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Société

L'identité nationale, vue par Souleymane Bachir Diagne

Interview d'un philosophe atypique*

Rédigé par | Mardi 24 Novembre 2009 à 00:30

           

Qu’est-ce qu’être Français ? À quelques mois des régionales, en mars prochain, cette question suscite beaucoup de réponses depuis que le ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l'Identité nationale et du développement durable a mis en place un débat sur l’identité nationale depuis octobre. Philosophe de renommée internationale, Souleymane Bachir Diagne, 54 ans, a réussi à se faire un nom grâce à ses nombreux travaux dans les domaines de l’histoire de la logique et de la philosophie, notamment dans le monde musulman. Professeur à la prestigieuse Columbia University (New York), il est, entre autres, l’auteur de l'ouvrage « Comment philosopher en islam ? ». À la lumière de l’actualité, le philosophe, de court passage dans la capitale, nous livre ses positions sur le débat français.



Jeudi 19 novembre, Souleymane Bachir Diagne animait une conférence sur l'identité avec le Professeur Alain Berthoz, à l'université populaire du Quai Branly.
Jeudi 19 novembre, Souleymane Bachir Diagne animait une conférence sur l'identité avec le Professeur Alain Berthoz, à l'université populaire du Quai Branly.

Saphirnews : Le débat sur l’identité a longtemps été considéré comme un débat philosophique. Mais elle se transforme souvent en un débat politique lorsqu’il s’agit de la nation. Peut-on, selon vous, définir une identité nationale ?

Souleymane Bachir Diagne : Il est très difficile de dire qu’on va définir une identité nationale dans la mesure où, fondamentalement, l’identité est la permanence. Derrière tous les changements, il y a une identité qui ne change pas. Or le changement est constitutif de ce qu’est une nation, que l’on peut comparer à une sorte d’organisme vivant. Parler d’identité nationale, c’est figer un mouvement en perpétuel mouvement à un moment bien précis.

Peut-on cimenter cette nation autour de critères bien définis (une langue, des valeurs, etc.) ?

S. B. D. : Je ne crois pas, car ce que l’on risque de faire est de lister des critères d’appartenance dont certains sont des manières de se fermer, de rejeter. C’est la raison pour laquelle il me semble difficile d’établir une adhésion à l’idée de nation par rapport à une simple fixation de ce que serait une identité par rapport à de simples critères d’appartenance mais surtout de non-appartenance.

Voyez-vous alors simplement une forme de rejet du pluralisme, voire d’universalité, par la définition même d’une identité nationale ?

S. B. D. : Malheureusement oui, car c’est vouloir à un moment donné chercher de l’homogénéité sur quelque chose qui est de l’ordre du devenir et de l’hétérogénéité.

Selon vous, l’Etat peut-il quand même participer à la définition de cette identité nationale ?

S. B. D. : Il est bien évident que l’Etat a un rôle de ciment de la nation et il n’y a pas à s’opposer, à priori, à la mise en place d’une réflexion sur ce que signifie le devenir d’une nation.
Simplement, la manière dont la question est posée par le gouvernement n’est pas la bonne. La question n’est pas posée en des termes plus prospectifs qui consistent à s’interroger sur le pluralisme de la société française. Il n’y a pas de réflexion sur le devenir de la société française ni sur la possibilité de celle-ci de se comprendre dans la pluralité et de s’imaginer le futur dans un cadre pluriel.
Or c’est effectivement le rôle de l’Etat d’initier une telle réflexion pour que les différents segments de la société se projettent dans leur propre avenir, car cela créera une force de ce que j’appelle une démocratie anticipatrice. C’est parce qu’on anticipe sur ce que sera cette vie commune plurielle que l’on va prendre de bonnes décisions aujourd’hui.
Ce n’est pas la direction que semble avoir pris le gouvernement. C’est au contraire une direction qui consiste à essayer de figer l’identité en établissant une carte des critères d’appartenance à une identité nationale à partir de ce qui ne peut pas être français.

Le débat tend à mettre en opposition la question de l’immigration mais aussi celle de l’islam, elle-même réduite actuellement à la burqa et à l’identité nationale. Peut-on considérer cela comme une manipulation de l’État ?

S. B. D. : C’est parce que la question est posée en termes politiques.
De mon côté, je crois en des questions prospectives qui permettent de s’interroger sur le devenir d’une société plurielle et hétérogène et non pas de poser des questions qui soient une manière détournée de refuser le pluralisme −qui est constitutif de la nation française −, de se mettre à établir des éléments de discrimination et de crier sur ce qui appartient et n’appartient pas.

Quel est votre rapport à l’identité en ce qui vous concerne ?

S. B. D. : J’ai plusieurs identités et je les vis toutes de manière tranquille. Elles n’ont pas toutes à être harmonieuses, il ne faut absolument pas chercher à les intégrer ensemble.
J’ai une identité en tant que philosophe, intellectuel, africain, sénégalais, résident américain, musulman… et toutes ces identités sont intégrées. Considérons que cette hybridité fondamentale est également une valeur constitutive de l’identité dans la société moderne dans laquelle on vit.



* Souleymane Bachir Diagne est l'auteur notamment d’Islam et société ouverte, la fidélité et le mouvement dans la pensée de Muhammad Iqbal (Maisonneuve et Larose, 2001) et de Comment philosopher en islam ? (Éd. du Panama, 2008).
Il sera professeur invité au
Collège de France , pour une série de conférences.
Celles-ci auront lieu le vendredi 18 décembre 2009 et les lundis 4, 11 et 18 janvier 2010, à 11 heures.
L'une des leçons portera sur « Bergson et la philosophie iqbalienne de l’ijtihad ».



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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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