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Société

La chasse aux foulards gagne l’hôpital

Rédigé par Gauhy Giovanni | Jeudi 6 Janvier 2005 à 00:00

           

Latifa, 24 ans, a manqué de perdre son travail. Infirmière stagiaire depuis décembre 2003, au service hépatologie d’un hôpital de Rouen (Normandie), elle était en attente de sa titularisation lorsqu’un beau matin de septembre 2004, elle apprend que son bonnet pose problème. La polémique autour de son foulard a profondément marqué la jeune infirmière originaire de Rouen. Cette affaire de foulard au sein même de l’hôpital a bousculé les méthodes de recrutement des futures infirmières des hôpitaux de la région. Entretien avec une victime ordinaire du débat antifoulard.



Latifa, 24 ans, a manqué de perdre son travail. Infirmière stagiaire depuis décembre 2003, au service hépatologie d’un hôpital de Rouen (Normandie), elle était en attente de sa titularisation lorsqu’un beau matin de septembre 2004, elle apprend que son bonnet pose problème. La polémique autour de son foulard a profondément marqué la jeune infirmière originaire de Rouen. Cette affaire de foulard au sein même de l’hôpital a bousculé les méthodes de recrutement des futures infirmières des hôpitaux de la région. Entretien avec une victime ordinaire du débat antifoulard.

Saphirnet.info : Que s’est-il passé exactement en ce mois de septembre 2004 ?

Latifa T. : Au mois de septembre j’ai été convoquée dans le bureau du cadre supérieur qui gère mon service. J’étais encore contractuelle. Je pensais donc que cette convocation se situait dans le cadre des évaluations pour la titularisation. Une fois dans son bureau, elle me dit que mon bonnet pourrait être un frein pour ma titularisation. Un médecin aurait été interpellé par mon petit bonnet cet été. Et il aurait fait part de son indignation à la Direction de l’hôpital.

Comment avez-vous pris cette information ?

J’étais abasourdie. J’ai expliqué que je portais déjà le foulard, un an plus tôt, lors de mon entretien. On ne m’avait fait aucune remarque sur ce foulard. On ne m’avait fait aucune réflexion non plus durant mes neuf mois de stage. Et maintenant, parce qu’il s’agissait de la titularisation, cela posait problème. Mais je ne voyais vraiment pas le problème !

Votre argumentation a-t-elle été convaincante ?

Le cadre m’a dit que si je voulais que tout se passe bien je devais enlever mon bonnet et lui signer un papier où je m’engage à ne pas revenir sur ma décision même après ma titularisation. Je n’y comprenais rien. Mais je lui ai promis de réfléchir. Par la suite, j’ai été convoquée plusieurs fois, et finalement j’ai fait savoir que je n’étais pas prête à me découvrir. Le cadre m’a dit alors qu’elle ne pourrait plus rien pour moi et qu’il y aura des suites.

Quelles furent-elles ?

J’ai reçu une convocation de la Direction des ressources humaines. On m’autorisait à m’y rendre avec une personne de mon choix afin de trouver une solution à ce ' problème de bonnet '. Lors de cet entretien, un nouvel obstacle est apparu : on m’a fait le reproche de ne porter que des blouses à manches longues ! La DRH a mis ma parole en doute en s’étonnant qu’on ne m’ait rien dit sur mon foulard lors de l’entretien d’embauche... Après une longue discussion sans fond, un compromis est trouvé : Je me suis engagée à porter une charlotte en guise de couvre-chef. Charlotte, petit bonnet, où est la différence ?

C’est qu’il y a débat sur le foulard à l’école avec des échos sur le plan international.

Mais je ne suis pas responsable de ce qui se passe dans le monde ! Il faut rester dans le cadre de l’hôpital, ne pas importer les difficultés d’ailleurs. Des intégristes il y en a partout, aussi bien chez les musulmans que chez les chrétiens, mais ces derniers sont beaucoup moins stigmatisés. Il y a l’exemple de ce patient dont la famille ne voulait pas que des personnes d’origines étrangères s’occupent. C’est fou ! C’est comme si tu allais chez le boulanger et il ne te donne pas ta baguette de pain parce que tu es black ou maghrébin.

Vous a-t-on montré une loi qui justifie la demande qui vous a été faite ?

Non pas du tout. La DRH m’a juste montré un article de journal qui disait : ' Manches courtes obligatoires et pas de port de signes religieux à l’hôpital, laïcité oblige '. Ce fut sa preuve pour montrer que j’étais en tort : un article que n’importe quel journaliste aurait pu écrire. Elle m’a aussi parlé de non-respect de la laïcité, de devoir de neutralité, de ne pas afficher ma religion au sein de l’hôpital. Mais je savais que mon petit bonnet n’était pas un ' signe ostensible ', comme ils disent. Car, selon la législation, ce bout de tissu en lui-même ne contrevenait pas au principe de neutralité exigé des fonctionnaires. Et si c’était le cas, que dire de toutes les croix portées par les patients ou les hospitaliers ? Mais la DRH me dit qu’elle ne peut pas faire la chasse aux croix, ça risquerait d’être compliqué. Pourtant elle se permet la chasse aux foulards.

Avez vous recherché quelque soutien dans cette affaire ?

J’en parlais autour de moi. Un frère qui fait des études de Droit m’a aidée à connaître mes droits. J’ai également pu contacter le Président du Conseil régional du culte musulman. Il était disposé à m’accompagner (à la convocation de la DRH, ndlr) mais ne pensait pas être la personne la mieux indiquée. J’ai pris contact avec des syndicats. Mais la majorité n’était pas partante pour me défendre. Seul le syndicat Force Ouvrière a accepté de m’aider.

Quelles leçons tirez-vous de cette affaire?

Pour moi c’est réglé. J’ai eu ma titularisation et mon travail a été accrédité par des inspecteurs de l’Etat. Maintenant tout le monde agit comme s’il n'y avait rien eu. On me fait de grands sourires, des ' comment allez-vous mademoiselle Latifa ? ' C’est pure hypocrisie. Cette période de septembre à novembre, où j’ai été convoquée plusieurs fois pour mon bonnet, était horrible à vivre. Actuellement ils font comme s’il ne s’était rien passé. Dans tout le service hépato je suis la seule à porter une charlotte et une blouse à manches courtes. J’ai trouvé un truc : je porte un t-shirt à manches longues en dessous de ma blouse malgré leur désapprobation. Mais le mal est fait. Car je pense qu’à l’avenir ils prendront des précautions face à une sœur voilée. Dès l’entretien ils lui diront qu’ils ne l’accepteront pas avec son foulard. Avec mon cas, je pense qu’une porte s’est malheureusement fermée. Même pour la charlotte je pense que ce compromis là ne sera plus accepté. Dans mon cas, c’est parce qu’ils se savaient en tort de ne m’avoir rien dit dès le départ.

Quels conseils donneriez-vous à une sœur qui aurait le même problème ?

Je lui dirai qu’elle s’impose. Qu’elle s’informe sur ses droits pour savoir ce que les lois disent à ce sujet. Je lui dirai aussi de contacter des instances comme le CFCM ou les syndicats. Seule on n’y arrive pas.





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