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Olivier Roy: « La société multiculturelle ne veut rien dire »

Rédigé par Propos recueillis par Nicolas Mom | Vendredi 19 Mai 2006 à 14:45

           

Olivier Roy est politologue. Directeur de recherche au CNRS, auteur de nombreux ouvrages dont le dernier est « La Laïcité face à l'islam » (éditions Stock), il est l'un des spécialistes incontestés de l'islam en France. Entretien avec un observateur averti sur le thème de la présence musulmane en France.



Olivier Roy:
Olivier Roy:

Saphirnews.com: Dans les débats actuels autour de l’islam et des musulmans de France, on constate une confusion constante entre l’islam en tant que religion et l’Islam en tant que civilisations, comment l’expliquez vous ?


Olivier Roy: C’est une confusion très profondément ancrée dans les esprits. Au début, cela s’explique puisque les musulmans étaient des étrangers avec leur langue, leur culture. Mais ce que nous voyons aujourd’hui c’est la déconnexion entre religion et culture. En particulier, les nouvelles générations veulent être des musulmans en Occident, occidentaux, occidentalisés… Alors que pour l’opinion publique européenne, l’islam reste une religion étrangère identifiée à une culture étrangère. On le voit dans le fait que les gens utilisent de manière indifférenciée culture et religion. Par exemple, les Anglais parlent de multiculturalisme en permanence. Mais il n’en est rien. Le jeune musulman qui rentre au parti travailliste, pour se faire élire député du coin, n’agit pas comme un pakistanais. Il agit comme un citoyen britannique de confession musulmane. Autre exemple, on veut remplacer le clash des civilisations par le dialogue des civilisations. Mais le problème n’est pas le mot clash mais le mot civilisation. Aujourd’hui, est ce qu’on peut dire qu’il y a deux civilisations différentes ? On a des religions différentes, et ces religions différentes s’expriment dans une même civilisation. Elles ne sont pas extérieures.

Parler d’une société pluriculturelle cela ne veut rien dire ?


Olivier Roy: Ça ne veut rien dire. Il y a deux problèmes en France. Un qui est général, c’est la malédiction de cette immigration ouvrière avec le chômage, les jeunes de banlieue et le racisme qui s’ensuit. Et le deuxième problème, c’est de reconnaître une communauté musulmane en tant que communauté religieuse et non comme une communauté ethnico-culturelle.


Comment peut-on définir la culture française ?


Olivier Roy: Quand les gens parlent d’identité, il s’agit de reconstructions. Par exemple, vous entendez souvent, chez les laïcs, parler du consensus républicain. Mais dans la culture politique française, il n’y a jamais eu de consensus. La France est un pays qui joue à la guerre civile en permanence. On a eu la révolution française et les années 50, 60, 70 en France ont été des années de confrontations, entre d’une part une gauche laïque dominée par le parti communiste et d’autre part une droite plus ou moins chrétienne, proaméricaine. Les villes françaises étaient divisées: vous aviez l’équipe de foot laïque et l’équipe de foot du patronage. Maintenant, tout le monde a oublié cela! Et on vous dit qu’en France, il y avait un consensus sur les valeurs républicaines et ce consensus vient d’être cassé par les musulmans. Mais il n’y a jamais eu de consensus.

Mais on parle souvent d'identité française.


Olivier Roy: Quand on parle d’identité française, on parle toujours d’une identité reconstruite en fonction du climat social actuel. Lorsqu’ on essaie de se défendre contre la mondialisation, on parle aussi de culture française. Alors moi, je veux bien le vin rouge et le camembert, mais une culture ne se ramène pas à ça. C’est quand même autre chose.
La culture française s’est toujours présentée comme une culture universelle. C’est ça la grande force de la France. On a toujours voulu que tout le monde parle français. On a toujours voulu que tout le monde lise nos philosophes… On se considère toujours comme une civilisation en nous-même. Et maintenant, d’un seul coup, on se définit comme une petite culture provinciale qui essaye de se défendre contre la mondialisation. Alors que nous sommes partie prenante, et heureusement, de ce processus de mondialisation. Donc le débat actuel et un débat qui est faux, parce qu’il est fondé sur des concepts faux, sur des reconstructions, sur de l’imaginaire et pas sur la société française telle qu’elle est en train de bouger aujourd’hui.

Dans votre exposé, à la 23ème rencontre annuelle des musulmans de France, vous différenciez une laïcité juridique d’une laïcité idéologique.


Olivier Roy: La laïcité juridique, c’est la loi de 1905 telle qu’elle a été interprétée par les tribunaux. Il s’agit de la loi mais aussi de la pratique des tribunaux, c’est la jurisprudence. Vous avez un livre Le traité du droit français des religions qui est remarquable. Ce traité montre comment, dans le fond, pendant près d’un siècle, les tribunaux ont géré de manière très pragmatique, très flexible, très ouverte la question de la pratique religieuse. Donc la loi, dans sa dimension juridique, et non dans sa dimension politique, est pour moi un instrument qui fonctionne. Par contre, le problème, c’est la laïcité idéologique. Lorsqu’on dit par exemple que la laïcité est le fait que le religieux doit rester dans le privée, on n’est plus dans la définition juridique de la laïcité mais dans la définition idéologique. Il en est de même de ceux qui disent que l’islam doit se réformer. Ce qui est totalement absurde puisque si on est un laïc, on ne touche pas au théologique. Intimer l’ordre à une religion de se reformer, c’est refuser la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Une laïcité qui se respecte ne se pose pas la question du dogme. Et les tribunaux l’ont toujours rappelée.

Et la loi sur les insignes religieux dans tout ça ?


Olivier Roy: Et bien justement, si on a fait une loi en 2004 sur les insignes religieux, c’est parce qu’on ne pouvait pas interdire le voile à partir de la loi de 1905. Le conseil d’Etat a été très clair là-dessus. On ne peut pas interdire de manière absolue le voile dans les écoles sur la base de la loi de 1905. Donc la loi de 2004 est politique et elle est en rupture avec la tradition de la loi de laïcité de 1905.

Elle rentre dans une laïcité idéologique. Et vous dites aussi que le paradoxe de la laïcité idéologique sort du cadre de la laïcité juridique.


Olivier Roy: Parce qu’elle intervient dans le religieux. Alors je vous donne encore quelques exemples, qui ne concernent pas seulement les musulmans mais aussi les juifs: après la loi de 2004, on a vu brusquement des annulations de contrats avec des fournisseurs alimentaires dans des centres de loisirs ou de vacances, ou encore de cantines d’écoles, sous prétexte que la viande était Hallal ou Casher. Dans ces cas d’annulation, on n’est plus dans la laïcité juridique. Celle-ci interdit à la mairie de choisir explicitement de la viande Hallal ou Casher. Mais si un fournisseur de produit, qui répond à un appel d’offre et qui est le mieux disant dans le rapport qualité prix et qui répond aux conditions d’hygiènes, et bien que sa viande soit Hallal ou Casher, on n’a pas à le savoir. Or on a eu plusieurs cas d’écoles qui ont cassé des contrats sous prétexte que le fournisseur avait de la viande Hallal ou Casher. Et là je dis que c’est la laïcité idéologique. C’est comme le cas des laïcs qui voudraient interdire le voile à l’université par exemple, ils voudraient étendre la loi à tout l’espace publique. Ça c’est de l’idéologie.

Peut-on parler d’échec de l’intégration citoyenne ?


Olivier Roy: On a un peu tendance aujourd’hui à passer un peu du tout au rien, du noir au blanc très rapidement. Alors vous avez de grands moments d’exaltation, comme avec la coupe du monde où tout marche bien. Et puis vous avez de grands moments de déprimes comme avec les émeutes de banlieue en novembre dernier. C’est la catastrophe, l’intégration ne marche pas. Or, on est une société diversifiée. Parce que lorsqu’on dit tantôt l’intégration marche très bien, tantôt elle marche très mal, c’est qu’on voit les musulmans comme une population homogène. Or ils ne le sont absolument pas, on est dans un monde très diversifié. Vous avez des jeunes de banlieue, dont une grande partie sont d’origine musulmane, leur problème ce n’est pas l’islam, mais le chômage, le racisme etc… Et puis vous avez les classes moyennes qui sont en train de monter et que personne ne voit. Sauf à l’échelle locale où les maires commencent à voir, par exemple, qu’il y a un chirurgien à l’hôpital qui est musulman, qu’il y a aussi quatre profs au collège qui sont musulmans, et un gros commerçant…Ils s’aperçoivent qu’il y a des acteurs variés, avec des stratégies d’intégration différentes. Certains veulent rentrer dans la vie politique, d’autres veulent être reconnus comme citoyens etc… Donc les choses bougent. Mais ce qui gâche tout c’est les débats à la télévision. Tous les débats français sont structurés par ces débats idéologiques à la télévision.






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