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Éditorial

L’esprit du 11-Janvier, un an après

#1AnAprès

Rédigé par | Lundi 11 Janvier 2016 à 18:41

           


L’esprit du 11-Janvier, un an après
Jour pour jour, nous voilà un an après le 11 janvier 2015. Un dimanche hivernal, quelques jours après le massacre de la rédaction de la publication satirique Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, près de 4 millions d’hommes et de femmes étaient descendus dans la rue. Une manifestation inédite tant par son nombre de participants (jamais une manifestation de cette ampleur n a été recensée en France) que par sa dignité et son silence. Ce sursaut populaire a pris de court les politiques, les médias et autres observateurs de la vie publique. Ce massacre perpétré injustement au nom d’une religion nous faisait craindre le pire tant il poussait à l’amalgame, au clivage, à la recherche d’un bouc émissaire pour expier et chasser au plus loin ce malheur qui échappait à l’entendement et à la raison.

Mais, très vite, la pomme de discorde a été jetée pour aller s'écraser tout droit contre ce beau tableau humaniste et bienveillant. Puis, on a commencé à compter. À voir les présents et à pointer les absents. Et on a aussitôt remarqué l’absence des quartiers populaires dans les cortèges. Ils semblaient n’avoir pas participé à cet élan populaire. L’absence de ces jeunes des quartiers est rapidement devenue l’absence des musulmans. Pour parvenir à ce degré de traçabilité, il nous faut poser cette question : à quoi reconnaît-on des musulmans ? Aux survêts, casquettes vissées sur la tête, au khamis et aux Air Max pour les hommes et aux foulards pour les femmes ?… Toute la rhétorique de l’essentialisme en somme. On constate la méconnaissance du fait musulman. La réalité est, hélas et heureusement, pas si simple.

À la rédaction de Saphirnews, de nombreux témoignages nous ont fait état de la participation de Français de cultures musulmanes à ce grand rassemblement du 11-Janvier. Cette polémique a finalement masqué une réalité beaucoup plus douloureuse : la France qui n’avait pas manifesté le 11 janvier était celle des territoires qui apportent les suffrages les plus élevés au Front national et celle des territoires ayant les taux d’abstention les plus importants.

La manifestation du 11 janvier et l’esprit qui en a surgi nous ont alors fait prendre conscience que nous ne pouvions plus vivre dans une société marquée par un individualisme exacerbé, laissant de côté nombre de femmes et d’hommes issus des quartiers périphériques ghettoïsés ou des milieux ruraux économiquement sinistrés.

Ces attentats de janvier 2015 − qui ont porté atteinte, rappelons-le, à des individus en raison de leur religion lors du massacre à l’Hyper Casher, contre la liberté d’expression s’agissant de Charlie Hebdo − nous enjoignent de revivifier les trois figures allégoriques de notre République : Liberté, Égalité, Fraternité.

Mais, dans la France du couvre-feu, la liberté est mise à l’épreuve par le besoin légitime de sécurité ainsi que par la peur diffuse de nos concitoyens. L’égalité, quant à elle, est depuis longtemps mise à mal par une répartition inégalitaire des capitaux économique, social et culturel dans une France caractérisée par un chômage structurel de plus de 10 %. Il va sans dire que la déchéance de nationalité applicable seulement aux binationaux lui porterait un sérieux coup… Reste la fraternité. Elle est le parent pauvre de ce triptyque républicain. Pourtant, son besoin ne s’est jamais autant fait ressentir. Il ne peut y avoir de fraternité sans connaissance mutuelle.

Le monde associatif à référence religieuse a été l’avant-garde. Au cours de l’année 2015, il n’y a certainement jamais eu autant d’événements et de rencontres interreligieuses organisés à l’échelle locale. Il faut être juste. Ces événements existaient déjà. Le Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC), pionnier dans ce domaine, et plus récemment le mouvement de jeunesse Coexister ont impulsé de nombreux espaces de rencontres. Mais, cette année, ces échanges interreligieux ont pris une dimension bien plus grande par leur nombre en hausse et leur fréquence, et souvent à l’initiative de responsables religieux et associatifs locaux. Cependant, il serait intéressant, toujours à l’échelle locale, de compléter ce dialogue interreligieux avec un dialogue des consciences issues des traditions de pensées agnostiques et athées.

La fraternité républicaine nous oblige à rester unis devant l’adversité. Nos ennemis, Daesh, l’intégrisme religieux et l’extrême droite feront tout en leur pouvoir pour diviser le peuple de France. Les attentats n’ont fait que fragiliser la position des musulmans de France, déjà précaire : accroître leurs stigmatisations renforce Daesh mais aussi le Front national qui prospère sur le terreau de la peur et de l’amalgame. Daesh et l’extrême droite ne sont absolument pas identiques, mais chacun tire profit du climat hostile envers les musulmans de France.

Hélas, des attentats peuvent encore toucher notre pays. Le plus dur reste certainement devant nous. Mais nous devons croire en la capacité de résilience de notre nation et aux ressources dont elle dispose pour anéantir ce mal et construire une société meilleure, unie et solidaire.


Mohammed Colin
Directeur de la publication En savoir plus sur cet auteur


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