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Points de vue

Malek Bennabi, une vie au service d’une pensée

Rédigé par Jamel El Hamri | Dimanche 1 Janvier 2017 à 17:00

           


L'intellectuel Malek Bennabi (1905-1973)
L'intellectuel Malek Bennabi (1905-1973)
Malek Bennabi est né le 1er janvier 1905 à Constantine et il est mort le 31 octobre 1973 à Alger. Séjournant en Algérie, en France et en Égypte, il a vécu à la fois l’apogée du colonialisme français, l’éveil de la conscience musulmane, l’organisation du mouvement national algérien et l’indépendance de l’Algérie. Malek Bennabi s’inscrit dans le sillage du réformisme musulman orthodoxe (islah) incarné par Ibn Bâdîs tout en faisant partie de cette nouvelle génération d’écrivains algériens d’expression française après la Seconde Guerre mondiale.  C’est dans ce métissage et cette synthèse des genres que l’on trouve entre autres l’originalité de Malek Bennabi : écrire à partir de l’islam en langue française au service d’une libération nationale et dans une perspective civilisationnelle.

Malek Bennabi a proposé une nouvelle approche de l’islam, à la fois historique et spirituelle, dans laquelle « l’idée religieuse » se prouve a priori dans sa révélation et a posteriori dans son efficacité sociale. La spiritualité est envisagée sous l’angle social, il analyse la civilisation musulmane à travers une esquisse de philosophie de l’histoire dans laquelle il observe des lois immuables, des lois divines. De ces lois, il dégage des règles de décollage d’une société vers la civilisation.

Un théoricien de la colonisabilité

Pour ce faire, Malek Bennabi dans son esquisse de philosophie de l’histoire considère ainsi que la civilisation musulmane est passée par trois phases : la phase de l’âme, de la Révélation coranique (610) à la bataille de Siffin (657) ; la phase de la raison, de la dynastie des Omeyyades (661) à la fin de la dynastie des Almohades (1269) ; la phase des instincts primitifs, de la fin de la dynastie des Almohades (1269) au débarquement d’Alger (1830). Il conceptualise dès lors la notion de colonisabilité, une sorte de répertoire des complexes endogènes de l’homme musulman décadent, qu’il situe historiquement après la chute de la dynastie des Almohades en 1269, contemporaine de la chute de Bagdad en 1258.

De là, il forge deux notions pour décrire cette décadence: la société post-almohadienne sans cohésion interne et l’homme post-almohadien sans mission sur terre. C’est la raison pour laquelle Malek Bennabi considère que la colonisabilité précède la colonisation française. Il ne veut en aucun cas justifier la colonisation mais, au contraire, il souhaite la relativiser dans le temps long. La colonisation est venue, selon lui, faire craquer cet ordre social passif et contemplatif qui a fait sortir l’homme musulman de l’Histoire.

Cependant, la renaissance musulmane, parce qu’elle n’envisageait pas le problème sous l’angle civilisationnel a sombré par ses deux réponses, moderniste et réformiste, dans les idées mortes et mortelles. Aucun mouvement, pas même le kemalisme, l’arabisme, le salafisme ou encore le wahhabisme, n’a pu, selon Malek Bennabi, relever le défi du renouvellement de l’homme musulman « malade ». La culture de l’entassement leur fait penser que l’on faisait une civilisation en achetant des produits de l’Occident.

Malek Bennabi, une vie au service d’une pensée

Un projet de civilisation

Tout d’abord, pour Malek Bennabi, ce sont les idées religieuses qui font l’Histoire : elles ont un pouvoir de tension, d’intégration et d’orientation qui poussent les hommes à faire société, à prendre en main leur destin. Pour lui, l’islam est une idée qui doit être vécue comme une « vérité travaillante », authentique et efficace au service des Hommes, des sociétés et de la civilisation humaine. Elle détient en elle une promesse majeure : le paradis céleste et une promesse mineure : la civilisation. Si ce n’est plus le cas, un changement doit s’opérer dans l’âme humaine comme le verset coranique le mentionne : « Dieu ne change pas l’état d'un peuple tant que celui-ci n’ait auparavant transformé son âme » (Coran, s.13, v. 11).

La société musulmane doit également faire un travail de reconstruction de la culture musulmane. Cela implique deux choses : d'une part, le retour aux sources de l’islam qui consiste au dépouillement du texte coranique de sa triple gangue : théologique, juridique et philosophique ; d'autre part, le filtrage des idées mortes du patrimoine musulman et des idées mortelles de la civilisation occidentale.

Ensuite, pour renouveler la société, la culture doit être envisagée non plus comme une science mais une ambiance dans laquelle s’épanouit l’homme qui porte en lui la civilisation. La culture est une doctrine de comportement général d’un peuple dans toute sa diversité et sa gamme sociale. Elle est à la fois : une éthique, une esthétique, une logique pragmatique, une technique. Enfin, pour promouvoir un témoignage en phase avec les valeurs morales et sociales de l’islam, toujours selon l’intellectuel algérien, la société doit porter un projet de civilisation qui est d’abord le produit d’un vouloir et d’un pouvoir. Synthèse bio-historique des richesses permanentes que sont l’homme, le sol et le temps mis en branle par un catalyseur représenté par « l’idée religieuse », il la pose en terme d’équation : Civilisation = homme + sol + temps + idée religieuse. Il aime rappeler l’exemple du Japon pour affirmer qu’un nouveau cycle de civilisation est possible.

Dans un monde d’après-guerre dont il pressent que ce dernier chemine lentement vers une civilisation humaine, le musulman lambda doit, selon Malek Bennabi, réincarner l’idée originelle de l’islam, à l’instar du Prophète Muhammad, pour pouvoir apporter une âme à la civilisation humaine. Un rôle de modérateur spirituel des excès de la pensée matérialiste et des egos nationalistes semble se dessiner dans l’esprit de Malek Bennabi. Les musulmans doivent donc trouver les conditions nouvelles d’un mouvement, à partir de « l’idée religieuse », pour la collectivité humaine.

Après sa mort en 1973, alors qu’aucun Etat, mouvement intellectuel ou religieux n’a concrétisé réellement sa pensée, elle semble bénéficier d’un regain d’intérêt depuis le 11-Septembre et les révolutions arabes de 2011 dans l’ensemble du monde musulman. Cet intérêt touche également les musulmans de France qui cherchent à travers la pensée de Malek Bennabi les moyens de sortir de l’ornière, une des voies du renouveau.

Jamel El Hamri, Malek Bennabi, une vie au service d’une pensée, Al Bouraq, octobre 2016, 112 p., 9 €.

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Jamel El Hamri est fondateur de l'Académie française de la pensée islamique (AFPI), doctorant en islam contemporain à l'université de Strasbourg et Diplômé d'islamologie à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE) à Paris.

Du même auteur :
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1.Posté par François Carmignola le 02/01/2017 16:40 | Alerter
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Situer la décadence de l'islam (et aussi de l'homme musulman) dès la destruction de Bagdad par les mongols, en 1258, c'est qualifier sévèrement une chose ancienne. Cette sévérité sera largement reprise.


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