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Mobilisation pour Gaza : "les actions ici peuvent avoir un effet réel là-bas"

Rédigé par Propos recueillis par Amara BAMBA | Vendredi 2 Janvier 2009 à 11:40

           

La France manifeste ce samedi 3 janvier 2009 contre les bombardements israéliens de Gaza. Pour une période de vacances, la mobilisation est exceptionnelle à travers tout le pays. Le jeudi 1er janvier, des acteurs musulmans, habituellement concurrents, se sont réunis à Paris pour coordonner leur participation (départ à 15H, Place de La République). Malika B. était à cette réunion. Entretien avec une militante engagée de la cause palestinienne.



Mobilisation pour Gaza : "les actions ici peuvent avoir un effet réel là-bas"
SaphirNews : Allez-vous manifester samedi ?

Malika B. : J’aimerais bien. Mais auparavant il faudrait que je trouve un gros chien ou un âne.

Un chien pour la manif ?

Oui. Un beau chien. Je lance donc un appel. Si quelqu'un peut m'en prêter, un gros chien bien visible sinon je me contenterai d'un âne. Je suis prête à payer, à louer par exemple. Sur cette belle bête, je mettrai l'effigie de Hosni Mubarak, les drapeaux d’Israël et des USA. Alors je me rendrai tôt à la manif pour être en tête de cortège.

Et pourquoi le Président égyptien, c'est l'armée d'Israël qui bombarde ?

Les Israéliens tuent des Palestiniens depuis 1948 cela n’a n'a rien de nouveau ! Ca fait soixante ans que cela dure. Quand ils ne les tuent pas, ils les enferment dans des camps [...]. C'est pire à Gaza en cette fin 2008. Mais il faut savoir que la mort violente ou la mort lente, c'est le quotidien à Gaza. Cette fois, l'armée israélienne tue beaucoup plus en peu de temps. Ils ont seulement augmenté la cadence. Mais de toute façon, ces Palestiniens vivent dans des conditions où la mort n'est pas un accident, même la mort d'un enfant. Les gens ont oublié cet aspect et s’émeuvent de façon épidermique devant la mort en direct de 400 palestiniens pendant cette incursion. Combien sont-ils ceux dont la mort faute de soin ou de nourriture, c’est-à-dire l’aliénation des droits humains les plus élémentaires, est liée directement au blocus qui existe depuis la deuxième Intifada et qui, selon le contexte se durcit davantage avec de nouvelles règles qui dépassent l’imagination en terme de cruauté.

Mais alors pourquoi vous vous en prenez à l'Égypte?

Je ne m'en prends pas au peuple égyptien que je respecte profondément. Car c’est quand même plus facile de manifester à Paris qu’au Caire quelle que soit la cause. C'est à Hosni Mubarak que j'en veux. Parce qu'il joue un rôle malsain dans cette affaire. J'estime que Mubarak participe à 50% à la réussite de l'opération israélienne. Je dis 50 % parce que je veux rester modeste. Car l'Égypte peut faire quelque chose pour sauver des vies palestiniennes : il peut ouvrir ses frontières. Au lieu de cela, la presse égyptienne tient un discours de revendications nationalistes : l'Égypte aux Égyptiens, titrent-ils. Ils ne veulent pas ouvrir les frontières de peur de se faire envahir. Or nous sommes dans un contexte de guerre. Dans un tel contexte, l'on doit humainement, ouvrir ses frontières pour offrir un refuge à ceux qui sont menacés de mort. La Syrie, la Jordanie qui ont ouvert leur portes aux réfugiés irakiens en 2002 ont empêché un bilan plus lourd et économiquement ils ne sont pas aussi à l’aise que l'Égypte. Et ces pays se sont retrouvés avec 2 à 3 millions de réfugiés.

L'Égypte n'aiderait-elle pas ainsi Israël à expulser les Palestiniens hors de Palestine ?

Cela est purement théorique, mais en pratique non. Les Palestiniens n'ont pas l'intention de séjourner en Égypte. Ceux d'entre eux qui veulent émigrer, vont en Europe, au Maghreb mais pas en Égypte. Au mois de mars, quand ils ont ouvert les frontières, les Palestiniens sont entrés en Égypte, ils ont fait leurs courses et s'en sont retournés à Gaza. Non, les Gazawi ne veulent pas quitter Gaza pour un autre ailleurs... Peut-être quelques jeunes [...], mais pas l’ancienne génération. Ils sont déjà réfugiés pour la deuxième fois c’est-à-dire en 48 et ensuite en 67, et le statut de réfugié dans son propre pays n’est pas évident. Ils ne souhaitent plus refaire cette erreur.

Donc vous manifesterez contre l'Égypte

Oui, contre Mubarak et j’aurais souhaité que cette manifestation aille devant l'ambassade d'Égypte. Je n'irai pas jusqu'à manifester devant l'ambassade d'Israël. Cela n’a pas d’intérêt politique à mon sens parce qu’on ne peut rien attendre de cet État. Par contre, si on pouvait faire plier l'Égypte et faire ouvrir les frontières, l’opération capotera. Et si un couloir humanitaire permanent était ouvert côté égyptien cela changerait tout. Les gens vivant mieux, n’étant plus isolés, feront d’autres choix politiques.

Quelle impression retenez-vous de la réunion de coordination de jeudi ?

Je me suis retrouvée à cette réunion par un concours de circonstances. J'y ai pris part car un ami m’a demandé de venir. C'est toujours enthousiasmant de voir une telle initiative mais mon sentiment personnel est assez décevant. Car dans l'ensemble les gens n'ont pas véritablement conscience des enjeux de ce qui se passe au Proche-Orient. Ils n'ont pas conscience que leurs actions ici peuvent avoir un effet réel là-bas, dans le contexte de mondialisation actuel. Et cela me peine. Ils sont des citoyens français, des Européens, avec une marge d'action politique certaine. Or leur réaction me semble épidermique. Cette absence de maturité politique ou de vision à long terme m'a beaucoup gênée.

Vous avez vécu en Palestine. Ce n'est pas le cas de tous !

Certes, mais je voyais déjà ce décalage dans le mode d'engagement, bien avant mon séjour en Palestine. Sept années plus tard, j'ai l'impression que les choses n'ont pas beaucoup évolué. Les actions sont toujours pensées de manière trop communautaire sans grande ouverture ou tout simplement sans un véritable enracinement citoyen.

Recevez-vous des nouvelles de Gaza depuis cette nouvelle attaque israélienne?

Oui, je suis en contact quotidien avec la famille et mes amis de Gaza grâce au téléphone ou à Internet... Nos amis sont éparpilles dans la bande de Gaza; donc on appelle à Gaza, ou à Khan-Younis, à Rafah, à Jabaliya, etc. Et on suit les incursions par les témoignages de nos amis parfois avant même qu’ils fassent l’objet d’une dépêche d'agence de presse. Et en dehors de cette agression militaire, nous avons un compte-rendu depuis 6 ans de la vie quotidienne des gens. Et je me souviens qu’en 2002, quand j’ai débarqué pour la première fois à Gaza, je n’ai pas arrêté de pleurer pendant 3 semaines. Je n’avais jamais autant vu de misère humaine, rien à voir avec la Cisjordanie où je vivais.

Qu'est ce qui remonte depuis une semaine ?

Il y a ces photos des victimes qui circulent sur le net. Des photos anonymes sur lesquelles nous reconnaissons des gens qui sont venus manger à la maison. C'est dur, c'est très dur à vivre car on prend les évènements en pleine gueule. On a forcément une autre approche des choses que celle des médias. Sur une photo j'ai vu des gens que je connais qui sont des gens instruits, cultivés et qui ont voyagé... On est loin de l'image médiatique de la civilisation qui fait la guerre à la barbarie. Il y a mon beau-frère qui a été blessé, mal soigné et qui risque de mourir plus tard. Une amie française dont je n’ai plus aucune nouvelle, ferait-elle partie des victimes ?

Je n'ai pas les statistiques. Mais 400 morts 2000 blessées en six jours c'est rare...

Humainement, le traumatisme est grand à Gaza. C'est que les Israéliens ont changé leur méthode. D'ordinaire, ils survolent d'abord la zone. Selon la distance de vol de ces avions de repérage, les populations évaluent le risque et prennent les dispositions qui s'imposent. L’oreille devient experte pour vous dire si l’avion est bas ou suffisamment haut et s’il va larguer ou non ses bombes. Cette fois-ci, dès le premier vol, ils ont directement lâché leurs missiles. Cela a fait un effet de surprise, une situation de guerre éclair. La population n'a pas eu le temps de se mettre à l'abri. Les parents étaient à leurs activités et les enfants étaient à l'école. Les rues de Gaza sont toujours pleines de monde comme toute ville arabe.

Israël arrêtera ses bombes si le Hamas cesse ses tirs de roquettes. Qu'en pensez vous ?

C'est un faux prétexte. Même s'il n'y avait pas de tirs de roquettes, ils auraient attaqué quand même. Les roquettes du Hamas sont des roquettes de brocante. Ce ne sont pas des armes de guerre, c'est une production artisanale juste propre à poser des actes de délinquance. Mais en face il y a une puissance militaire mondiale qui a la volonté de se présenter comme une démocratie. Une démocratie qui devra répondre de ses actes qui sont des crimes de guerre devant un tribunal international. La notion même de crime de guerre a été définie dans le cadre du procès de Nuremberg pour les crimes nazis commis contre les juifs. Posture paradoxale pour Israël !

Des roquettes de foire, dites-vous? Il y a pourtant des victimes...

C'est ce qu'on dit... Il y a quelques jours tout le monde parlait d'un Israélien tué par des roquettes du Hamas. En effet, il s'agissait bien d'un Israélien qui travaillait sur un chantier mais c'était un Arabe israélien. Soudain, on nous en fait un héros juif tué par le Hamas alors que dans sa vie quotidienne cet Arabe israélien n'a pas les mêmes droits que les Juifs israéliens. Il fait partie du million de personnes que Tizpi Livni veut expulser d'Israël parce qu'ils ne sont pas juifs. Car dans son programme politique, Tizpi Livni souhaite la création d’un État palestinien et veut se débarrasser de 20 % de la population israélienne parce qu’ils ne sont pas Juifs mais arabes; parmi eux des chrétiens et des musulmans. Ils seront déchus de leur nationalité et deviendront de futurs réfugiés comme ceux de 48 ou de 67, la communauté internationale devra résoudre alors une problématique délicate.

Tizpi Livni est à Paris et Nicolas Sarkozy bientôt à Tel Aviv. Vous y croyez ?

Sarkozy a fait beaucoup d'efforts pour mettre Israël en bonne place en Europe. Et je m'interroge sur le rôle qu'il peut jouer dans ce conflit. S'il avait le courage politique d'aller à Gaza, alors peut-être il aurait des chances de faire avancer les choses. Car il manifesterait ainsi une volonté d'objectivité. Mais pour cela il faut avoir du courage politique. Mais si Sarkozy reste en Israël pour faire la visite des trous que les Kassam ont fait dans quelques murs, alors il prouvera qu'il a un parti pris. Et son voyage n'aura de but que pour appuyer l'élection de Tizpi Livni et le maintien d'une politique brutale pour de longues années. Je m’étonne du silence d’Obama qui préfère contempler les dauphins à Hawaï que de se mettre dans la peau de celui qui aura à gérer ce délicat dossier en tant que président de la première puissance mondiale. Manque d’impartialité peut-être donc on préfère se taire ?

Un dernier point: Israël ne s'en prend pas à la Palestine, mais qu'il s'en prend au Hamas. Vous comprenez cette idée ?

Je pense qu'avant de s'en prendre au Hamas, Israël s'en prend au peuple palestinien. Car, à un moment donné, le peuple palestinien a voté pour ce parti. C'est un mouvement idéologique. Ce n'est pas avec des bombardements qu'on en finit avec une idéologie. C'est connu. C’est donc délibérément un crime commis à l’encontre du peuple palestinien. On imaginerait mal Sarkozy bombardant la Bretagne ou l’Ardèche car elle aurait voté massivement pour un Besancenot ou une Royal. Ce sont les règles de la démocratie et on a rarement le choix de son interlocuteur quand on veut faire la paix. Arrêtons donc de criminaliser et de déshumaniser les gens du Hamas uniquement parce que leur idéologie s’inspire de l’islam et qu’il est de bon ton dans une culture dominante post 11 septembre 2001, de faire de toute personne qui revendique un lien avec l’islam, un terroriste. Je rappelle que les chrétiens de cette région ont également voté pour ce parti car il représentait un possible changement. Pourquoi Israël ne bombarde t-elle pas Bethlehem ? Et ces enfants que l’on tue sont-ils adhérents du Hamas ? 2009 risque d’être une année encore plus violente politiquement que les autres années car les images de Gaza ont fait le tour du monde. Et de Mexico à Paris, partout des consciences se soulèvent pour manifester contre cette ignominie mais d’autres répondront à la violence politique par une autre violence politique; et la paix dans le monde, il me semble, est réellement menacée depuis cette incursion.





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