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Economie

Halal : « C’est au consommateur musulman d’être arbitre »

Entretien avec Antoine Bonnel

Rédigé par Propos recueillis par la rédaction | Mardi 20 Juin 2006 à 16:52

           

Organisateur du World Food Market, qui regroupe un salon du halal depuis 2004, Antoine Bonnel est un spécialiste des produits alimentaires liés au markéting ethnique, encore peu développés en France. Observateur attentif des tendances multiples du halal, mais aussi du casher, il revient pour nous sur les enjeux économiques de ce marché en pleine explosion.



Antoine Bonnel est l'organisateur du salon halal
Antoine Bonnel est l'organisateur du salon halal

Saphirnews.com : Qu’est-ce qui vous a poussé à organiser ce salon du halal ?

Antoine Bonnel : Lorsque j’ai lancé ce salon du halal en 2004, j’ai constaté que ce marché, très jeune, avait besoin d’un média. J’ai aussi constaté que ce marché faisait très peur. Au niveau de la grande distribution, on ne savait pas trop quoi penser du halal, on croyait qu’il y avait de la manipulation, et on se demandait où allait l’argent du halal. C’était un peu occulte. Comme nous étions spécialisés sur l’ethnique et que la consommation communautaire, y compris le casher, nous intéressait, on a voulu créer un lieu de rendez-vous annuel pour permettre à des non initiés et à des communautaires de se rencontrer sur un sujet qui est le halal.

Quels étaient vos objectifs ?

A.B : Le premier objectif était de faire cohabiter halal et casher. C’est un échec car cette année, je n’ai plus de salon casher.

Pourquoi ?

A.B : Pour des raisons économiques. Le Consistoire de Paris, qui gère la certification casher, nous a un peu mis des bâtons dans les roues, non pas à cause du halal, car beaucoup de personnes rêvent d’une certification commune halal/casher, qui ne marche pas et qui n’existe pas, de part et d’autre. Ce qui nous a empêché de poursuivre cette cohabitation est que le Consistoire de Paris a le monopole de la certification casher en France et ne reconnaît pas les autorités de Londres, de Manchester ou de Milan. Il voyait donc d’un très mauvais œil l’arrivée d’un salon casher qui amenait des produits certifiés casher par d’autres autorités de certifications. Contrairement aux années précédentes, le Consistoire a donné consignes à ses membres de ne pas venir au salon du casher.

Le problème aujourd’hui c’est que la certification qu’elle soit halal ou casher est devenue, quoi qu’on en dise, un vrai business. C’est des millions d’euros de revenus, que ce soit les mosquées ou les associations privées, c’est une économie avec des enjeux très importants. Il est donc difficile de changer les règles du jeu sans punir économiquement certaines entités.

Depuis 2004, quels sont les changements sur le marché du halal ?

A.B : On constate que les marchés sont en évolution très importante. Il y a beaucoup de changement dans les produits et les tendances. On est passé d’un marché viande à un marché beaucoup plus sophistiqué. Ce qui ne change pas c’est le débat sur la certification qui reste un débat éternellement complexe et malgré nos efforts en 2004, à notre niveau, de rassembler la Malaisie, les instituts de certification d’Australie, de Thaïlande, d’Angleterre, d’Espagne, de France, en créant un grand forum, malgré cela on constate qu’il y a une nébuleuse et que le marché du halal est un sujet très sensible.

Vous organiser également d’autres salons alimentaires à l’international. Que pouvez-vous nous dire sur la perception du halal à l’étranger ?

A.B : Je suis le PDG de la société Ithaca France. C’est une société de services, donc plutôt orienté dans l’organisation de salons et dans le markéting ethnique et communautaire. Nous essayons d’être précurseur dans ces marchés et ces tendances. Après Paris, nous avons lancé le salon halal et casher à Londres, ce qui était une innovation.

Au mois de mars, nous avons fait le même salon à Los Angeles. Nous avons fait la première page du Los Angeles Times et le Wall Street Journal nous a consacré un article. C’était pour eux une surprise. Je dois dire qu’aux Etats-unis, c’est un sujet plutôt politique. La situation internationale étant ce qu’elle est, les questions étaient beaucoup plus politiques qu’en Europe.

Par ailleurs, les communautés orthodoxes juives et musulmanes ne se rencontraient pas. Elles se sont rencontrées lors de ce salon et il y a eu une méfiance dans la communauté juive sur les produits halal qu’ils découvraient puisque c’est un marché très émergent.

Nous sommes au début d’un marché difficile car la communauté musulmane aux Etats-Unis est très dispersée. Ce n’est pas évident économiquement d’avoir des coûts logistiques intéressant car il n’y a pas de concentrations de populations musulmanes comme en Europe, à Londres, Paris, Marseille, avec des millions de musulmans. Là-bas c’est quelques centaines, quelques milliers de musulmans répartis sur un continent nord-américain qui est comme même assez large.

Concernant la France, je peux dire aujourd’hui que le salon halal a contribué à banaliser le marché du halal, et pour preuve, la montée en puissance de la grande distribution sur ce marché là. On a bien vu l’intérêt que porte des groupes comme Auchan, Carrefour, Intermarché, Leclerc, Casino, Cora au halal. Le consommateur français non musulman voit lui aussi qu’il y a des produits halal, même s’il ne comprend pas très bien ce que cela signifie.

A combien estimez-vous le marché du halal en France ?

A.B : C’est très difficile à dire car il n’y a pas d’étude ou de statistiques. On estime, selon les recoupements de déclarations de douanes et certains chiffres sur les productions en provenances d’abattoirs, qu’il est de trois à trois milliards et demi d’euros, soit dix pour cent du volume total de viande consommé en France. En Europe, l’estimation est de quinze milliards d’euros et au niveau mondial, le marché est estimé à 150 milliards de dollars. Sa croissance est à deux chiffres, 10 % minimum, voire 15 %.

Concernant les produits transformés et les plats cuisinés, qui répondent à une double demande du consommateur musulman, nous avons fait une étude en 2005 qui montre que les nouveaux consommateurs musulmans revendiquaient deux choses : l’hygiène et le cultuel.

Quel est le développement actuel du marché halal en France ? Plutôt régional, national ou international ?

A.B : En fait, il y a une globalisation du marché halal et en même temps on garde des spécificités très importantes ne serait-ce qu’entre l’Angleterre et la France. A ce niveau, on ne peut pas parler d’un marché global. La viande reste un marché basique, halal, dans lequel il y a des transferts, une mondialisation dans les échanges, que ce soit la viande qui arrive du Brésil, ou bien d’Afrique du nord, les français qui vendent en Angleterre, l’Irlande qui exporte la viande halal vers la France …

Par contre, là où il y a des différences culturelles très importantes, c’est dès que l’on rentre dans les produits transformés. On a affaire à une communauté asiatique musulmane en Angleterre, pakistanaise, indienne, sri lankaise, alors qu’en France, on est plus avec l’Afrique du nord, ce qui veut dire que les produits type merguez, kébab, sont relativement peu connus et peu consommés en Angleterre.

Qui est le plus grand exportateur de viande halal dans le monde ?

A.B : Alianazans, un groupe indien basé à Bombay, est le n°1. Le plus grand pays exportateur est le Brésil qui exporte des conteneurs vers l’Algérie, le Maroc, le Moyen-Orient. Il y a une grande agence de certification à San Paolo qui s’appelle Sibal. Ce sont des musulmans marocains. J’ai également des amis algériens qui ont crée leur propre agence de certification à San Paolo pour exporter des conteneurs vers l’Algérie.

Le niveau de production de certains sites brésiliens est assez exceptionnel. J’ai rencontré le responsable d’un abattoir qui avait une production de 120 000 bœufs par jour. C’est le plus grand producteur de viande au monde.

Vous avez d’autres groupes qui sont milliardaires sur leur chiffre d’affaire comme Américana, en volailles, qui sont basés en Egypte, il y en a également en Arabie Saoudite. En France, je ne saurais dire qui est le plus grand. Il y a Socopa, Charal qui ont tous investis le marché halal.

Derrière tout cela, la vraie question est quel est le véritable halal, au Brésil ou en Belgique. Il y a des réputations plus ou moins bonnes. La Belgique, par exemple, a une mauvaise réputation. La Hollande a une mauvaise réputation. Il y a des différences d’interprétations. En Hollande, l’abattage est automatique. Certains sont contre. Il y a beaucoup de questions sur l’électronarcose. C’est un débat complexe.

Comment jugez-vous l’évolution économique du marché malaisien, invité d’honneur du salon ?

A.B : Etonnant. Etonnant de voir du dentifrice halal. J’étais en Malaisie, il y a un mois, j’ai ramené du détergent halal. Quant j’ai interrogé les musulmans, on m’a expliqué que de la gélatine était parfois utilisé et que le produit pouvait rentrer en contact avec la peau. La vraie question est quel est l’objectif final de la Malaisie. C’est un pays à majorité musulmane. Un vrai exemple d’organisation au niveau du halal, avec un organisme de certification centralisé qui s’appelle Jakim, mise en place par le gouvernement . Où s’arrête l’organisation du culte et où commence le business ?

Ce qui est étonnant c’est que lorsque vous interrogez les malaisiens sur le caractère halal d’un produit, ils ont toujours une réponse. Pourquoi du Coca-cola halal, on vous certifie que dans le processus de fabrication, il y a une fermentation qui génère un taux d’alcoolémie de 0,05 %. Nestlé, en Malaisie, est certifié à 100 % halal. Même les camions qui transportent les produits sont halal. La Malaisie est le pays qui a lancé la première banque islamique. Les hôtels y sont précisés halal, sans alcool.

C’est une manière pour eux de protéger leur marché. C’est le seul pays qui a mesuré la globalisation du marché halal, l’énorme économie que cela représente, 1 300 000 000 de consommateurs. La Malaisie a aujourd’hui des visées économiques très ambitieuses. Ils subventionnent des entreprises, ils essaient d’exporter Jakim, leur certification pour prendre des parts de marché.

Quels sont vos espoirs et vos craintes sur l’avenir du halal en France ?

A.B : Ma crainte est que cela devienne un marché un peu confus, surtout pour le consommateur. La première urgence est d’arriver à identifier une autorité centrale que je voyais dans le CFCM mais qui apparemment a failli puisqu’il y avait une commission halal crée en 2004 mais qui en deux ans n’a pas pu statué sur quoi que ce soit.

Ma peur est aussi de voir l’emporter le mercantilisme et l’adoption d’un système à la malaisienne qui aboutisse à une ségrégation, qui ne serait bonne ni pour le consommateur musulman, ni pour le consommateur non musulman, avec des rayons séparés. Il faudrait arriver à un système proche de celui du Consistoire, avec une certification unique et une liste des produits autorisés.

Je pense également qu’il y a un faux débat et qu’il n’y a pas besoin, pour certains produits, d’être halal. Il suffit simplement d’utiliser des graisses végétales. C’est au consommateur musulman d’être arbitre. Il doit refuser d’acheter des produits marketés pour faire simplement du business.





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