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Points de vue

Le passé de la France : un élément clé pour les relations entre musulmans et non-musulmans

Par Katia Yezli*

Rédigé par Katia Yezli | Mercredi 5 Septembre 2012 à 10:54

           


La mosquée Takwa, dans le cimetière franco-musulman de Bobigny (93), en Seine-Saint-Denis. Construit en 1934, ce lieu est aujourd'hui classé Monument historique.
La mosquée Takwa, dans le cimetière franco-musulman de Bobigny (93), en Seine-Saint-Denis. Construit en 1934, ce lieu est aujourd'hui classé Monument historique.
Nul ne peut nier que la France est désormais un pays culturellement diversifié et qu'elle tente parfois de faire face à cette diversité. Aujourd'hui encore, l'Histoire et son héritage jouent un rôle majeur dans l'évolution de la société française et la mémoire collective des non-musulmans et des musulmans vivant en France.

En effet, l'Histoire influe sur la manière dont les différentes communautés interagissent et dont l'Etat communique avec la population musulmane. La France et l'Afrique du Nord, notamment l'Algérie qui fut autrefois considérée comme un département français, ont des histoires étroitement liées mais des mémoires souvent contradictoires. Afin de promouvoir de meilleures relations entre les communautés françaises et nord-africaines et entre l'Etat français et sa minorité musulmane, il faut se pencher sur leur histoire.

Les relations entre musulmans et non-musulmans font partie de l'histoire de France depuis au moins le XIXe siècle lorsque la France est devenue une puissance coloniale en Afrique du Nord musulmane. Plus récemment, l'Histoire s'est poursuivie à l'intérieur des frontières de la France à mesure qu'ont afflué des vagues successives de travailleurs et d'étudiants en provenance de ses anciennes colonies, principalement d'Algérie, du Maroc et de Tunisie. Bien des descendants de ces immigrés sont maintenant des citoyens français ; et la plupart d'entre eux sont musulmans.

Afin de promouvoir un meilleur dialogue entre les Français musulmans et non-musulmans, il importe d'avoir des connaissances plus larges sur certains faits de l'histoire. Un grand nombre de soldats nord-africains par exemple, également connus sous le nom de tirailleurs ou de turcos, ont été incorporés dans l'armée française lors des Première et Seconde Guerres mondiales. Beaucoup sont morts dans les tranchées durant la bataille de Verdun en 1916. La Grande Mosquée de Paris (GMP) a vu le jour en 1926 précisément pour honorer les musulmans ayant combattu pour la France. Elle constitue en outre la première grande reconnaissance symbolique et officielle de la présence de l'islam sur le sol français.

Depuis lors, et surtout après la fin de la guerre d'Algérie en 1962 qui a marqué la fin de l'ère coloniale française, la France s'est adressée à la minorité musulmane essentiellement par l'intermédiaire des institutions de l'Etat.

En 2003, l'ancien président Nicolas Sarkozy créait le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM). Son but était de rassembler les principales branches de l'islam et les différentes organisations islamiques (dont la GMP), lesquelles entretiennent toutes de solides liens avec l'Algérie, le Maroc et la Tunisie.

Réexaminer le passé colonial de la France avec ces pays peut contribuer à promouvoir aujourd'hui de meilleures relations entre la communauté nord-africaine et les non-musulmans.

Des efforts sont faits dans ce sens. D'ailleurs, le président François Hollande qui est supposé se rendre en Algérie avant la fin de l'année, a adressé une lettre au président algérien Abdelaziz Bouteflika le 5 juillet dernier, jour de l'indépendance de l'Algérie. Il a évoqué un « regard lucide et responsable sur le passé colonial de la [France] ». Ces mots pourraient vouloir dire que la France reconnaît officiellement sa responsabilité dans les massacres de Setif et Guelma qui ont eu lieu lors des manifestations pour l'indépendance de l'Algérie en mai 1945.

De tels gestes pourraient mettre un terme à un « combat de la mémoire », une expression employée par l'éminent historien français Benjamin Stora pour décrire la manière de considérer le passé colonial entre les communautés musulmanes et non-musulmanes et aider à reconstruire une société encore parfois divisée sur les allégeances du passé.

Il est impératif d'offrir une vue plus équilibrée de ce qu'a vraiment été le passé colonial de la France. Il ne s'agissait pas seulement d'une « mission civilisatrice ». La France devrait reconnaître à la fois les problèmes liés au colonialisme et le rôle qu'ont joué les musulmans en France (exemple : les musulmans qui ont servi durant les Première et Seconde Guerres mondiales) dans un souci de réconciliation – et veiller à ce que les livres d'histoire et les programmes scolaires en tiennent compte.

De plus, les historiens de part et d'autre de la Méditerranée devraient travailler ensemble sur des projets liés à la mémoire collective – comme l'historien français Benjamin Stora et l'historien algérien Mohammed Harbi qui ont ouvert la voie – et revisiter l'héritage colonial de la France en Algérie et dans d'autres pays d'Afrique du Nord. Il faut abandonner le « combat de la mémoire » et aller de l'avant.

MM. Stora et Harbi ont co-écrit La Guerre d'Algérie - 1954-2004 : La fin de l'amnésie, réunissant certains des plus grands spécialistes en la matière qui ont travaillé ensemble sur la délicate tâche d'apporter une analyse objective sur ce sujet. A l'avenir, l'accès commun aux archives historiques tant en France qu'en Algérie pourra contribuer à établir des liens plus solides entre les historiens des deux pays et leur permettre ainsi de développer un récit historique commun.

Avec la récente élection de M. Hollande, la société française revoit la place de l'islam en France. Souhaitons que la présidence de François Hollande marque le début d'un nouveau chapitre pour une société plus « inclusive » – et se tourner vers l'Histoire est une démarche importante pour atteindre cet objectif.


* Katia Yezli est journaliste indépendante.





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