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Laïcité dans l'entreprise : 'Assurer des droits sans créer de passe-droits'

Rédigé par Assmaâ Rakho Mom | Mercredi 30 Avril 2008 à 13:28

           

A l'occasion de la sortie du dernier ouvrage de l'anthropologue du fait religieux Dounia Bouzar, "Allah, mon boss et moi", l'association Dynamique Diversité, dont elle une des fondatrice, organisait, vendredi 25 avril ses premières assises professionnelles sur le thème de la "gestion de la laïcité dans le monde du travail". Ces assises avaient lieu au Conseil économique et social, à Paris, dans la salle du grand hémicycle.



Comment intégrer une jeune femme voilée compétente dans une entreprise ? Jusqu'où aménager l'espace et le temps dans l'entreprise pour répondre à des revendications religieuses ? Pour pouvoir répondre à ces interrogations, et à d'autres, Dynamique Diversité organisait vendredi 25 avril au Conseil économique et social, de 14h à 18h30, des assises sur le thème de la "gestion de la laïcité dans le monde du travail".

Frustrée. C'est le terme qu'a employé Dounia Bouzar pour exprimer son sentiment en fin de journée. L'anthropologue du fait religieux, et l'assistance avec elle, se sont en effet rendus compte au fil de la journée que le thème captivait au-delà de toutes les espérances et prévisions. Le débat fut passionné et passionnant, parfois vif, toujours instructif à la fois pour la salle et pour les intervenants présents. Il faut dire que le sujet était traité pour la première fois en public et en compagnie de directeurs de ressources humaines de grandes entreprises ainsi que de chercheurs et autres chargés de mission. Et les organisateurs ont promis de poursuivre le débat, annonçant la création éventuelle d'un blog dédié au sujet.

Salle du Grand Hémicycle du Conseil économique et social, où se sont tenues les assises de Dynamique Diversité
Salle du Grand Hémicycle du Conseil économique et social, où se sont tenues les assises de Dynamique Diversité

'Jusqu'où aménager, et à partir de quand sanctionner'

"On ne peut aujourd'hui plus dire que la religion relève de la vie privée et qu'elle doit donc rester à la porte des entreprises",a lors de son introduction souligné Catherine Tripon, membre de l'Association nationale des Directeurs de ressources humaines, puisque ce n'est pas la religion en soi qui pose problème, mais "le non respect de l'intérêt de l'entreprise". Partant de là, l'entreprise doit "assurer des droits, sans créer de passe-droits", en se demandant "jusqu'où aménager, et à partir de quand sanctionner".

Dans son dernier ouvrage, "Allah, mon boss et moi", Dounia Bouzar propose, après la description d'un cas de diabolisation et d'un autre de laxisme dans l'entreprise, une grille de lecture à travers laquelle elle fait toute une série de propositions et de suggestions. C'est autour de ces cas ainsi que des propositions de l'auteure que s'est articulée la journée de vendredi, les intervenants devant en faire une analyse critique et en débattre.

Et si les deux situations présentées par Mme Bouzar concernent exclusivement l'islam, "même s'il existe d'autres revendications", l'anthropologue du fait religieux précise qu'il existe une "nette différence dans la gestion de l'islam, qui tient à la manière dont cette religion est appréhendée", à savoir "quelque chose de spécial, une altérité".

'La religion doit nous rendre libres et responsables'

Pour l'invité d'honneur, l'amiral François Dupont, inspecteur général des armées et ancien directeur de l'IHEDN, "la grille de lecture proposée est pertinente", ce dernier estimant que les trois acteurs en présence, soit le salarié, l'entreprise et la laïcité, ne peuvent se lier et travailler en commun que s'il sont "convaincus de ce qu'ils représentent et de leurs exigences, sinon le malaise s'installe", et si l'"intelligence" prime. "La religion doit nous rendre libres et responsables, ensemble", a martelé l'amiral Dupont.

"Les DRH sont des gestionnaires qui ont leur histoire à partir desquelles ils forment leurs jugements", a souligné pour sa part le colonel Esparbès, chef du bureau de recrutement de l'armée de terre, qui a expliqué que 15% des places y seront réservées à des enfants boursiers dès la rentrée prochaine.

Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux
Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux

'Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde'

"Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde". La phrase d'Albert Camus trône en première page de l'ouvrage de Dounia Bouzar. Elle est par ailleurs revenue régulièrement durant les débats de vendredi au Conseil économique et social. Reprise par Soumia Malimbaum, DRH chez Keyrus et président de l'Association française des managers de la diversité (AFMD), cette dernière a assurée que "s'il est grave de mal nommer les choses, reste le problème de l'accompagnement des entreprises", qui ont selon elle, "pris de véritables engagements" et ont "pris conscience que l'équilibre vie privée/vie publique est non seulement essentiel pour bien vivre, mais aussi pour bien produire".

Et si Françoise Boutin, DRH à la Direction recherche et développement d'EDF, estime qu'il faut constamment se "centrer sur l'individu, ses propres valeurs et pas des présupposés", et garder une "distance par rapport au fait religieux", Caroline Fourest, journaliste à Charlie Hebdo, juge quant à elle que "les libertés individuelles ne doivent pas interdire le dialogue". Et cette dernière de rappeler les résultats d'un récent sondage qui montrerait que "70% des musulmans Français sont attachés à la laïcité et que 95% d'entre eux sont attachés à l'égalité homme-femme, donc les représentations sont souvent fausses". "Mais les entreprises gardent le droit de sélectionner sur la capacité d'adaptation" de leurs futurs salariés, a-t-elle estimé.

'Le seul problème à traiter est l'ignorance'

Chercheur en sciences des religions, et auteur de "Dieu et l'entreprise", Patrick Banon reste pour sa part "convaincu que le seul problème à traiter est l'ignorance, le partage de connaissance" et que le "seul danger constitue l'intrusion dans le monde du travail d'un contrat moral".

Seuls bémols apportés à la grille de lecture proposée par Dounia Bouzar, le fait de devoir "considérer Mona comme Martine" et le défaut d'"élargissement à une diversité plus globale".

S'agissant du fait de considérér Mona comme Martine, c'est pour Aline Crépin, Directrice marketing et diversité chez Randstad que cela constitue "une vision naïve", car selon elle le recruteur, quand il voit Mona, ne voit pas Martine, ce dernier estimant que pour la seconde le relationnel est acquis, alors que pour la première non.

"Les DRH sont en plein déni", a pour autant tenu à souligner Aline Crépin, qui a cité pour preuve une rapide étude réalisée par l'ANDRH et dont il est ressorti que, selon les directeurs de ressources humaines, "il n'y a pas de problème avec les revendications religieuses" au travail. En fait "le débat n'est pas posé car il fait peur", estime Mme Crépin qui, en s'investissant aux côtés de Dynamique Diversité, a expliqué vouloir "lever un tabou" et "éviter les stratégies de contournement".

Enfin, c'est Soumia Malimbaum, présidente de l'AFMD, qui a souhaité que la grille de lecture soit élargie pour s'appliquer "à une diversité plus globale", celle de l'âge, du sexe, de la culture, etc.

Après le poids des mots, véritablement porteurs d'espoir, reste celui des actes, à accomplir.




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