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Points de vue

Manchester contre Kaboul, nos morts, les leurs

Les récits de Bent Battuta

Rédigé par | Samedi 17 Juin 2017 à 09:00

           


« Flags », œuvre de l’artiste syrien Tammam Azzam.
« Flags », œuvre de l’artiste syrien Tammam Azzam.
MANCHESTER. – Chaque mois de Ramadan, je tente de me désintoxiquer de mes addictions. L’actualité tout comme l’hyperconnexion en font partie.

Ces dernières semaines ont été dominées par la même actualité. Le chaos et la mort. J’ai conscience que les médias et les réseaux sociaux ne sont qu’une infime partie de ce qui se déroule sur le globe. Ce qui nous est offert n’est qu’une séquence partielle et partiale de la vie sur Terre. Et pourtant c’est celle-là qui vient se déverser à flots sur mes écrans.

Les derniers jours pourtant, je ne suis pas parvenue à faire abstraction de la violence. Difficile de passer outre l’atrocité de Manchester et des attentats dans la salle de concert. Difficile de passer outre Londres, ville que j’arpente régulièrement. Et difficile de passer outre les « Je suis Londres » ou « Je suis Manchester ».

Alors que je ressentais ce profond désarroi devant la litanie mortuaire des derniers jours, je revoyais apparaitre le nom des villes Mossoul, Bagdad, Kaboul, Téhéran. Ces dernières plus lointaines étaient le théâtre, elles aussi, du pire.

S’il fallait être honnête, je pense que nous serions nombreux à admettre le fait que nous nous sommes habitués à voir côte à côte Bagdad et attentats. Cette association d’idées est commune. Si l’on regarde le traitement des évènements, Bagdad a droit à une fraction de seconde dans nos journaux télévisés quand Manchester fait la une. Pourquoi la vue d’un enfant anglais provoque-t-elle davantage d’empathie et de compassion qu’un enfant de Mossoul ou de Kaboul victime d’armes au phosphore ?

Pourquoi une telle différence de traitement ?

Sur l’échelle de notre humanité, on peut tous s’accorder à dire que la vie d’un homme est égale à la vie d’un autre. Nous sommes tous des êtres vivants, pensant, souffrant soumis aux mêmes lois de la Nature. Mais pourquoi alors tant de gravité quand il s’agit de Londres et pourquoi tant de légèreté quand il s’agit des autres ?

Le drame qui se joue depuis la série des nouvelles vagues d’attentats au Danemark, en Grande-Bretagne, en Allemagne, ici chez nous, en France, réside en fait au fond de nous-mêmes. Les morts de Manchester nous rappellent avec cruauté que l’Occident, sûr de lui, capable de mener et d’ouvrir de nouveaux fronts sur les quatre coins du globe est aussi vulnérable que Kaboul et Bagdad. Que nos vies, elles aussi, sont soumises à l’absurdité d’être au mauvais endroit au mauvais moment.

Si chacun d’entre nous vivant dans une Europe en paix depuis la Seconde Guerre mondiale est aussi pétrifié et touché par ces attentats, c’est parce que nous sommes devenus aussi fragiles et vulnérables (toutes proportions gardées) que l’Irakien de Bagdad ou l’enfant de Kaboul.

C’est cela qui, au fond, nous paralyse tant. C’est aussi cela qui nous amène à accepter une surveillance et une présence toujours plus importante de l’armée et de la police. C’est aussi cela qui nous amène à accepter aussi stoïquement l’état d’urgence avec sa remise en question toujours plus grandissante de nos libertés individuelles.

La première fois que ma mère m’a accompagnée en Palestine occupée, elle avait été pétrifiée. Pétrifiée par l’armée, les hommes et les femmes armes en bandoulière.

Je parie que si nous retournions ensemble le choc serait moins violent, non pas tant à cause d’un quelconque changement ou amélioration de la situation mais principalement par qu’elle s’est habituée au plan Vigipirate et à son corollaire, l’omniprésence de militaires.

Paris, Copenhague, Berlin, Bagdad, Kaboul, Le Caire, Bruxelles, Mossoul, Téhéran, Orlando, Londres et toutes ces nombreuses villes frappées de plein fouet par le terrorisme, peu importe la forme, la couleur, l’idéologie dont il se pare, celui-ci nous plonge dans un monde où le sentiment de sécurité prend le pas sur notre liberté de nous déplacer, de nous exprimer. Un monde digne d’Orwell.

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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.



Samia Hathroubi
Ancienne professeure d'Histoire-Géographie dans le 9-3 après des études d'Histoire sur les débuts... En savoir plus sur cet auteur


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