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Points de vue

La langue arabe et l'Education nationale

Rédigé par Youssef Girard | Lundi 30 Janvier 2006 à 09:54

           

En 2005, la session du CAPES d’arabe a été supprimée. A partir de cette année, le CAPES d’arabe ne sera ouvert qu’un an sur deux, en alternance avec l’agrégation selon le ministère de l’éducation nationale. Cette mesure une régression notable dans l’enseignement d’une langue qui ne fut jamais vraiment promue au sein de l’institution scolaire française.



La langue arabe et l'Education nationale

Pourtant, en France, l’enseignement de la langue arabe a commencé dès le Moyen Age. En 1530, François Ier  fonda le Collège des Lecteurs Royaux –le futur Collège de France- où fut ouverte la première chaire d’arabe. Au XIXème siècle, ayant besoin d’arabisants au service de la colonisation, la France développa l’enseignement de cette langue dans ses universités et dans ses instituts coloniaux. L’arabe fit son entrée dans les concours de recrutement de la fonction publique, tandis que l’agrégation d’arabe fut créée en 1905. A l’époque l’enseignement de l’arabe était essentiellement lié au phénomène colonial. Après la décolonisation la langue arabe continua d’être enseignée et en 1975 le CAPES d’arabe fut créé. Mais d’une manière générale, il n’y eut jamais de réelle volonté politique de développer l’apprentissage de l’arabe dans l’enseignement secondaire français. Et cette affirmation nous semble de plus en plus vraie.

 

Apprendre l'arabe quand on est de culture arabe

 

Pourtant, la langue arabe ne peut pas être considérée comme une langue “rare” puisqu’elle est parlée par plus de 250 millions d’individus dans le monde et qu’elle est la langue officielle de plus de vingt pays. Elle est une langue internationale reconnue comme telle par les nations unies. Langue de culture elle est aussi enseignée et parlée dans de nombreux pays non arabe, notamment dans les pays de culture musulmane. L’arabe est aussi une langue vivante pluriséculaire qui se développe et qui évolue avec son temps. Aujourd’hui elle est devenue une langue de communication au travers de ses chaînes de télévision, de ses radios et de ses journaux.

 

Malgré cela, la langue arabe est enseignée uniquement par 214 professeurs dans 259 collèges et lycées à l’heure actuelle en France. En 2002-2003, seul 7446 élèves étudiaient l’arabe comme première, deuxième ou troisième langue vivante. Ces chiffres sont ridicules et nombre d’élèves doivent renoncer à étudier cette langue dans l’enseignement public du fait du manque de professeurs. Pourtant les demandes pour apprendre l'arabe sont très fortes. Il est vrai que nombre d’élèves de références arabo-musulmanes veulent mieux connaître leur culture d’origine et étudier la langue arabe qui est porteuse de cette culture.

 

De fait, l’éducation nationale ne couvrirait que 15% des demandes d’apprentissage de la langue arabe. Les 85 % restants étudieraient cette langue dans des structures privées ou associatives, ou encore dans les ELCO (institutions dépendant de pays arabophones ayant passé des contrats avec la France et qui s’adressent spécifiquement aux enfants dont les parents sont originaires de ces pays).

 

Pourquoi y a-t-il un tel écart entre la demande d’apprendre cette langue et les politiques mises en ?uvre par l’Education nationale ? Peut-être parce que l’éducation nationale, et au-delà la culture dominante en France, a du mal à reconnaître l’apport de la culture arabe à la culture universelle. En effet, la littérature arabe est très peu étudiée dans les cours de français et seul Ibn Rushd - rebaptisé Averroès pour mieux l’“intégrer” à la culture gréco-latine – figure au programme de philosophie en classe de terminale. Dans les programmes d’histoire, l’apparition de l’islam et de la civilisation arabo-islamique médiévale est étudiée uniquement en classe de cinquième. Après, le monde arabo-musulman réapparaît dans les programmes scolaires uniquement dans l’étude de la période coloniale. Cela donne aux jeunes élèves une vue plus que mince sur l’histoire d’une civilisation qui est pourtant d’un intérêt certain pour comprendre le monde qui nous entoure. De plus cet enseignement n’est pas exempt de stéréotypes orientalistes dégradants à l’endroit des peuples arabes et musulmans. De fait nous pouvons affirmer que le monde arabo-islamique et la culture qu’il a produite, est en grande partie occultée des programmes scolaires français.

 

Nier, réprimer les langues régionales

 

Mais l’institution scolaire n’est-elle pas que le reflet d’une occultation plus générale de la place de la culture de langue arabe dans l’histoire de la pensée occidentale ? Nous pouvons nous demander si la pauvreté quantitative de l’enseignement de l’arabe n’est pas l’une des conséquences de la méconnaissance des éléments arabes dans l’élaboration des savoirs.

 

Pourtant développer l’apprentissage de la langue arabe dans l’enseignement secondaire, afin que tout élève désireux de l’apprendre puisse le faire serait une des meilleures façons de faire connaître et reconnaître la valeur de cette culture et de son apport à la civilisation universelle. La langue peut-être une porte ouverte qui amènera les élèves à vouloir découvrir et étudier cette culture sous ses différents aspects. Cela leur permettra d’avoir un accès direct à un espace culturel qui est trop souvent perçu uniquement par le spectre déformant de l’actualité la plus brûlante.

 

Les élèves pourraient, en étudiant la langue d’Ibn Rushd et d’al-Ghazali, connaître les auteurs arabes de la période classique qui ont tant  apporté leurs contributions spécifiques à la pensée philosophique, scientifique ou littéraire. Ils pourraient aussi constater que, loin d’être un espace qui vit dans une léthargie intellectuelle comme on nous le décrit trop souvent, le monde arabe contemporain connaît d’importants débats intellectuels, philosophiques ou littéraires. En effet, qui connaît les réflexions des philosophes et des intellectuels arabes contemporains ? Connaît-on au moins leurs noms ? Pourtant leur connaissance pourrait permettre à ces élèves de mieux comprendre en quoi cette espace linguistique et culturel ne peut seulement être récepteur d’idées produites par les pays occidentaux mais que le monde arabo-musulman peut et doit lui aussi apporter sa contribution spécifique au grand débat qui traverse notre planète.

 

Au contraire, la fermeture du CAPES en 2005 d’arabe confirme des orientations idéologiques et culturelles d’ordre général. En effet, depuis plusieurs années devant la conscientisation toujours plus grande de la population arabo-musulmane vivant dans l’Hexagone, l’Etat français n’a cessé de renforcer sa politique “intégro-assimilationniste”. Cette politique et cette idéologie ont toujours été largement dominantes dans l’histoire de France mais elles se sont sensiblement renforcées ces dernières années.

 

L’histoire de la France peut en partie expliquer les obstacles à l’enseignement de la langue arabe. L’unité linguistique a toujours été un facteur important de constitution de l’unité nationale française. De fait, l’attachement à la langue française comme objet d’identité nationale s’est développé contre toutes les langues minoritaires. La langue française fut toujours perçue comme l’un des socles fondamentaux de l’identité nationale française ce qui explique l’attitude adoptée face aux langues des migrants et des groupes linguistiques minoritaires. Leurs langues furent le plus souvent niées pour ne pas dire violements réprimées. De fait, certaines langues minoritaires, comme le basque, l’occitan ou le breton, ont quasiment disparu1 et rares sont les descendants de migrants qui ont réussi à conserver leur langue d’origine au-delà d’une ou deux générations. L’“intégration” de ces populations à la nation française devait se faire au détriment de leurs cultures et de leurs langues. Toutes ces identités devaient donc être niées et éliminées.

 

Une idéologie intégro-assimilationniste

 

Durant la période coloniale, sur le territoire algérien qui était alors divisé en trois départements français, la politique “intégro-assimilationniste” de la puissance coloniale fut en grande partie menée contre la langue arabe. Selon le générale Bugeaud, le but ultime de la colonisation était  d’assimiler les Algériens à “ nous, de manière à ne former qu’un seul et même peuple sous le gouvernement paternel du Roi des français”2.

 

L’idéologie “intégro-assimilationniste”, loin d’être un avatar de l’histoire coloniale, était la fille légitime de la pensée des Lumières et de la Révolution française. Pour ceux qui considéraient les valeurs de l’humanisme occidental comme supérieures, il était logique de vouloir faire en sorte que tous les hommes de la planète les adoptâssent. Pour ces hommes, toute l’humanité devait finir par penser comme “eux”, par agir comme “eux”, par adopter “leurs” lois et “leurs” coutumes.  Montesquieu expliquait déjà dans L’Esprit des Lois que la subordination des vaincus, nécessaire dans une première période, devait cesser lorsque “une certaine conformité d’esprit” avec le vainqueur se ferait jour. C’est cette même volonté de voir se constituer une “dictature éducative” permettant d’étendre le rationalisme des Lumières  et de la révolution jacobine qui poussa Friedrich Hegel à soutenir Napoléon qui incarnait pour lui l’“alliance de la philosophie et du sabre”.  

 

L’idéologie “intégro-assimilationniste” se traduisit concrètement en Algérie par le fait que les musulmans algériens qui voulaient devenir citoyens français, devaient renoncer à toute particularité linguistique, religieuse et/ou culturelle pour s’“intégrer” pleinement à la nation française. De fait la politique scolaire menée en Algérie par le pouvoir colonial français relégua l’enseignement de l’arabe à un niveau dérisoire. Au Maroc, la même politique visant  à empêcher l’enseignement  de la langue arabe fut développée par l’appareil colonial français. Cette politique visait, comme en Algérie, à jouer sur la division arabe / berbère afin d’asseoir la domination française et à lutter contre l’islam perçu comme un des obstacles majeurs à l’assimilation des populations colonisées. Ainsi, le Maréchal Lyautey, connu pour être un homme “respectueux” des coutumes locales, écrivait dans une circulaire de 1925 : “Nous n’avons pas à enseigner l’arabe à des populations qui s’en sont toujours passé. L’arabe est facteur d’islamisation, puisqu’il est la langue du Coran, et notre intérêt nous commande de faire évoluer les Berbères hors du cadre de l’islam”3.

 

De fait, durant la période coloniale en Algérie, l’enseignement de l’arabe était limité au strict besoin de l’administration, à la formation d’interprète et d’agents du culte et de la justice musulmane. L’historien algérien Slimane Chikh note que la “suprématie [de la France] devait d’ailleurs s’affirmer dans les programmes d’enseignement par le statut dominant conféré à la langue française, par la glorification de la culture et de la civilisation française et par le rôle mineur accordé à la langue arabe et à la part négligeable réservée à l’histoire et à la culture autochtones”4. La Tunisie et le Maroc connurent des politiques de dominations culturelles moins agressives parce qu’il s’agissait de protectorats et non de colonies. Des universités comme celle de la Zaïtouna et de Qarawiyne se firent les refuges d’une culture classique qui réussit à se perpétuer en ces lieux. De fait, en Algérie, plus qu’ailleurs, la politique d’acculturation de l’Etat colonial français passait par l’élimination de la langue arabe.

 

Inversement la langue française était perçue comme un instrument de conquête des âmes. C’était un moyen pour les Français d’assurer la perpétuité de leur domination sur les populations qu’ils avaient réussi à soumettre. Ainsi, M. Foncin, Inspecteur général de l’Instruction publique en 1890, affirmait que “le moyen le plus efficace pour un peuple européen de commencer la conquête morale d’une race étrangère est de lui enseigner sa langue (…). Nous serons absolument maîtres de l’Algérie que lorsqu’elle parlera français”5.   

 

La politique d’acculturation de l’appareil colonial français reposait sur une double action ; l’une destructrice et l’autre constructrice. Premièrement, elle devait s’attacher à déculturer profondément les populations colonisées; et deuxièmement, elle devait s’efforcer de les enraciner durablement dans la culture française.

 

Apprendre l'arabe si on veut

 

Aujourd’hui la politique “intégro-assimilationniste” de l’Etat français vis-à-vis des populations arabo-musulmanes de ce pays tend à reproduire les mêmes politiques de déculturation et acculturation. C’est dans cette perspective que nous comprenons la volonté affichée de réduire encore la place déjà extrêmement mince qu’occupe la langue arabe dans l’enseignement secondaire. L’élimination de la langue arabe n’est qu’un élément dans une politique générale d’assimilation mais cet élément nous apparaît des plus importants. En effet, selon Johann Gottfried von Herder “on ne peut causer de plus grand dommage a une nation qu’en la dépouillant de son caractère national, de ce qu’il y a de spécifique dans son esprit et dans sa langue”. 

 

Dès lors nous ne demandons pas seulement que les postes d’enseignent de langue arabe soit maintenus en l’état mais nous demandons que soit mis en place une réelle politique de développement de l’enseignement de la langue arabe aussi bien dans le secondaire que dans l’enseignement supérieur. Pour cela il ne faut pas seulement que le CAPES et l’agrégation d’arabe redeviennent des concours annuels. Il faut ouvrir de nouvelle classe d’enseignement de l’arabe et augmenter de nombre de professeurs enseignant cette langue. Les effectifs d’enseignants de langue arabe, aujourd’hui ridiculement bas, sont pour nous inacceptables et ne permettent pas de répondre à la demande croissante d’apprentissage de cette langue. Tous les élèves qui désirent apprendre la langue arabe doivent pouvoir le faire au sein de l’école publique. Ils n'ont pas à être contraints de se replier sur d’autres langues pour lesquelles ils manifestent moins d’intérêt.



1          Depuis quelques années des mouvements culturels basques, occitans ou bretons s’attachent à défendre et à faire vivre ces langues.

2          Cité par Alain Ruscio in. Le credo de l’homme blanc, ed. Complexe, Bruxelles, 2002, page 97

3          bid., page 236

4          Chikh Slimane, L’Algérie en armes, Economica, 1981

5          Ruscio Alain, op. cit.,  page 101






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