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Points de vue

Egypte – L’Histoire a tranché en faveur de Hassan al-Banna : leçons et méditations

Par Sofiane Meziani*

Rédigé par Sofiane Meziani | Mercredi 27 Juin 2012 à 00:00

           


Le peuple a fini par donner raison au candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, devenant le premier président élu démocratiquement du pays depuis la chute du régime de Hosni Moubarak.

Qui l’aurait cru ? Qui aurait cru que celui qui avait été condamné à mort par le régime de Ben Ali allait finalement être à la tête de la Tunisie ? Qui, au fond, aurait cru qu’un jour un vent printanier allait souffler sur les tyrans les plus sanguinaires de la planète ? Qui aurait cru à cet effet domino ? Qui ? L’Histoire n’était-elle pas en train de nous enseigner la tradition de la vie (sunna al-hayât) ?

Quand la nuit voit le jour

Parce qu’au-delà des analyses géopolitiques c’est, plus profondément, l’Histoire qu’il faut méditer. Il est encore trop tôt pour crier victoire. Certes. Rien n’est encore gagné et les choses sont plus complexes qu’elles ne paraissent. Une chose est sûre, cela étant, c’est qu’il y a dans ces renversements des signes aussi limpides que l’eau de Roche. Dieu ne dit-il pas « qu’il y a dans l’alternance de la nuit et du jour, des signes pour les doués d’intelligence ? » C’est à la lumière du livre révélé qu’il faut lire et comprendre le tableau du monde qui nous entoure. Dans ce célèbre verset du Coran, en effet, la succession de la nuit et du jour ne traduit pas uniquement le changement graduel de la couleur du ciel mais aussi, de façon métaphorique, l’alternance du bien et du mal. Et, nous semble-t-il, ce n’est pas sans raison que Dieu évoque la nuit avant le jour, car après les instants d’obscurité, il y a indéniablement les moments de lumière. Ainsi, la démocratie triomphe de la dictature, le bien se substitue au mal. La justice, en somme, finit par avoir raison de l’injustice. On m’objectera certainement que rien de tout cela n’est encore clairement visible dans les pays arabes et en particulier en Egypte d’autant que l’armée après avoir récupéré le pouvoir législatif suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale, garde une large marge de manœuvre dans le pays. Soit. Néanmoins, l’alternance de la nuit et du jour se fait progressivement, par étape, jamais dans la spontanéité. L’histoire de l’Humanité semble ainsi confirmer le Verbe de la Divinité.

La victoire des Frères Musulmans marque un tournant presque décisif dans ce pays qui a connu les plus grands dictateurs, de Pharaon à Moubarak. Même s’il y subsiste quelques zones d’ombres – que seul l’avenir pourra dissiper – dans la politique et la stratégie des Frères Musulmans depuis le début du soulèvement, il reste que le peuple a fait le choix du parti Liberté et Justice et cela suffit à remettre en cause nos critiques et nos questionnements au sujet de leurs apparentes contradictions. Le revirement politique des Frères, après avoir expulsé le dissident Abd al-Munaim Abu al-Foutouh et leur compromis avec le CSFA (Conseil suprême des forces armées), en particulier, ont suscité beaucoup d’interrogations. Certains y ont vu des fautes de calculs, d’autres de sages concessions. Ce qui nous importe, ceci étant, n’est pas spécifiquement la victoire des Frères, mais, globalement, l’Histoire des Hommes. Et cette dernière semble, pour cette fois, avoir tranché en faveur de Hassan al-Banna. Il faut s’y arrêter. Vraiment. Car la victoire du parti islamiste recèle un trésor d’enseignements.

La graine de la victoire

C’est dans la petite ville d’Ismâ’iliyya que l’histoire de la confrérie commence. Hassan al-Banna y fait un triste constat : un peuple méconnaissant les principes de l’islam, peu éduqué, abandonné au sort de la présence coloniale. Doté d’une détermination hors du commun, il entame un travail de sensibilisation dans les cafés de la ville pour éduquer le peuple et libérer le pays de la présence étrangère. Il y aborde, pendant pas plus de quinze minutes, des sujets simples, en employant un langage accessible et vise particulièrement à toucher les cœurs et à responsabiliser les consciences. Touchés par ses enseignements, six compagnons viendront lui proposer de former un groupe sincère s’engageant à servir la cause de la religion. Hassan al-Banna accepte le projet et ensemble, ils feront un pacte (bay’a) devant Dieu par lequel ils promettent de se consacrer entièrement à la réforme de la Oumma (communauté).

Cherchant aussitôt à nommer leur groupe et à définir un statut sur lequel ce dernier serait reconnu officiellement, Hassan al-Banna apostrophe ses compagnons et leur fait comprendre que le principe et la priorité de leur union résident dans la pensée, la morale et l’action, non pas dans les apparences et les officialités, avant d’ajouter que du fait qu’ils sont des frères au service de l’islam, ils sont donc les Frères Musulmans. Tout simplement. C’est ainsi qu’en 1928 la confrérie voit le jour : dans une petite ville, sept modestes personnes attristées par le sort de leur communauté décident, avec une détermination de tous les instants, de prendre le destin du pays en main. Leur seul mot d’ordre : l’éducation.

Homme de terrain, Hassan al-Banna consacra ainsi une grande partie de sa vie, avant d’être assassiné en 1949, à éduquer le peuple. Il mit sur pied des écoles, des structures culturelles et humanitaires, des entreprises artisanales et diffusa un nombre considérable d’articles dans plusieurs revues notamment celle des Frères. Il lança le scoutisme musulman qui en peu de temps comptait des centaines de milliers de scouts. Hassan al-Banna se déplaçait continuellement pour donner des conférences qui rencontraient une adhésion importante d’un public émerveillé par sa personnalité, la profondeur de ses discours, son charisme, son intelligence et surtout sa chaleur humaine. Très vite il prend de l’ampleur, et son message, qui s’inscrit dans la lignée des réformistes qui l’ont précédé, notamment Muhammad ‘Abdû et Rachîd Ridâ, a un impact considérable en Egypte et dans le monde. Il réveille la conscience du peuple en même temps qu’il éveille la haine du tyran. Très vite, il est perçu par la présence étrangère et ses alliés égyptiens comme un obstacle à leurs propres intérêts et tentent par tous les moyens d’asphyxier son engagement avant de l’abattre. La machine éducative de Hassan al-Banna est néanmoins bien lancée. L’homme n’est plus mais sa pensée et son action continuent d’alimenter les consciences plus de soixante ans après sa mort. Il a laissé une empreinte intellectuelle et spirituelle indélébile.

Les enseignements de l’Histoire

Bien entendu, il ne s’agit pas ici de faire l’apologie du fondateur des Frères Musulmans, mais d’interpeller la mémoire pour méditer l’Histoire. Près d’un siècle plus tard, en effet, après des années de luttes, de tortures, d’épreuves et de tensions, c’est le nom de la confrérie fondée par Hassan al-Banna qui finit par résonner au sommet du pays de Ramsès. Son sacrifice, son engagement et sa sincérité ont fini par payer et le temps semble lui avoir donné raison quelque soit, encore une fois, la façon dont nous interprétons le succès des Frères. Parce qu’il ne s’agit point d’une analyse politique de la situation égyptienne mais, plus profondément, d’une réflexion spirituelle sur le sens de la vie et les vérités éternelles de l’existence.

Les enseignements y sont riches et profonds : charge à l’homme de planter les graines, et revient à Dieu de décider de la saison propice à la cueillette des fruits ; il faut s’attacher à l’effort, et laisser le temps s’occuper du résultat ; il faut s’armer de patience car la vérité finit toujours par triompher. En effet, au cœur d’une obscurité quelconque se trouve une lumière, comme la lune qui brille dans la nuit, et celle qui scintillait dans la noirceur du régime dictatorial d’Egypte était celle de Hassan al-Banna. Il faut l’admettre, les Frères, au-delà de ce qu’on peut leur reprocher, se sont dévoués socialement et se voient à présent récompensés politiquement. Ils ont agi dans l’obscurité de l’Histoire, et actuellement, la lumière semble rappeler leur mémoire. Dieu est Sage et Juste…

* Sofiane Meziani est écrivain, auteur de cinq ouvrages, dont Le Chemin de la Liberté aux éditions Beaurepaire, travailleur social à Lille et membre du Collectif des musulmans de France (CMF).

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