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Points de vue

Education musulmane, le bonheur se trouve-t-il dans le privé ?

Sur le chemin d'un converti

Rédigé par Bilal Ibn Mîkhael | Lundi 11 Septembre 2017 à 08:00

           


Education musulmane, le bonheur se trouve-t-il dans le privé ?
« Mon frère, est-ce que tu veux gagner 1000 € ? » Le mariage vient de se terminer, les hommes échangent entre eux tandis que l’imam approche tous les convives, un à un, avec cette accroche. Arrive mon tour.

Je l’écoute avec attention car l’homme qui me fait face est une « figure » de la communauté musulmane, suivi par des milliers de frères et sœurs sur les réseaux sociaux. Il m’expose son projet d’établissement scolaire privé musulman. Un collège et un lycée, sur un terrain en passe d’être acheté en Seine-Saint-Denis. C’est une entreprise colossale mais qui, avec l’aide de Dieu, peut se réaliser.

Chaque convive est invité à faire une promesse de don qu’il s’engage à délivrer d’ici un an. Il peut donner la somme qu’il souhaite, mais l’offre proposée est de 1000 €. Je l’interroge sur les objectifs pédagogiques ou l’offre d’enseignement du futur établissement. Visiblement, la question n’est pas prioritaire. Je laisse mon contact.

Education musulmane, le bonheur se trouve-t-il dans le privé ?

Des écoles sur critères de sélection qui reproduisent les inégalités

Quelques jours plus tard, je repense à cette affaire lorsque, dans un gala de charité pour la construction d’une mosquée, l’un des invités d’honneurs évoque l’importance de cette nouvelle étape : « Nos parents ont bâti les mosquées, la prochaine génération doit se concentrer sur les écoles. »

L’argumentaire tient la route : face aux différentes lois islamophobes visant l’école, les musulmans doivent suivre le chemin des chrétiens et développer leur propre système scolaire privé, tout en restant sous contrat avec l’Etat. Le lycée privé musulman Averroès de Lille fait figure de modèle à multiplier.

L’établissement où j’enseigne cumul les handicaps : une majorité d’élèves boursiers, très peu de mixité sociale, un environnement urbain oppressant… Mes élèves viennent tous du même quartier et ont en commun, pour leur très grande majorité, d’être des descendants d’une immigration africaine ou asiatique. Ils sont entre eux. Pourtant, dans le quartier, il y a un bien une zone pavillonnaire avec des enfants blancs issus de classes moyennes, mais leurs parents ont fait le choix de les placer dans l’établissement privé catholique du centre-ville.

Quels sont les élèves qui iront dans ces établissements privés musulmans si ce n’est les fils et filles de classes moyennes ou issus d’une nouvelle bourgeoisie musulmane ? Quel sera le coût d’inscription ? Sur quels critères les élèves seront-ils sélectionnés ?

Malgré tous ses défauts, l’école de la République a ses avantages

Malgré tous ses défauts, l’école française de la République offre à tous les enfants nés en France la possibilité de bénéficier d’un enseignement à peu près égal sur l’ensemble du territoire. Certaines zones souffrent du fait d’une absence de professeurs et d’un manque de mixité sociale. La réelle solution, pour moi, se situe à ce niveau : au lieu de créer un modèle à part qui ne fait que reproduire des inégalités, notre communauté devrait investir pour soutenir ces établissements. Quid du travail périscolaire ? Quid d’une gestion des élèves en fin de journée alors que leurs parents ne sont pas encore rentrés ?

Que nous le voulions ou non, en vivant en France, nous devons vivre ensemble. Oui, certains de mes élèves ont d’énormes préjugés sur « les juifs » ou « les blancs ». La raison ? Il n’y en a pas dans l’établissement. La communauté juive a très tôt développé ses structures éducatives privées, au point que si mes élèves peuvent se nourrir de tels caricatures, c’est avant tout parce qu’ils ne côtoient aucun élève juif.

Est-ce la société que nous voulons ? Chaque communauté refermée sur ses structures éducatives privées et recalant les enfants les plus problématiques (généralement les plus pauvres) à l’école publique ?

Les écoles publiques, des biens à pérenniser

J’entends déjà l’argument : « Les écoles privés accueilleront des élèves de toutes confessions. » Là n’est pas le problème. Si nous considérons que la France est le pays dans lequel nos enfants et petits-enfants vont grandir, alors ne recopions pas les erreurs d’autres communautés et décidons que les écoles primaires, collèges et lycées de nos quartiers sont des biens communs à pérenniser.

Il manque des profs ? Poussons nos frères et sœurs à passer les concours.

Il y a de l’islamophobie ? Nous n’y échapperons pas en vivant en parallèle.

Les écoles publiques sont de mauvaise qualité ? Si la seule solution trouvée est d’en retirer ses meilleurs éléments, soyons certains que la situation va s’aggraver.

Cette chronique ne cherche absolument pas à dénigrer le travail de frères et de sœurs, que Dieu en soit témoin. C’est surtout un avertissement et une autre vision de chose proposée par un professeur attaché au fait que les enfants qui forment la société française puissent se côtoyer. Et que, surtout, l’absence de mixité sociale est l’une des sources de la reproduction des inégalités scolaires.

*****
Bilal Ibn Mîkhael est enseignant.

Du même auteur :
Expliquer sa foi aux non-croyants
Je suis musulman, même si ça ne se voit pas
Drôle d’Aïd à la mosquée
La solitude du Ramadan




Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par blois le 11/09/2017 17:20 | Alerter
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Sauf exception , il n ' y a pas grand chose à attendre de l 'enseignement public.

2.Posté par Jacques CLAVIER le 18/09/2017 09:58 | Alerter
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« Il serait faux cependant de croire que Ricœur a ignoré la politique. Longtemps président de la Fédération protestante de l'enseignement, au moment de la guerre entre l'école publique et l'école catholique, il avait prôné des solutions innovantes, mais qui sont restées dans les tiroirs du statu quo. Il a présidé de 1958 à 1969 le mouvement du Christianisme social (auquel appartenait aussi Michel Rocard et bien d'autres). Si Charles de Gaulle avait obtenu un « oui » à son référendum, Edgar Faure, alors Premier ministre, aurait (dit-on) appelé Paul Ricœur, alors doyen de Nanterre, ce qui était déjà une vraie responsabilité politique, au ministère de l'Éducation nationale – et il semble que Ricœur aurait été prêt à accepter cette nomination, dans la perspective qui était alors la sienne d'imaginer l'institution et d'instituer l'imagination. Mais, surtout, le politique n’a cessé d’être au cœur de sa réflexion, et c’est ce que nous allons voir. » (LE POLITIQUE ET LE PHILOSOPHE Emmanuel Macron et Paul Ricœur par Olivier ABEL dans la Revue ÉTVDES n° 4241 de septembre 2017)

Jacques Clavier (@CLAVIERJC) écrit :
Il y a des rendez-vous dans l’Histoire ; il m’est bon de penser que nous ne les manquerons pas tous !

3.Posté par Melen le 22/09/2017 21:02 | Alerter
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Les collégiennes et lycéennes qui portent le foulard et qui sont interdites d'école ont elles aussi besoin de contact comme les autres. Il ne faut les oublier. L'enseignement public leur est fermé, l'enseignement privé est important pour bon nombre de personnes, ce n'est pas qu'une question de choix.


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