un seul. A y regarder de plus près, la candidature Bové pouvait apparaître comme la plus proche des préoccupations des français de confession musulmane. Pour trois raisons.

Bové le bouclier

Tout d’abord, sa position respectueuse à l’égard de la religion en général qui l’amène à défendre la liberté de croyance, et à rejeter la montée d’un racisme islamophobe dont sont actuellement victimes les musulmans de l’hexagone.

Un élément essentiel qui le distingue des autres candidats trotskistes et communistes, qui, eux, condamnent pour des raisons idéologiques, matérialistes et athées, l’expression du fait religieux, comme autant d’obscurantisme, d’aliénation individuelle et sociale, de frein au progrès social de l’humanité.

Ensuite, sa position juste et équilibré dans le conflit palestinien. Dans cette campagne électorale, Bové a été le seul candidat à avoir émis des réserves sérieuse sur la violence de la politique israélienne à l’encontre des palestiniens. Il défend l’établissement rapide d’un état palestinien sur la base des frontières de 1967 et s’est même rendu, il y a cinq ans, dans les territoires palestiniens pour servir….de bouclier humain.

Enfin, comme candidat situé à l’extrême-gauche, José Bové est naturellement sensible aux questions du logement social, de la lutte contre les inégalités et contre une mondialisation qui a trop souvent pris le visage d’une pieuvre à l’appétit vorace, servi par d’innombrables tentacules.

Ces trois raisons expliquent, par exemple, le soutien et l’engagement de plusieurs militants du Collectif des musulmans de France, à l’instar de Fouad Immarraine et d’Abdelaziz Chaambi, en faveur du paysan altermondialiste.

Ce n’est pas ce choix qu’ont retenu les cadres de l’UOIF. Ils lui ont préféré celui du candidat centriste, François Bayrou, présenté comme le troisième homme de cette élection. Pourquoi ?

Un vote mi-figue, mi-raisin

Dans son discours intitulé «les musulmans de France et les élections présidentielles : Quel(s) choix ? », Fouad Alaoui précise les contours du vote UOIF. Ce vote devra prendre en compte trois critères essentiels. Le respect des religions, le respect de la jeunesse des quartiers populaires et le retour, pour la France, de sa politique gaulliste sur le plan international. Bayrou satisfait-il à ces critères ?

Oui et non. Concernant le respect des religions, Bayrou est, certes, comme il se plait à le rappeler, un croyant qui respecte les croyants (lire l’interview sur saphirnews.com). Catholique croyant et pratiquant, le président de l’UDF se revendique d’un humanisme chrétien défini comme tolérant, ouvert sur le monde et défenseur des valeurs morales. En somme, un vrai démocrate-chrétien.

Pourtant, à ce beau tableau, quelques ombres sont à relever. A commencer par la circulaire Bayrou de 1994, à l’époque ministre de l’éducation du gouvernement Juppé. Une circulaire qui définissait et introduisait, pour la première fois, le concept de signe ostentatoire, au sujet du port du voile à l’école. Dix ans plus tard était votée la loi du 15 mars, qui représente d’une certaine manière, l’aboutissement légal et répressif de cette circulaire. Une gageure donc, pour l’UOIF, qui ne cesse de dénoncer l’injustice de cette loi.

Autre point sombre, l’affaire Charlie Hebdo. Dans ce procès qui opposait, il y a encore quelques semaines, l’hebdomadaire satyrique aux représentants du culte musulman, UOIF en tête, le très croyant Bayrou est venu défendre la liberté d’expression en se rangeant aux côtés du très croyant…Charlie Hebdo.

Sur ce premier point, la prestation du candidat centriste n’est donc pas convaincante. D’ailleurs, la religiosité est loin d’être l’apanage de Bayrou. Sarkozy lui-même la revendiquait dans son livre « La République, les religions et l’espérance ».

Sur le respect des jeunes, la posture de Bayrou est évidemment plus confortable que celle du leader de l’UMP, engagé, depuis les dernières révoltes urbaines de 2005, dans une croisade sémantique contre les habitants des quartiers populaires. Les dernières visites de François Bayrou à Saint-Denis ou Mantes-la-Jolie traduisent cette volonté de reconquérir un électorat blessé par les propos de l’ancien ministre de l’intérieur. Mais Ségolène Royal est elle aussi engagé sur ce créneau.

Reste l’ultime critère, la politique internationale. Avec, en particulier, les deux dossiers épineux du conflit Israélo-Palestinien et celui de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.

Là encore, la position de Bayrou est loin d’être convaincante. Sur la question palestinienne, le candidat de l’UDF s’est montré timoré, pour ne pas dire craintif. Interrogé en prime time, sur TF1, François Bayrou s’est contenté d’exprimer vaguement et en des termes extrêmement frileux, son non alignement sur la politique américaine. Il n’a pas souhaité exprimé ses convictions sur un sujet qu’il sait sensible et qui pourrait lui coûter sa place.

Par contre, concernant la Turquie, Bayrou est plus clair. Il n’est pas favorable à son entrée dans l’Union européenne, considérant qu’elle n’est pas prête à embrasser ses valeurs, sans toujours préciser lesquelles.

Un Sarkozy plus light

Dès lors, comment analyser le choix politique des responsables de l’UOIF, pour le vote Bayrou ? Très simplement comme celui d’un vote mi-figue, mi raisin. Mi-conviction, mi-sanction. En effet, le vote Bayrou apparaît pour ces responsables musulmans, comme un moindre mal face à la menace Sarkozy qui a rompu, objectivement, son alliance politique avec l’UOIF en faveur du CRIF, préférant le vote juif au vote musulman. Le positionnement « frontiste » du chef de l’UMP, ses discours anti-immigré, ses propos caricaturant et réduisant les musulmans à des pratiques barbares, son adhésion à la politique américano-sioniste, ont vite enterré cette alliance.

Quant à Ségolène Royal, candidate du Parti socialiste, les choses sont plus claires. Le divorce est depuis longtemps prononcé et consommé entre les deux organisations. Contrairement aux déclarations du président de l’UOIF qui revendique pour sa fédération une neutralité politique du type ni droite, ni gauche, « ni conformisme systématique, ni animosité systématique » (lire l’interview de Lhaj Thami Brèze), il existe bien un passif entre le PS et l’UOIF.

Idéologiquement, le Parti socialiste est l’héritier d’une tradition historique à la fois engagée dans un combat pour une laïcité, devenu aujourd’hui identitaire, et partisane d’une politique vigoureusement coloniale, notamment en Afrique. Deux traditions incarnées dans la figure de Jules Ferry.

Politiquement, le bras de fer s’est illustré dans l’accusation notoire et récurrente par les responsables du PS, du fondamentalisme de l’UOIF, accusée d’attenter aux valeurs républicaines de laïcité. L’épisode Chevènement, du temps du gouvernement Jospin, qui voulait imposer aux organisations musulmanes la signature d’une charte d’allégeance aux principes républicains, est toujours présent dans les mémoires. Ces accusations se retrouvaient encore dans la toute récente synthèse interne du PS, rédigée par le désormais démissionnaire député Eric Besson. N’oublions pas enfin que le PS fut le premier parti à déposer, en 2004, un projet de loi interdisant définitivement le port de signes religieux à l’école. Autant de faits qui expliquent l’anti-socialisme de l’UOIF.

Les autres candidats étant mineures par leurs scores prévisionnels, il ne restait à l’UOIF, que le centre. Un centre-droit dont le chef de file, François Bayrou, apparaît, par son libéralisme, sa fibre religieuse et sa modération politique, comme un nouveau Sarkozy, plus light, moins agressif, plus fréquentable.

Une opinion malheureusement pas partagée par l’intéressée, pas plus que ses concurrents. Tous ont une nouvelle fois boudé la rencontre annuelle des musulmans de France, à une semaine des échéances présidentielles. Un pied de nez qui marque le recul en termes d’influence politique, de l’UOIF, mais qui reflète, surtout, l’absence de politisation de la communauté musulmane, peu engagée sur le plan politique. Les derniers mots de Alaoui sont sur ce point, assez clairs. « Si vous ne vous occupez pas de la politique, c’est la politique qui s’occupera de vous ! ».





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