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Points de vue

Le message du grand mufti de Bosnie au pape François

Par le cheikh Mustafa Ceric

Rédigé par Mustafa Ceric | Mercredi 3 Avril 2013 à 08:15

           


Le message du grand mufti de Bosnie au pape François
L’élection du pape argentin François, le 266e évêque de Rome et chef de l’Église catholique romaine, mérite aussi bien nos félicitations que nos réflexions sur le futur de la coexistence des musulmans et des chrétiens ainsi que sur le dialogue entre ces deux communautés.

En tant que survivant du génocide ayant eu lieu à la fin du XXe siècle en Bosnie, je suis personnellement très intéressé par la politique du Vatican et le message du Saint Siège, qui s’exprime au nom de l’église catholique. Alors que l’influence politique du Vatican est limitée à de la diplomatie publique, son influence spirituelle revêt une grande importance pour des millions de chrétiens de par le monde. En conséquence, le pape a toujours eu un impact important sur la paix globale et la sécurité.

Le pape François pourra peut-être trouver, dans les œuvres de ses deux prédécesseurs, des leçons importantes, qui pourront guider ses relations futures avec les musulmans.

Le pape Jean-Paul II était un bon communicateur et un partisan du dialogue interreligieux. Ses relations avec le monde musulman étaient respectueuses et prometteuses. Par exemple, il s’exprimait, depuis la basilique Saint-Pierre, à Rome, chaque dimanche, contre le siège de la ville de Sarajevo, siège qui dura quatre ans. Le message du pape Jean-Paul, « Plus jamais la guerre. Plus jamais la haine et l’intolérance », a été bien reçu par l’ensemble des gens. Lorsqu’il a visité Sarajevo en avril 1997, feu le président bosniaque Alija Izetbegovic avait déclaré que le pape Jean-Paul II était « l’un des hommes les plus influent du XXe siècle ».

Alors que les relations avec les musulmans étaient marquées par le discours malheureux du pape Benoît XVI sur l’islam et le Prophète Muhammad à l’Université de Regensburg en 2005, ses excuses subséquentes ont ravivé le dialogue.

Le dialogue qui s’est ensuivi a débuté avec « A Common Word Initiative » (l’Initiative du mot commun), lancée par 138 intellectuels et académiques musulmans. En octobre 2007, ces intellectuels musulmans ont publié une lettre ouverte à l’intention du monde chrétien, baptisée « A Common Word between Us and You » (Un mot commun entre vous et nous), l’invitant à la recherche d’un terrain d’entente s’appuyant sur l’amour de son voisin et d’un dieu unique. Tous les pays à majorité musulmane du monde étaient représentés et les leaders chrétiens à travers le monde ont répondu de façon positive à cette initiative.

Cela a permis la création d’un forum catholique-musulman. Deux sommets ont été tenus depuis. Le premier a eu lieu au Vatican en 2008, durant lequel le pape Benoît XVI a rencontré tous les participants et le second, en Jordanie, en 2011. Les relations ont également été renforcées au travers du pèlerinage du pape Benoît XVI sur le lieu de baptême de Jésus en Jordanie et par sa visite à la mosquée du Roi Hussein au cours de même voyage en 2010.

La déclaration du pape François sur le dialogue, publiée en 2011 dans son livre On Heaven and Earth (Au paradis et sur Terre) déclare, « le dialogue est né d’une attitude de respect pour l’autre, d’une conviction que l’autre a quelque chose de bon à dire. Il assume qu’il y a de la place dans le cœur de chaque individu quel que soit son point de vue ou son opinion. Afin de pouvoir dialoguer il faut une écoute cordiale et non pas une condamnation. Afin de pouvoir dialoguer il est nécessaire de savoir comment abaisser ses défenses, ouvrir les portes de sa maison et offrir de la chaleur humaine ».

Avec cela en tête, j’espère que le pape François a hérité le meilleur de ses deux prédécesseurs : l’ouverture et la bonne volonté du pape Jean-Paul II à l’égard des musulmans et la volonté du pape Benoît XVI de continuer le dialogue et de renforcer les relations avec les musulmans du monde entier.

En effet, le pape François va renouer avec le Forum catholique-musulman avec une énergie et un engagement nouveaux dans l’esprit de « A Common Word Initiative » que le pape Benoît XVI avait aidé à mettre sur pied. Avec de telles actions, j’ai bon espoir que mes petits-enfants puissent vivre en Bosnie sans craindre une violence motivée par la religion.

Avec des relations interreligieuses fortes, il y a trois préoccupations humaines communes que le pape François devra adresser en priorité au cours de son pontificat. La première concerne la pauvreté, qui doit faire appel à notre conscience humaine et religieuse. La deuxième est le problème du changement climatique dû à la pollution globale produite par la négligence humaine et l’avidité. Et la troisième est la préoccupation concernant la menace nucléaire qui peut amener à l’autodestruction de l’humanité.

Ces préoccupations sont par nature globales mais locales dans les actions à mener. Indépendamment de nos foi, culture, race, nationalité et idéologie, nous sommes tous dans le même bateau de collapse global ou de salut. Par conséquent, nous devons construire notre arche dans la paix, le dialogue et le respect mutuel.

J’espère que le pape François fera le nécessaire afin de travailler avec les musulmans et les autres, afin de construire une arche qui sauvera notre humanité commune.

Que Dieu nous bénisse tous d’une amitié réciproque. Nous prenons tous des chemins différents dans la vie, mais peu importe où nous nous rendons, nous emmenons partout avec nous un petit peu de l’autre. Les amis sont une démonstration de l’amour de Dieu.


* Cheikh Mustafa Ceric est le grand mufti émérite de Bosnie-Herzégovine et est actuellement le président du Congrès mondial bosniaque. Il a reçu en 2003 le prix pour la paix Felix Houphouët-Boigny de l’UNESCO.





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