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Nadia Yassine est à Paris

| Mardi 27 Juin 2006 à 11:10

           

Invitée en France par l'« Alliance pour la Liberté et la Dignité », Nadia Yassine est sortie du Maroc. Depuis quelques semaines elle parcourt l’Europe. Après Grenade et Bruxelles, la voici à La Défense, en ce vendredi 23 juin, à deux heures du match France-Togo qui vide Paris mais pas la petite salle de conférence enfouie entre les tours écrasantes où la mondialisation se joue dans des bureaux feutrés. Un symbole peut-être.



Nadia Yassine est à Paris
Ils n'étaient pas plus de 80 invités sélectionnés pour cette conférence. Il s’agit d’une de ces opérations de communication, devenues une spécialité de Al Adl Wal Ihsane, le mouvement de plus en plus visible du cheikh Adeslam Yassine son père. Quand soudain les têtes se tournent vers l’escalier de fer, l'on voit arriver, à travers les vitres, une femme à l’élégant hijab, au visage fin et racé dont un foulard marbré de gris fait encore plus ressortir un sourire très simple, mais sûre de son impact. Nadia est une communicatrice. C'est chose incontestable. Les présentations sont brèves. Elle rentre de plein pied dans son sujet oubliant la fatigue d'une tournée des capitales. Ce vendredi soir, Nadia Yassine s'est prononcée sur « La situation sociopolitique au Maroc suite aux exactions contre le mouvement Justice et bienfaisance »

Répression est harcèlement


Le ministre de l'Intérieur marocain justifie la répression par le fait qu’Adl al Wal Ihsane est hors la Loi en ne respectant pas les libertés publiques, la préservation de l’ordre et le respect du droit de réunion ainsi que celui des collectes de fonds.

Nadia Yassine, « Nous sommes victimes, depuis nos « Journées Portes Ouvertes », d’une vague d’arrestations et de menaces lancée par le Ministre de l’Intérieur Chakib Benmoussa. Nos militants sont arrêtés, leurs domiciles fouillés et environ 100.000 euros de matériels coûteux informatiques et bureautiques ont disparu. Nous n’avions que ces journée « portes ouvertes » pacifiques faites de prières, d’explications et transmettre notre message de tolérance et de Paix pour un Maroc nouveau plus proche de l’esprit d’Allah. Nous ne souhaitons pas autre chose et nous ne voulons absolument pas entrer dans la spirale d’une violence qui n’est pas dans les habitudes de notre mouvement. Sans existence légale, sans vrai moyen, sans organe de presse, il ne nous reste que cette possibilité d’action. Et en l’ayant utilisée nous en supportons les conséquences, avec calme et surtout dignité ».

Les attaques du ministère, même si elles sont lourdes et contraignantes sur place, relèvent plutôt d’une démonstration de forces pour positionner le Makhzen et contraindre le mouvement Yassine à se mettre en place. Le Palais sait qu’il faudra un jour ou l’autre compter avec les Adlistes et en les « persécutant » aujourd’hui il en oblige les dirigeants à se révéler et peut-être les pousser à devenir un jour un « vrai Parti » dans la mouvance d’un PJD institutionnalisé. Un islamisme d’Etat… ! Un islamisme « pluriel ».

Nadia Yassine s'étonne que « la France, contrairement à d’autres pays comme l’Espagne, la Belgique et même les Etats-Unis, respecte si peu ces Droits de l’Homme dont elle est fière, surtout en ce qui nous concerne. Droits de l’Homme à sens unique, choisis et à mériter dans le politiquement correct occidental. La France serait si proche de la monarchie marocaine qu’elle en oublierait ses principes les plus forts, les plus essentiels ! Je pense qu’elle va se ressaisir et prouver au monde que tous les opprimés peuvent toujours et encore compter sur elle ».

Morchidates


Ahmed Taoufik, ministre des Habous et des Affaires Islamiques, a lancé une première promotion de 50 prédicatrices-morchidates. Elles ont suivi une formation pluridisciplinaire d’une année: sciences islamiques, sociologie, environnement (national et international), communication, informatique et langues. Cette ouverture sur le monde extérieur, ces nouvelles venues dans le paysage marocain, qu’en pensez vous ? Une petite année d’études est elle suffisante ?

L'interrogée n'esquive pas la question. « J’y suis tout à fait favorable. Nous-mêmes, depuis longtemps, avons privilégié la formation et l’éducation. Et aujourd’hui, savoir que le pouvoir a su « nous écouter » nous rassure. Cinquante jeunes filles, ceci est exactement le nombre de prédicatrices que nous avions envisagé il y a quelques temps, pour une première promotion. Eduquer, former voilà l’essentiel. Nous ne cessons de le répéter.
Tout passe et commence par la formation. Il faut savoir que le Maroc avec 50% d’alphabétisation a un des taux les plus faibles du monde. Internet n’est en place que dans 2% de la population. Il y a encore beaucoup à faire. Et nous nous inscrivons avec joie dans tous les programmes qui permettraient de donner enfin à nos jeunes gens, à nos jeunes filles une chance de vivre, de survivre même. Qu’Ahmed Taoufik ait sélectionné des diplômées de nos universités dans sa première promotion montre son bon discernement, mais il faut qu’il sache aussi que parmi ces étudiantes et aussi ces étudiants (parce qu’il y a aussi 200 imams) la plupart sont proches de notre mouvement et en les choisissant il rend hommage en le sachant peut-être à notre mouvement. Il y a longtemps que nous travaillons à bien former nos représentants dans la société civile et religieuse, alors je ne peux qu’applaudir à ce genre d’initiative qui permettra peut-être de limiter et d’éradiquer l’action néfaste de certains faux prédicateurs. Enfin il serait, je pense, nécessaire de prévoir un cycle d’études plus conséquent. Une année scolaire me parait un peu juste, mais c’est un début. Il fallait bien commencer».

Par cette initiative, Ahmed Taoufik cherche à réglementer le champ religieux et à encadrer les populations croyantes selon les orientations qu’il aurait choisies. Il faudra à l’avenir des promotions beaucoup plus importantes et surtout avec plus d’une année d’études. Sortir des universités marocaines avec une licence et intégrer les sciences islamiques de but en blanc est un pari osé. Ils ne sont pas diplômés de Dar EL Hadith et leurs bases seront très certainement à revoir. Ce projet est bon, il mérite de mûrir. Le radicalisme religieux n’est pas dans la culture marocaine mais il faut être vigilant et la mosquée n’est qu’un point de départ. Il faut donner au corps social l’immunité nécessaire.

« Le roi est prisonnier du Makhzen »


Surréaliste. C’est pourtant bien elle, Nadia Yassine qui, devant 80 journalistes et observateurs attentifs de la vie politique marocaine, lance cette phrase qui se passe de commentaires. Elle est si forte et pourtant sur place personne ne réagit. Voilà, le grand tournant de la conférence. Cela fait trente années et plus que le mouvement attaque tous azimuts la monarchie et ses administrations. On s’en souvient tous parfaitement et voilà que la porte-parole du Mouvement Adliste essaie de dédouaner le Commandeur des Croyants dont le père allait jusqu’à mettre en doute l’originelle légitimité. Deviendrait-il fréquentable ? Nadia Yassine poursuit et martèle:

« Oui depuis son arrivée aux affaires, Mohamed VI a tenté et parfois réussi certaines avancées. Sa bonne volonté semble évidente. Mais pourra-t-il briser le carcan d’habitudes et la lourdeur des courroies de transmission du Makhzen. On se souvient tous de la question qu’il posa un jour à son père,
« Que devrai-je faire lorsque je serai Roi ? Durer lui répondit Hassan II, Durer ! »

Pour Nadia Yassine, le jeune roi semblerait avoir écouté ce conseil royal et peut-être, pour ce faire, devra-t-il tenter des rapprochements inhabituels ? Pourquoi alors ne pas faire confiance aux islamistes du terroir, comme Al Adl Wal Ihsane auxquels il manque l’essentiel, la reconnaissance des autorités pour prendre part au jeu politique? On peut imaginer que la pression actuelle est tout simplement orchestrée pour « faire sortir le loup de la bergerie » avant les prochaines élections et l'obliger à se déclarer et, qui sait, à envisager une alliance avec un PJD qui sans les adlistes n’aurait jamais pris le pouvoir aux dernières élections, mais surtout serait en manque aux prochaines.

« Nous ne pouvons accepter de tomber dans le piège en se contentant d’un accès à la vie partisane par la fenêtre d’autrui. Explique Nadia Yassine. Dans un parti il y a une idéologie et une organisation et la fusion des deux fait la réussite. L’esprit de mon père est là, il est transmis, mais reste l’action »

Et demain …


L’esprit du Cheikh est en effet très vivace. Mais il semblerait que les réflexions et les « visions nocturnes » de quelques-uns ne suffisent plus à une base impatiente d’actions. 2006, l’année de la « qawma » programmée, il ne reste que six mois et rien ne s’est encore passé. Les rangées s’éclaircissent et certains s’échappent du mouvement. On leur a beaucoup promis, ils ne vont même pas ailleurs et fréquentent toujours les réunions prolifiques en bonnes paroles.

Il faut montrer le droit chemin, la « route blanche » au makhzen disent-ils. Le couvercle va sauter, mais où ? Dans le mouvement ou autour du Roi ? Et si plus simplement le Maroc qui est profondément plus royaliste qu’on ne l’imagine n’était en train d’initier sa grande réforme et faisait en sorte de régler la partition intelligente des partis islamiques sous une bannière royaliste, celle de Amir al Mouminine ? Le Roi s’attend à une modernisation d’Al Adl Wal Ihsane. Le temps joue pour lui et la mutation s’opérera. Les sympathisants du Cheikh ne peuvent rester là à se réunir au pied de l’arbre de Paix et de Sagesse. Ils vont bouger et il faudra alors les canaliser. C’est le pari du Roi.

Nadia Yassine songe-t-elle un jour à entrer directement dans le feu du fait politique, là où tout se passe, là où tout se fait et se défait ? En fait, après tout, l’opposition est confortable même si elle n’est pas de tout repos.

Si vous accédiez aux manettes, s’il fallait une représentation au Parlement, si l’on vous proposait un ministère ?
« Nous ne cherchons pas le pouvoir pour le pouvoir, ni personnel, ni collectif. Mais pour moi, le ministère clé sera toujours celui de l’Education »

Il est environ 20 heures quand la conférence s'achève. France-Togo peut commencer.

« Qu’Allah protège votre beau pays ! » c'est sur cette Dou'a que Nadia Yassine prend congé. Tarik Assalama...

Youssef Chems, écrivain. A paraître « Hadj Amor » (Pour l’Amour de Dieu)





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