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Monde

Géopolitique saoudienne : le Roi Abdallah veut-il s’acheter une nouvelle ligne de conduite à  l’international ? 

Entretien avec Olivier Da Lage

Rédigé par Propos recueillis par Fériel Berraies Guigny | Mardi 12 Juin 2007 à 10:06

           

Une thématique brûlante et toujours d’actualité pour une  Arabie Saoudite qui n’en finit pas de payer le prix du 11 septembre. Depuis cet événement fatidique dans le monde, les relations avec les États-Unis, qui reposaient sur l'accord " pétrole contre sécurité " ont été fortement ébranlées. Dans le Golfe, le royaume fait face à sa perte d'influence dans les monarchies pétrolières. La relation de supériorité n’étant plus, l’Arabie Saoudite est contrainte au protectionnisme américain. Le terrorisme jihadiste, aidant, la société saoudienne est en crise et assume une profonde remise en question : le tabou autour du dogme wahhabite est levé, les terroristes s'en réclamant sont désormais combattus ouvertement.



Géopolitique saoudienne : le Roi Abdallah veut-il s’acheter une nouvelle ligne de conduite à  l’international ? 
Sous le règne d'Abdallah, la réforme est officiellement à l'ordre du jour, mais le rythme reste très lent. Le retour de la manne pétrolière n'a pas fait disparaître les disparités économiques et la nécessité d’une profonde réforme de la société. Le gouffre risque donc de se creuser davantage encore entre les quelques dizaines de princes qui dirigent vraiment le pays et la population. A quand la relève ? La politique étrangère saoudienne revisitée à la moderne, saura-t-elle endiguer les écarts ? Fériel Berraies Guigny a rencontré  Olivier Da Lage, l’auteur de l’ouvrage «  Géopolitique de l’Arabie Saoudite » (éditions Complexe, 2007) pour discuter de l’apport de cet ouvrage, qui nous donne une vision nouvelle de cette monarchie et tous les défis auxquels elle devra faire face. La question sera également de savoir, si l’Arabie Saoudite, longtemps considérée comme le vassal économique des américaines, pèsera d’un poids conséquent sur l’échiquier international.  Olivier Da Lage, est chef du service international de RFI, après avoir été, entre autres, rédacteur en chef adjoint de RMC Moyen-Orient et correspondant free-lance dans le Golfe, dans les années 1980. Il est l'auteur de nombreux articles sur le Moyen-Orient et le journalisme.  

Géopolitique saoudienne : le Roi Abdallah veut-il s’acheter une nouvelle ligne de conduite à  l’international ? 
Fériel Berraies Guigny : Les attentats du 11-Septembre ont-ils obligé les dirigeants saoudiens à se remettre en cause ?

Olivier Da Lage : Sans aucun doute, bien que dans un premier temps, certains dirigeants parmi les plus importants, comme le prince Nayef, ministre de l’Intérieur, ait mis en doute la nationalité saoudienne des 15 pirates de l’air (sur 19). Mais la très virulente campagne de presse et l’hostilité des milieux politiques (à l’exception notable du président Bush) les a obligés à se poser des questions qu’ils auraient préféré ignorer. Notamment la nature de l’enseignement dispensé par les religieux dans les écoles saoudiennes ou les circuits de financements d’Al Qaïda. L’invasion de l’Irak par la coalition anglo-américaine au printemps 2003 a en outre posé la question du rôle stratégique de l’Arabie saoudite au Moyen-Orient, à présent que les Etats-Unis sont présents militairement dans tous les États de la péninsule arabique et en Irak.

Fériel Berraies Guigny : Comment s’est construit l’Etat saoudien moderne ? Quelles sont ses composantes géopolitiques ?

Olivier Da Lage : De manière assez pragmatique, par la superposition d’un appareil d’État au départ assez léger et des structures tribales traditionnelles : les gouverneurs des provinces sont des membres de la famille royale ou des grandes familles alliées, les responsables de l’administration locale sont les chefs traditionnelles des tribus locales, etc. Le fondateur du royaume, Abdelaziz (Ibn Saoud) a eu le plus grand mal à accepter l’idée d’un budget de l’État au sens que nous connaissons et son premier héritier, le roi Saoud, traitait les finances de l’État comme sa tirelire personnelle. Mais l’apport d’experts étrangers, la formation de la génération des fils d’Adelaziz, et le développement du pays ont obligé les dirigeants, notamment à l’initiative du prince, puis du roi Fayçal, à moderniser ces structures, tout en respectant dans une certaine mesure la diversité régionale des provinces qui constituent le royaume. 

Fériel Berraies Guigny : Expliquez nous cette alliance entre wahhabisme et saoud.

Olivier Da Lage : C’est le point de départ : l’alliance entre un chef religieux réformateur, Mohammed Ibn Abdel Wahhab et un chef local de la province du Nejd, Mohammed Ibn Al Saoud. L’un prête à l’autre soutien religieux et politique et en retour, il reçoit l’appui des forces armées du second. Ensemble, ils vont conquérir la région, puis la Péninsule arabique pour propager simultanément l’islam selon Mohammed Abdel Wahhab et le pouvoir temporel des Al Saoud. Des mariages entre les deux familles vont cimenter cette union à travers les générations. Aujourd’hui encore, de nombreux membres de la famille Al Saoud ont des relations matrimoniales avec des descendant(e)s du cheikh Abdel Wahhab.

Fériel Berraies Guigny : la politique étrangère actuelle, est-elle un prolongement d’un expansionnisme basé sur la ferveur religieuse ou du pragmatisme pur et dur avec l’Occident ?

Olivier Da Lage : En fait, les deux. Dès l’époque d’Abdelaziz, le réalisme a prévalu sur l’idéologie dès lors qu’il fallait composer avec les puissances (d’abord la Grande Bretagne, puis les Etats-Unis). Mais la propagation du wahhabisme est un des objectifs clés du royaume, notamment par le biais de la Ligue islamique mondiale, basée à Djeddah, qui ne se contente pas d’imprimer des Corans ou de financer des mosquées en Afrique, en Extrême-Orient, en Asie centrale ou dans les Balkans, voire en Europe occidentale. Cet activisme est parfois toléré, voire encouragé par des gouvernements  qui y voient l’occasion de bénéficier de l’aide saoudienne. Mais il a aussi souvent provoqué la colère d’autres gouvernements qui s’inquiètent de voir un islam de type salafiste proliférer chez eux avec l’appui des dirigeants saoudiens.

Fériel Berraies Guigny : Quel est le poids de l’Arabie Saoudite s’agissant du Moyen Orient ? Le Sommet de Riad, est il une première tentative pour se redorer le blason par rapport au monde arabe ? Sur le registre international que peut elle proposer ?

Olivier Da Lage : L’Arabie Saoudite a un poids propre régional, indéniable. Mais elle a surtout une importance croissante en comparaison de l’impuissance des autres. Avec la disparition du président Hafez el Assad et du roi Hussein, la Syrie et la Jordanie ont perdu un poids considérable. A l’évidence, le président Moubarak, désormais âgé et préoccupé par sa succession, ne pèse plus du même poids qu’il y a seulement dix ans. Cela laisse donc la place libre au prince Abdallah, qui avait longtemps été sous-estimé en tant qu’acteur régional. Cela dit, l’Arabie Saoudite n’est pas, et n’ambitionne pas d’être une puissance mondiale…

Fériel Berraies Guigny : Avec toutes ces peuplades et tribus, ses affrontements entre les pairs et les différentes lignées, peut on parler d’une identité saoudienne ? Parlez nous de cette guerre intérieure de la société saoudienne.

Olivier Da Lage : Il y a probablement une identité saoudienne en formation. Compte tenu de la démographie, qui fait du royaume un pays particulièrement jeune, le côté « saoudien » de l’identité des habitants du pays pose sans doute moins de problème qu’il y a trente ou quarante ans. Je ne parlerais pas de « guerre intérieure ». Mais il y a eu depuis dix ans une contestation du régime, notamment islamiste parfois violente qui a connu au début des années 2000 une dérive terroriste d’inspiration jihadiste. C’est ce qui a fait basculer la société saoudienne, jusqu’alors plutôt compréhensive vis-à-vis d’Oussama Ben Laden. Mais ses partisans en Arabie Saoudite ont commencé à tuer des Arabes ordinaires et non plus seulement des dirigeants ou des Occidentaux, alors l’opinion a basculé.

Fériel Berraies Guigny : Quels sont les problèmes sociaux actuels en Arabie Saoudite ? Le statut de la femme ?

Olivier Da Lage : Le chômage des jeunes, l’inadaptation des études à l’économie, une société corsetée par un contrôle social et moral qui engendre de la frustration. Le retour de la manne pétrolière depuis deux ou trois ans permet d’alléger les tensions sociales, mais ne règle rien sur le fond, car les réformes, sans doute voulues par le roi, connaissent une progression d’escargot.

Fériel Berraies Guigny : Comment pourriez vous caractériser la relation avec les Etats-Unis, à l’heure actuelle ?

Olivier Da Lage : Après l’épreuve subie dans la foulée du 11 septembre et de la guerre d’Irak, je dirais que ces relations sont solidifiées : elles ont passé avec succès un test très difficile et les dirigeants des deux pays sont convaincus qu’ils ont besoin l’un de l’autre. N’oublions pas qu’il s’agit d’une relation stratégique d’État à État, basée sur les intérêts et non de valeurs partagées entre les deux peuples.

Fériel Berraies Guigny : L’ Arabie Saoudite pourra-t-elle devenir stratégique ? Et quelles sont ses futures alliances ?

Olivier Da Lage : Son rôle stratégique est double : il est fondé sur l’influence religieuse du pays qui abrite les Lieux saints de l’islam et qui est, du moins en théorie, voué en priorité à la défense et à l’expansion de l’islam. Mais il est aussi et surtout fondé sur ses réserves pétrolières, les plus importantes de la planète (entre le cinquième et le quart des réserves mondiales). De ce point de vue, le développement accéléré que connaissent les géants asiatiques que sont l’Inde et la Chine en font des interlocuteurs privilégiés pour l’Arabie Saoudite dans les années à venir. 





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