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Points de vue

Islam contemporain et procréation médicalement assistée

Rédigé par Ludovic-Mohamed Zahed | Jeudi 6 Juillet 2017 à 14:08

           


Islam contemporain et procréation médicalement assistée
La procréation médicalement assistée (PMA) de même que la gestation pour autrui (GPA) ne sont pas des sujets traités par la jurisprudence islamique traditionnelle, communément nommée sharia.

Pourtant, il est possible d’inférer par analogie (qiyas) quel pourrait être le statut de la PMA et de la GPA au regard de l’éthique islamique. En cela, deux positions antinomiques semblent se dégager parmi les musulman-es de France et d’ailleurs.

Le traditionalisme politico-religieux, d’inspiration tribale

Pour les musulman-es partisans d’un islam traditionaliste, dogmatique, appliquant à la lettre des préceptes dits spirituels, en réalité politiques, ancrés dans le contexte social de l’Arabie du VIIe siècle, le fait qu’une femme puisse porter pendant les neuf mois de sa grossesse l’enfant d’un autre couple, n’est pas vu d’un bon œil. Notamment du fait que cette mère porteuse n’est pas liée génétiquement à cet enfant, mais l’accueille dans son utérus tout au long de son développement.

En effet, en accord avec les dynamiques sociétales tribales du VIIe siècle de notre ère commune, en Arabie, le mariage était conçu comme un contrat entre deux individus : l’homme compensait financièrement la femme qu’il épousait, afin de pouvoir jouir exclusivement de son utérus, dans la perspective d’établir une descendance dont la filiation devait être clairement reconnue par l’ensemble des tribus.

Nous sommes bien loin de vivre dans un tel contexte social désormais. Pourtant, les questions qui se posent aux musulman-es dogmatiques sont les suivantes : en ce qui concerne la PMA et GPA, au vu de ces normes islamiques tribales qui n’ont pas évolué depuis des siècles, qui est légalement la mère de l’enfant ? Est-ce la mère de celui qui a contribué au partage des gènes ou est-ce celle qui a enfanté et a donné naissance à ce dernier ? La manipulation génétique, de manière générale, est-elle autorisée au regard de l’éthique islamique la plus authentique ?

Afin de trouver des analogies qui puissent guider leurs réflexions à propos d’un sujet, encore une fois, qui n’est pas traité directement par le dogme islamique traditionnel, les musulman-es traditionnalistes invoquent différents versets coraniques.

Le Coran dit en effet : « Certains d’entre vous répudient leurs femmes en disant : ‟Sois pour moi comme le dos de ma mère !” ; pourtant, elles ne sont pas leurs mères ! Ne sont leurs mères que celles qui les ont enfantés » (s. 58, v. 22). Nulle part il n’est fait mention ici du fait que la mère qui enfante doit être celle qui a fait legs de son capital génétique.

Un autre verset semble plus clair quant au fait que la mère légitime serait celle qui a porté l’enfant : « Nous avons recommandé à l’être humain la bonté envers ses père et mère. Sa mère l’a porté avec peine et elle l’a enfanté avec peine. Entre le début de la grossesse et le moment du sevrage, trente mois se sont écoulés » (Coran, s. 46, v. 15).

Un autre verset encore précise un ordre des choses qui semble naturel aux yeux de ces tribus du désert à l’époque : « Et Nous avons fait aux humains une recommandation au sujet de ses parents – sa mère l’a porté avec peine, jour après jour, le sevrant après deux ans – : Sois reconnaissant envers Moi et envers tes parents, lui avons-Nous enjoint. C’est à Moi que tout retourne » (Coran, s. 31, v. 14).

Pourtant, ces versets traitent de questions métaphysique (place de l’être humain au sein de la famille, de l’Univers), non de questions sociétales, et encore moins d’hypernormalisation de la filiation stricto sensu.

Ainsi, même si certains versets semblent mettre clairement l’accent sur la relation utérine entre la mère et l’enfant, en disant que nos mères sont celles qui nous donnent naissance, aucun statut juridique clair ne semble ressortir de ces versets-là en matière de filiation. Il semble plausible de considérer que lorsque le Coran nous parle de filiation, c’est à des fins éthiques et non juridiques.

Par exemple, en arabe, l’utérus se dit rahim et fait référence également aux « valeurs » familiales (pluriel arham), fondées sur la parenté et le lien de compassion qui les lie les enfants au reste de leur famille. Rahma est un autre dérivé, qui signifie compassion.

Il est à noter ici, quant à la traduction des termes arabes, que ces mêmes dogmatiques musulmans ont le plus grand mal à interpréter le terme rahma (traditionnellement traduit par « miséricorde divine ») comme la « matrice de Dieu » qui porte notre humanité en gestation.

Ces références coraniques à l’« utérus » semblent donc bien d’ordre métaphysique, et non politique : ce qui est évoqué par le Coran, ici, s’inspire d’un contexte social qui est reconnu comme tel, tout en élevant la pensée des êtres humains vers des aspirations plus justes.

Les musulman-es dits « progressistes », l’inclusion de tou-te-s

Alors, le dogmatisme d’inspiration tribale ne cloisonne-t-il pas l’humanité dans une représentation binaire, nataliste de nos destinées ?

Justement, respecter les « liens du sang » aujourd'hui, n'est-ce pas de reconnaitre leur plein droit aux enfants élevés dans une famille donnée, reconnaitre leur filiation particulière, adaptée à un contexte sociétal humain par définition dynamique, en perpétuelle évolution, quel que soit leur capitale génétique à la base, quelle que soit la façon dont ils ont été conçus ?

Même à considérer que le dogme est là pour sanctifier de toute éternité une tradition tribale particulière, pourquoi alors ne retenir que l’analogie légale exclusive, sans prendre en compte les analogies inclusives ?

En cela, en islam, il s’agit du même type de questionnement qui est soulevé en ce qui concerne les formes de filiations alternatives au modèle traditionnel, qu’il s’agisse de la filiation par PMA, GPA, ou par adoption plénière (la kafala – adoption sans modification du patronyme des enfants adoptés – est la seule reconnue par le dogme islamique traditionnel). L’adoption plénière aurait été formellement interdite à l’époque des premiers Arabo-musulmans vivant au sein de sociétés tribales où le fait de ne pas connaitre vos père et mère génétiques faisait de vous un paria.

Je citerai un premier exemple d’analogie inclusive possible en la matière. Selon le Coran, tout porte à croire que le prophète Joseph a lui-même été adopté par des commerçants égyptiens, du fait de la jalousie meurtrière de ses frères de sang. Rien dans la tradition islamique ne vient condamner, hors contextes sociétaux particuliers, cette forme de filiation alternative : « Et celui qui l’acheta était de l’Égypte. Il dit à sa femme : ‟Accorde lui une généreuse hospitalité. Il se peut qu’il nous soit utile ou que nous l’adoptions comme notre enfant.” Ainsi avons-nous raffermi Joseph dans le pays et nous lui avons appris l’interprétation des rêves. Et Allah est souverain en Son Commandement, mais la plupart des gens ne savent pas » (Coran, s. 12, v. 21).

Islam contemporain et procréation médicalement assistée
Ainsi, au vu de l’inconsistance des arguments avancés par les partisans d’une filiation strictement génétique, au sens élaboré par les sociétés arabo-musulmanes, l’adoption plénière a finit par être adoptée par de grands pays musulmans, où l’éducation populaire et le niveau socioéconomique sont les plus élevés du monde dit « arabe » : c’est le cas en Tunisie, en Turquie, au Liban, ainsi qu’en Indonésie. (lire A. Vulbeau, « La kafala ou le recueil légal de l’enfant », Informations sociales 2008/2, n° 146, p. 23-24 ; pour la Tunisie, voir la loi n° 1958-0027 du 4 mars 1958 relative à la tutelle publique, à la tutelle officieuse et à l’adoption).

On peut considérer que ces sociétés à majorité musulmane, en voie de sécularisations postmodernes, ont choisi une forme de jurisprudence fondée sur l’analogie axiologique inclusive, privilégiant la maslaha (le bien-être du plus grand nombre). D’ailleurs la société civile tunisienne, première à avoir réalisé la nécessité d’une révolution éthique et sociale en 2011, discute en ce moment même de la possibilité ou non de recourir à la GPA pour certains couples hétérosexuels stériles.

Je citerai un deuxième exemple d’analogie inclusive possible en la matière. Il y a en effet un autre cas dans la jurisprudence islamique traditionnelle qui doit retenir notre attention : celui des frères et sœurs par allaitement, rida’a. Le Prophète des musulman-es aurait été frère de lait avec son oncle germain : Hamza Ibn Abd-Al-Muttalib. Les différentes nourrices ne sont pas considérées comme des mères adoptives, il est vrai, mais comme des tutrices. De plus, il est interdit aux frères et sœurs de lait de se marier entre eux.

Pour autant, ce jugement éthique, qui fait passer le dogme traditionaliste avant le bien-être des individus – une maslaha pourtant mise en avant par nombre de théologiens islamiques –, est-il toujours d'actualité dans des sociétés occidentales, comme la France, où, à l’inverse, c’est justement le fait de ne pas être totalement intégré à la famille dans laquelle vous grandissez qui fait de vous un enfant de second ordre, puis un adulte à l’identité fragilisée ?

La PMA et la GPA peuvent donc être considérées comme des question d’éthique inédites, où l’analogie inclusive peut contribuer à l’émancipation des individus, plutôt que de chercher la restriction des libertés individuelles, l’hypernormalisation des corps, des identités et même des filiations.

Perspectives islamiques universalistes

C’est Ibn ‘Arabi, le maitre des maitres du soufisme, qui disait ceci au sujet de l’élaboration de règles jurisprudentielles : « L’ijtihad (communément traduit par « effort d’interprétation ».) pour nous, c’est l’effort qui permet d’atteindre la disposition intérieure (isti’dad al-batin) grâce à laquelle on devient capable d’accueillir cette inspiration particulière (hadha l-tanazzul al-khass) qu’aucun prophète ni envoyé ne pouvait accueillir à l’époque de la prophétie » (Ibn ‘Arabi, Les Illuminations de La Mecque : anthologie présentée par Michel Chodkiewicz, Albin Michel, 1997).

Quant à la question de l’analogie, quelle soit strictement exclusive ou inclusive, voilà ce que le maitre en pensait : « Ce que la Loi tait n’est pas plus fortuit que ce qu’elle énonce. Si chaque mot de la sharia a un sens, l’absence d’un mot en a un aussi et l’être humain, s’il ne doit pas transgresser la parole de Dieu, n’a pas à la combler. Les ‟trous” de la Loi font partie de sa plénitude » (Ibn ‘Arabi).

On ne peut donc pas affirmer clairement, de ce qui précède, que dans toutes les situations, et quelles que soient les raisons, il serait interdit en islam d’avoir recours à la PMA ou à la GPA. C'est à chacun-e de prendre sa décision en son âme et conscience, comme tou-tes citoyen-nes.

Ainsi, au sein de républiques laïques, où l’islam n’est qu’une philosophie de vie, une inspiration axiologique parmi d’autres, il n'est pas souhaitable d'élaborer un nouveau dogme sur quelque sujet que ce soit, mais bien au contraire de continuer de réformer nos représentations identitaires en continuant de tracer ensemble ce sillon d'une philosophie de vie islamique universellement inclusive, y compris envers les enfants issu-e-s de PMA et de GPA.

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Directeur du cabinet CALEM, Ludovic-Mohamed Zahed est auteur de Le Coran et la Chair (Max Milo, 2012), LGBT musulman-es : du placard aux lumières, face aux obscurantismes et aux homonationalismes (Des ailes sur un tracteur, 2016), Homosexualité, Transidentité & Islam (CALEM éd., 2017) et Islams en devenirs (CALEM éd., 2017).






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