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L’hybridation de l’Europe et du monde musulman

Rédigé par princevaillant@ymail.com | Vendredi 19 Juin 2009 à 09:01

           

Dans une monumentale étude, trois historiens étudient les échanges politiques, militaires, culturels et économiques qui lient, depuis un millénaire et demi, l’Europe et l’islam. Une des originalités de leur approche tient à ce qu’elle ne se cantonne pas à la question des religions et permet de réfuter les discours sur l’inévitable affrontement entre les mondes européen et arabo-musulman.



L’hybridation de l’Europe et du monde musulman
L’histoire croisée de l’Europe et du monde musulman ne se réduit pas aux conquêtes réciproques et à un affrontement à prétention universelle. L’Europe et l’islam, cosigné par trois spécialistes dont la réputation n’est plus à démontrer (Henry Laurens et Gilles Veinstein enseignent au Collège de France, John Tolan à l’université de Nantes), est une synthèse majeure qui se tient à distance de toute approche de type idéologique – ce n’est pas toujours le cas en pareil domaine.

La première qualité de cette fresque est de nous inscrire dans la longue durée, sur un immense espace situé entre les océans Atlantique et Indien, qui englobe le Vieux Continent, le monde arabe et le monde turco-ottoman. Les trois historiens à l’œuvre mettent à la disposition du public leur connaissance des langues, leur maîtrise de sources riches et variées, croisant des travaux précis et des synthèses plus générales. [...]

Alliances, retournements, échanges

La démonstration, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, porte d’abord sur des faits. Le pan de l’histoire-bataille est assumé, depuis les premières incursions dans les péninsules italienne et ibérique jusqu’à la décolonisation du Maghreb, en passant par la prise de telle ville qui rend compte de la force ponctuelle d’un des acteurs (beaucoup plus que de la réalisation politique qui en découle) : Séville en 712, Jérusalem en 1099, Acre en 1291, Constantinople en 1453, Belgrade en 1521, Alger en 1830.

Massacres à petite ou grande échelle, destructions de toutes sortes, soumission de l’« autre » à des statuts juridiques inégalitaires, persécutions et exils forcés, conversions contraintes, soupçons et accusations de trahison, traite d’esclaves en Méditerranée, églises transformées en mosquées et mosquées transformées en églises, cette part du passé est relatée sans faux-semblant ni jugement : l’histoire n’est pas faite pour rassurer les esprits fragiles ou partisans.

La représentation de trois ensembles majeurs au Moyen Âge – l’un déterminé par le christianisme latin, le deuxième par le christianisme byzantin, le troisième par l’islam – laisse apparaître une variété de coalitions, d’alliances et de retournements : la conquête musulmane à l’extrême Occident se fait à l’aide de contingents chrétiens, la conquête chrétienne de la côte orientale de la Méditerranée bénéficie du soutien de musulmans. [...]

De la « barbarie » à la « modernité »

[...] L’inflexion majeure, introduite par l’« accès à la modernité », doit être soulignée. À partir du XVIe siècle, et malgré le recours à la thématique de la croisade en vigueur chez certains jusqu’au XXe siècle, la population du nord de la Méditerranée se définit de moins en moins selon des lignes confessionnelles. La « crise de conscience européenne au lendemain des guerres de religion » est déterminante et la citation de John Locke vient l’éclairer : « Ni un païen, ni un mahométan, ni un juif ne devrait être exclu des droits civils du Commonwealth en raison de sa religion. »

Un nouveau corpus juridique, en voie de constitution, commence à s’imposer comme norme universelle avec le congrès de Vienne en 1815. La « diplomatie ottomane », comme celle de toutes les entités étatiques fondées depuis, suit cette « occidentalisation forcée », antinomique avec les droits traditionnels. Il ne s’agit pas d’un habillage, mais d’une transformation de fond qui ne tient pas seulement à la diffusion du livre imprimé et des bouleversements que cet outil provoque. Chantre du scientisme, Ernest Renan ne souhaite pas seulement l’affaiblissement de l’islam, mais aussi celui du christianisme et du judaïsme.

Vers une nouvelle synthèse ?

[...] Les auteurs reconnaissent combien il est difficile de déterminer « ce qui est emprunt pur et simple et ce qui est synchronisme d’évolution ». C’est dire si les chantiers de la recherche restent nombreux. Les éléments mesurables sont mis en évidence : vitalité démographique, efficacité administrative, solidité de l’infrastructure militaire, technicité des armements, progrès dans les transports et communications – éléments auxquels on pourrait ajouter, sans paraître prosaïque, la diffusion de l’usage de la fourchette. [...]


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Recensé : Henry Laurens, John Tolan, Gilles Veinstein, L’Europe et l’islam. Quinze siècles d’histoire, Paris, Odile Jacob, coll. « Histoire », 2009, 473 p.

Auteur : Dominique Avon - 10/06/2009




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