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Politique

Mahinur Özdemir : « Tout le monde a oublié qu’il y a une personne sous ce voile »

Interview

Rédigé par Vedat Denizli | Lundi 29 Juin 2009 à 02:47

           

C’est sous les applaudissements du public que Mahinur Özdemir, une jeune Belge d’origine turque, a été investie au Parlement régional de Bruxelles mardi 23 juin. Après le chef du gouvernement régional sortant, Charles Picqué, c’est la deuxième fois qu’un député est applaudi par le public. Âgée de 26 ans, elle est également l’élue la plus jeune du Parlement. À la veille de la prestation de serment, elle se confie à Zaman en regrettant qu’on ait surtout parlé d’elle à cause de son voile plutôt que pour sa personnalité. Même si pour elle « tout le monde a oublié que sous ce voile il y a une personne », Mahinur Özdemir se disait déjà sereine en assurant que l’investiture officielle se passerait bien.




Vous avez été élue au Parlement régional de Bruxelles. Que ressentez-vous ?

Mahinur Özdemir : Je suis très heureuse, mais aussi très surprise. Car j’ai vécu une campagne très active. J’ai été victime d’une pression qu’aucun candidat n’aurait pu s’imaginer. Mais, grâce à Dieu, j’ai été élue. Et, conformément à l’écho positif qu’a eu mon âge dans l’opinion publique, je suis aussi particulièrement heureuse de représenter la jeune génération de politiciens.

Quels types de pressions avez-vous connues durant la campagne ?

Mahinur Özdemir : Avant tout, exagérant certaines choses, ils ont fait dans la presse des commentaires qui ne sont que le fruit de leurs préjugés à mon sujet. La presse belge en a longuement parlé. Puis, au sein même du parti, il y a eu l’affaire « Photoshop », que les autres partis ont instrumentalisée contre moi. On a dit que mon parti m’utilisait. Tout le monde a oublié qu’il y a une personne sous ce voile. Tout le monde a oublié qu’il y avait sous ce voile une personne compétente, éduquée et ayant déjà été élue dans un conseil municipal et ayant assumé ses fonctions avec succès. Du coup, je n’ai pu décrire ni mes projets ni ma personnalité. On m’a obligée à m’exprimer uniquement en tant que femme voilée.

Si on parlait plus de nos projets que de ce qu’il y a sur notre tête, ces types de préjugés disparaîtraient progressivement. Il y a dans la société des centaines de jeunes filles voilées. Elles aussi aimeraient qu’on parle d’elles plus pour ce qu’elles ont dans la tête que pour leur voile. C’est le message du chef de notre parti, il s’est surtout préoccupé de mes capacités, de ce que j’avais sous mon voile. Et c’est également le message qui a été donné au sein du parti.

Vous attendiez autant d’intérêt de la part des médias ?

Mahinur Özdemir : Non. Je pensais que j’allais vivre une campagne normale semblable à celles des autres candidats. Même s’il est vrai qu’en 2006 j’avais attiré l’attention des médias, mais cela n’avait pas pris ces proportions. Mais cette fois-ci, les médias belges s’occupent du fait que je suis la plus jeune député du Parlement régional de Bruxelles, alors que les médias turcs s’occupent de mon voile.

Qu’est-ce qui a changé dans votre quotidien ?

Mahinur Özdemir : Hier, je suis entrée pour la première fois au Conseil d’administration décisionnel du parti. D’habitude, j’y entrais uniquement pour prendre des notes.

La Turquie a connu l’affaire Merve Kavakçi *. Elle a été élue, mais il y a eu des problèmes pendant la prestation de serment. Vous vous attendez à de telles tensions ?

Mahinur Özdemir : Non, absolument pas. Car, trois ans auparavant, quand j’avais été élue au conseil municipal il y avait eu également des polémiques semblables. Mais, finalement, c’est le peuple qui m’a choisie. Il n’y aura pas de tels problèmes. Il n’y a pas en Belgique de moyens légaux de créer des difficultés. D’ailleurs, les Verts ont déclaré leur soutien à notre parti sur cette question.

Comment votre famille a-t-elle vécu votre réussite ?

Mahinur Özdemir : Ils étaient très émus. En vérité, au dernier moment, ils étaient subitement très pessimistes. Plus précisément, ils se sont dit : « Ça ne va peut-être pas être bon. » Mais, finalement, ils ont été très heureux de voir que j’ai été élue. Pour moi, c’était très important qu’ils soient auprès de moi.

Avez-vous un message pour la Turquie ?

Mahinur Özdemir : Pas directement. Au final, je suis une députée élue en Belgique. J’ai un lien affectif avec la Turquie. Issue de la troisième génération, je suis née et j’ai étudié ici. J’aimerais pouvoir briser les préjugés en travaillant pour tout le monde, sans distinction de religion, d’ethnie ni d’origine.

* En mai 1999, l’affaire Mervé Kavakçi députée élue du Fazilet, le Parti islamique de la vertu, a fait scandale. Cette jeune femme de 31 ans, diplômée aux États-Unis, possédant la double nationalité turque et américaine, s’était présentée voilée devant le Parlement pour y prêter serment. Ce fut un tollé. Elle dut quitter la salle sous les huées des députés laïques. Elle fut déchue de sa nationalité turque.



Parcours

Fille de commerçants turcs installés à Schaerbeek, un quartier à forte population immigrée de Bruxelles, Mahinur Özdemir, 26 ans, est diplômée en sciences politiques de l'Université libre de Bruxelles (ULB). Membre du Centre démocrate humaniste (CDH) – ancien parti social-chrétien francophone –, elle a siégé voilée pendant trois ans au conseil municipal de Schaerbeek sans que cela ait suscité de polémique.

Portant le foulard depuis ses 14 ans, « de sa propre initiative » selon ses propos, Mahinur Özdemir est non seulement la plus jeune député mais aussi la première député voilée à siéger au Parlement bruxellois.

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