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Société

Pakistan : l’adolescente emprisonnée pour blasphème, piégée par un imam ?

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Mardi 4 Septembre 2012 à 00:46

           

Rimsha : ce prénom a fait le tour du globe. C’est celui de la jeune chrétienne pakistanaise accusée de blasphème pour avoir brûlé des versets du Coran et qui risque pour cela la prison à vie. Son arrestation, il y a deux semaines, avait suscité un tollé. Mais coup de théâtre : un imam a été écroué samedi 1er septembre. Il aurait ajouté des pages où étaient rédigés des versets du Coran dans les cendres pour faire accuser la jeune fille. L’affaire soulève les limites de la loi sur le blasphème parfois utilisée comme prétexte pour s’en prendre à la minorité chrétienne au Pakistan.



Rimsha
Rimsha
Cela fait plus de deux semaines que Rimsha est emprisonnée. La jeune fille illettrée d’environ 14 ans a été accusée d’avoir brûlé des versets du Coran, le 16 août. Un voisin qui dit l’avoir vu faire s’est empressé de le dire à l’imam de la mosquée de Mehrabad, un quartier pauvre situé à la périphérie d'Islamabad.

L'imam Hafiz Mohammed Khalid Chishti a alors tout fait pour mobiliser les fidèles et fait pression sur la police pour qu’elle arrête Rimsha. Mais lui qui avait mis tant d’entrain à l’arrestation d’une adolescente cachait vraisemblablement des choses. Il a été arrêté samedi 1er septembre par la police pour avoir fabriqué des pièces à convictions. Selon des témoignages, il aurait lui-même introduit des pages de versets du Coran dans les feuilles brûlées que lui avait rapportées un voisin.

Fausses preuves

« L'imam Hafiz Mohammed Khalid Chishti a été arrêté, après que son assistant, Maulvi Zubair, et deux autres personnes eurent affirmé devant la justice qu'il avait ajouté des pages du Coran aux feuilles brûlées qu'un témoin lui avait rapportées », a déclaré à l'AFP un enquêteur de la police.

L'assistant et les témoins ont prié l'imam de ne pas fabriquer de fausses preuves contre Rimsha, selon la police .« Mais l'imam Chishti a répondu : "Il s'agit de la seule façon d'expulser les chrétiens de ce quartier" », selon l'enquêteur Munir Hussain Jaffri. « En plaçant des pages du Texte sacré sur des cendres, il a profané le Coran et a donc aussi été accusé de blasphème », a ajouté le policier. Un tribunal d'Islamabad a ordonné dimanche sa détention préventive pour deux semaines lors d'une audience sous haute surveillance policière.

Malgré ces accusations, le calvaire n’est pas fini pour Rimsha, car son procès qui devait se tenir lundi 3 septembre n’a pas eu lieu à cause d’une grève des avocats. Elle restera derrière les barreaux au moins jusqu’à vendredi 7 septembre, date de la prochaine audience. Mais « il n'y a plus rien qui fonde les accusations... un témoin a avoué sous serment que les preuves avaient été fabriquées » a estimé, lundi, Me Raja Ikram, l'un des avocats de l'adolescente.

Son emprisonnement avait créé la polémique au Pakistan. La minorité chrétienne s’était sentie une nouvelle fois attaquée. L’affaire, qui avait fait la une des journaux du pays, a également fait du bruit en Occident. La communauté internationale avait crié au scandale, les Etats-Unis en tête. Le département d'Etat américain avait demandé au gouvernement pakistanais de « protéger non seulement ses minorités religieuses, mais aussi les femmes et les filles » du pays.

Sur Internet, une pétition pour demander sa libération a déjà recueilli plus de 1 million de signatures.
Le cas de Rimsha émeut d’autant plus qu’elle serait atteinte d’une maladie mentale. La jeune fille avait été présentée, dans un premier temps, comme atteinte de la trisomie 21 par des organisations non gouvernementales (ONG), ce que la police avait démenti.

Une loi anti-blasphème détournée contre les chrétiens ?

Au Pakistan, son incarcération a ravivé les tensions entre musulmans et chrétiens. Dans le quartier Mehrabad où cohabitent les deux communautés, des chrétiens minoritaires − dans un pays où 97 % des habitants sont musulmans − ont décidé de fuir pour éviter les violences.
Dernièrement, les relations entre les deux communautés s’y étaient dégradées.

Dans le pays, l’affaire Rimsha remet sur la table la question de la loi sur le blasphème, où insulter le Prophète Muhammad est passible de la peine de mort ; et brûler un verset du Coran, de la prison à vie. Les punitions les plus sévères sont ainsi infligées à ceux qui insultent les croyances musulmanes en dépit de la liberté d’expression.

Les voix sont de plus en plus nombreuses dans le pays à s’élever contre cette législation au risque d’en payer le prix le plus fort comme c’est le cas du gouverneur Salman Taseer, assassiné pour ses prises de position en faveur d’une réforme de cette loi promulguée en 1986, en plein cœur de la polémique soulevée par l'arrestation d'Asia Bibi accusée de blasphème.

Après l’arrestation de Rimsha, le Conseil des oulémas du Pakistan, a demandé une enquête « impartiale et approfondie » et des « mesures strictes »contre les accusateurs s'il s'agissait de fausses allégations, se mettant ainsi à distance de la loi sur le blasphème. Il faut dire que certains n’hésitent pas à la détourner pour s’en prendre aux chrétiens en lançant à leur encontre de fausses accusations. Un seul témoignage aura ainsi suffi à l’arrestation de Rimsha.

En 2009, la condamnation de la mère de famille Asia Bibi avait également fait du bruit. Condamnée à mort pour blasphème, la chrétienne est toujours derrière les barreaux.

« Trop souvent, la loi sur le blasphème est détournée par les musulmans pour se venger de minoritaires ou même de coreligionnaires en les accusant faussement », déplorait, l'an dernier, Muqtedar Khan, professeur associé à l'Université du Delaware et chargé de recherche à l’Institute for Social Policy and Understanding.

Les agissements de quelques extrémistes ne servent pas la religion musulmane. L’occasion est alors trop bonne pour les islamophobes de tout poil de vilipender une nouvelle fois l’islam tout entier et les musulmans, alors même que la majorité d’entre eux cherchent à suivre l’exemple du Prophète Muhammad qui ne répondait pas aux insultes qui lui étaient proférées.






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