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Société

Hommage à Roger Garaudy, le philosophe à contre-courant de la « pensée unique »

Rédigé par Maria Magassa-Konaté et Huê Trinh Nguyên | Mardi 19 Juin 2012 à 23:39

           

Près de 200 personnes étaient réunies au crématorium de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) lundi 18 juin, à 15 h, pour dire un ultime adieu à Roger Garaudy, décédé mercredi 13 juin de mort naturelle à l’âge de 98 ans. Malgré la controverse qui entoure l’homme accusé de négationnisme, elles ont tenu à participer à l’hommage funéraire rendu à l’ancien homme politique et intellectuel converti à l’islam. Retour sur un après-midi d’hommage riche en émotions.



Hommage à Roger Garaudy, le philosophe à contre-courant de la « pensée unique »
Musulmans, chrétiens, athées, juifs, jeunes, vieux : le public venu dire adieu à Roger Garaudy est hétéroclite. Tous sont venus rendre hommage, soit à la figure communiste, soit à l’intellectuel qu’il était. Certains le connaissaient personnellement alors que d’autres ne l'ont découvert que par ses écrits mais tous ont voulu saluer un homme qui représente beaucoup à leurs yeux.

Emotion vive au crématorium

Roger Garaudy était de confession musulmane. Au terme, d’un long cheminement spirituel, il avait embrassé la religion musulmane en 1980. Son hommage funéraire s’est donc ouvert par une prière islamique pour le mort (salât al-janaza) effectuée spontanément par les musulmans pratiquants, venus nombreux, dans une salle mise à leur disposition.

Par la suite, dans le crématorium, la totalité du public s’est recueillie pour lui rendre un dernier hommage, après qu'il fut précisé qu'« aucune cérémonie religieuse » ne serait faite « selon la volonté de la famille ». Dans la salle, l’émotion est palpable. Les membres de la famille du défunt (sa femme, sa fille, sa petite-fille et son arrière-petite-fille), assis au premier rang, ne peuvent s’empêcher de retenir leurs larmes. Et ils ne sont pas les seuls à laisser aller leur chagrin.

Sur l’écran de télévision, qui fait face à l’assemblée, un diaporama alterne les couvertures des nombreux ouvrages de Roger Garaudy et des photos personnelles. On l’y voit au côté du pape Jean-Paul II ou encore auprès du dirigeant cubain Fidel Castro. Promesses de l’islam, Comment l’homme devint humain, Pour l’avènement de la femme, Grèves minières d'hier à aujourd'hui ou encore La Résurrection de l'Afrique et Marxistes et chrétiens face à face défilent aussi sur l’écran et témoignent de l’auteur prolifique qu’il était (on compte près de 70 ouvrages à son actif). En fond sonore, des chansons de Jean Ferrat appellent au recueillement.

Hommage à un homme de foi pacificateur

Quatre des proches de Roger Garaudy témoignent, dans leurs discours, de leur grande affection pour lui.

Le premier intervenant tient à citer un extrait de Parole d’homme (1975), dans lequel l'auteur évoque la mort : « J'aime la mort du même amour que la vie. (...) Tout ce que j'ai pu créer, par mon travail, ma pensée, mon amour, s'est inscrit et pour toujours dans la création continuée de l'homme par l'homme. »

Un autre de ses anciens amis communistes, Gaston Viens, ancien président du Conseil général du Val-de-Marne et ancien maire d'Orly, « ancien déporté de Buchenwald », précise-t-il, déclare pour sa part avoir été choqué par les propos « négationnistes » de Roger Garaudy mais a tenu à lui dire au revoir : « Je t'en ai voulu, nous nous sommes éloignés. (...) Tu disais souvent quand il y avait des débats dans le parti que tu lançais le bouchon trop loin. En 1997, avec le négationnisme, tu n'as pas lancé le bouchon trop loin, mais dans la mauvaise direction. (...) "À Dieu", Roger, même si je n'y crois pas. »

Yacob Mahi, professeur de religion islamique en Belgique et ami intime de Roger Garaudy, qu'il ne cesse de nommer « Maître Roger Garaudy », introduit son discours par la basmallah. Il exprime sa vive émotion en saluant la figure multiple du « philosophe, résistant, athée, chrétien, musulman », qu’il considère comme un « humaniste fraternel et un homme de foi (...) venu à l’islam sans renier son passé ».

Roger Garaudy, « un monument »

Pour Yacob Mahi, c'est « un monument qui nous a quittés, jouissant d'une culture considérable, (et qui) nous enseigne une pensée globale (reposant) sur le postulat de la Transcendance, de la relativité et de l'eschatologie ». Selon l'islamologue, « le maître Roger Garaudy dénonce les excès », qu'il s'agisse du « sionisme, qui n'est pas le judaïsme » ou de « l'islamisme, qui n'est pas l'islam ». « Il s'en allait trouver Dieu, ailleurs et partout, chez Rumi et Gandhi » et citant Garaudy : « Quel que soit le chemin de l'amour, il est celui de ma foi. J'ai choisi l'islam pour prendre parti tels les théologiens de la libération. »

Une des amies de jeunesse de l'intellectuel a, par ailleurs, pris la parole pour témoigner du passé de résistant de Roger Garaudy « au sommet des valeurs humaines », tout en ajoutant qu’il fut « un vrai et grand communiste », qui avait d’ailleurs atteint les plus hautes instances du parti avant d’en être exclu en 1970.

Lors de la cérémonie d'adieu, on sent que les œuvres de ce penseur laisseront des traces. En effet, celui qui a traversé presque un siècle d'histoire en a séduit plus d’un avec ses textes. Les jeunes générations ont tenu à saluer ce travail. Amina, émue jusqu’aux larmes pendant la cérémonie, a connu l’intellectuel à travers ses livres. Pour la jeune femme, il représente « un bel espoir pour l’humanité entière » car il « pacifiait les relations humaines ». « A travers ses livres, il encourageait au vivre-ensemble et allait au-delà des paroles », juge-t-elle.

Pour Antoine, un trentenaire converti à l'islam, participer à cet hommage est d’autant plus important qu’à ses yeux Roger Garaudy est une « inspiration » dont l’existence lui parle beaucoup et note l’intelligence d’un homme qui avait prédit l’avènement de l’islam en Occident depuis bien longtemps.

Un musulman incinéré ?

Roger Garaudy était-il un négationniste comme beaucoup l’affirment ? Pour ceux qui sont venus lui rendre un dernier hommage, ce n’est pas tout à fait le cas. Pour ces derniers, l’intellectuel a juste cherché à se poser des questions sur les camps de concentration. Ses questionnements ont alors suscité un tollé car ils allaient à l’encontre de la « pensée unique », estiment-ils.

D’après Antoine, sa « recherche très profonde » en a dérangé certains. « Un esprit critique » apprécié par Widad, qui, à 19 ans, trouve intéressant « l’avis original de l’Histoire » délivré par Roger Garaudy. Le controversé et médiatique humoriste Dieudonné était également présent, en justifiant rendre hommage à la « lutte contre le colonialisme » de Roger Garaudy. Une présence d'ailleurs pas forcément appréciée par le reste de l'assemblée composée de nombreux inconnus et simples amateurs de l'œuvre de Roger Garaudy, qui veulent garder de lui « la figure intellectuelle qui a traversé le siècle ».

D’autres personnes ont salué sa défense de la cause palestinienne tout comme sa défense de l’islam et des musulmans à travers, notamment, sa fondation en Espagne. Des musulmans, d'ailleurs, qui ont été nombreux à s'interroger sur le choix de la famille d’incinérer un homme qui est mort musulman alors que cela est proscrit dans l’islam : à la fin de l’hommage après que les personnes eurent été invitées à se recueillir une dernière fois sur le cercueil du défunt − chacun à sa manière, signe de croix, invocation paumes tournées vers le Ciel, dépôt de fleurs, signe de la main... à l'image de la diversité du public −, Roger Garaudy a été incinéré.

Sur les feuillets laissés à la disposition à la sortie du crématorium, on peut lire parmi les nombreux témoignages qui lui sont rendus celui de Catherine : « Je veux rendre hommage à cet homme de paix qui sauve l'honneur de l'Occident dominé par une idéologie nocive. Le système ne vous a pas rendu hommage. Mais sachez, Roger, que vous représentez l'espoir pour nous, humbles résistants. Paix à vous. »





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