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Cinéma, DVD

My Sweet Pepper Land : un « eastern » au Kurdistan

Rédigé par | Mercredi 26 Mars 2014 à 06:00

           


© Memento Films Distribution
© Memento Films Distribution
Combattant de la lutte armée pour l’indépendance du Kurdistan depuis l’âge de 15 ans, Baran (Korkmaz Arslan) donne sa démission auprès du gouvernement fraîchement arrivé au pouvoir, pour enfin retrouver son village natal et sa vieille mère.

Las ! La matriarche ne pense qu’à lui faire passer la bague autour du doigt en lui faisant défiler toutes les filles du village. « Je suis un résistant, pas un flic », avait pourtant déclaré Baran lors de sa démission. Mais il va finalement vite briguer un poste de commissaire de police pour « fuir ma mère ! », justifie-t-il à son nouvel adjoint, affecté à Qamarian, un village perdu à la frontière nord, au carrefour de l’Iran, de l’Irak et de la Turquie.

Là y règne Aziz Baga, un vieux chef de clan qui fait sa loi sur cette région isolée où « les Kurdes d’Iran font du trafic d’alcool et les Kurdes de Turquie font du trafic d’armes ». « Il y a les lois écrites » mais « il y a les lois ancestrales », fait savoir le vieil Aziz Aga, qui n’entend pas se faire imposer les lois étatiques du nouveau gouvernement kurde, dont Baran est le représentant dans ce trou perdu.

Hiner Saleem, né au Kurdistan irakien qui a fui le régime de Saddam Hussein à 17 ans et vit actuellement en France, a déjà plusieurs films à son actif, mais c’est la première fois qu’il tourne dans le pays de ses ancêtres, bien que « J’ai envie d’être de partout, à l’image d’un citoyen du monde. Il se trouve que je suis né par hasard au Kurdistan, mais j’aurais aussi bien pu naître à Djibouti ou à Oslo ! », tempête-t-il. « Je ne me sens plus attaché à une géographie ni à un territoire, même si j’adore Paris, l’Europe et le Kurdistan », avoue-t-il. Il n’empêche…

Avec My Sweet Pepper Land, Hiner Saleem nous fait parcourir les superbes paysages montagneux de son Kurdistan natal et brosse une série de portraits patibulaires digne d’un « eastern », soit un western d’aujourd’hui situé à l’est de l’Europe et qui en revêt bon nombre de codes : le shérif (Baran), fervent défenseur de la justice, essaie de faire régner l’ordre dans un village sous la coupe d’un potentat local ; règlements de compte en tout genre ; corruption et trafic de médicaments ; course poursuite à cheval…

Mais Hiner Saleem double son « eastern » d’une histoire de femme, où la belle Golshifteh Farahani incarne Govend, une jeune institutrice qui entend coûte que coûte enseigner dans ce village perdu où personne ne veut postuler. Une femme indépendante qui acquiert la confiance de son père qui la laisse partir, seule, loin, et sans l’assentiment généralisé de sa dizaine de frères. L’honneur de la femme et, par là, l’honneur du clan sont en jeu.

L’amitié qui naît entre l’institutrice et le commissaire ne manquera pas d’alimenter les ragots, qui serviront au caïd local pour interdire à tous les enfants du village l’accès à l’école…

Les deux héros, masculin et féminin, insoumis aux lois du clan (tribal, pour Baran, et familial, pour Govend) incarnent ce que l’on peut souhaiter pour l’indépendance d’un pays : le courage, la justice, la liberté… Le réalisateur délivre ainsi quantité de messages en filigrane de ce très beau film, non dénué d’humour (la première scène d’exécution de peine capitale dans ce pays tout neuf qui ne dispose pas encore de prison ni de corde pour exécuter les voleurs, mais est fière d’appliquer la peine de mort est assez jouissive).

De plus, My Sweet Pepper Land est servi par une bande son éclectique, mixant le rock d’Elvis Presley, le blues américain, le classique de Bach et des chansons traditionnelles kurdes… Comble de l’étonnement : le hang, instrument de percussion que joue Golshifteh Farahani dans le film pour y exprimer tout à la fois sa mélancolie et sa force intérieure, que le spectateur croit être un instrument kurde traditionnel, est en fait un instrument contemporain né en 2000 et créé par des hippies suisses.

Oui, le réalisateur Hiner Saleem est effectivement un citoyen du monde.

My Sweet Pepper Land, de Hiner Saleem (France, Allemagne, Irak, 1 h 35)
Avec Golshifteh Frahani, Korkmaz Arslan...

En salles le 9 avril 2014.

Sélection officielle Un certain regard au festival de Cannes. Grand Prix du festival de Valenciennes 2014.


Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur


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