Edgar Morin
Saphirnews : Êtes-vous militant ce soir ?
Edgar Morin : Je ne suis pas un militant, mais je suis intervenu plusieurs fois évidemment pour le droit des Palestiniens, notamment à travers des articles dans Le Monde et dans Libération.
Vous avez d’ailleurs été pris dans une polémique sur un texte que vous avez écris sur Israël dans le quotidien Le Monde.
Edgar Morin : Oui, j’ai fait un article que j’ai cosigné avec Sami Naïr et Danièle Sallenave que j’ai appelé « Le Cancer ». Et c’était évidemment une critique de la politique israélienne et de la politique de Sharon. J’ai été poursuivi par la suite par l’association France-Israël sous le motif d’antisémitisme ou de racisme et d’apologie du terrorisme. Ce qui est absolument faux pour quiconque connaît mes pensées, ma vie. Ils ont, du reste, perdu mes procès et ont été même condamnés à une amende. Mais ils ont fait appel. Et ils font appel parce que même quand ils perdent, ça leur sert pour montrer aux journaux américains et israéliens que même les juges français sont antisémites. De toute façon, ils se foutent de perdre, tout ce qu’ils veulent surtout, c’est de développer l’idée que toute critique est de l’antisémitisme.
Qu’est-ce qui vous anime dans cette lutte intellectuelle ?
Edgar Morin : C’est un sentiment de justice ou d’injustice. Il y a une telle inégalité entre une force militaire puissante et des gens quasi désarmés. Il y a une telle inégalité dans les souffrances subies. Il y a une telle injustice dans ce qui est dit sur ce conflit que c’est ça qui me motive fondamentalement. Mais c’est aussi parce que je crois que j’ai toujours été sensible aux opprimés. Comme les Indiens d’Amériques. Même dans le passé, il y a eut les Noirs qui ont été esclaves. Bref, pour moi, je dirais que c’est une question de principe, de ma personne : tout ce qui est fondé sur le mépris d’autrui, sur l’humiliation d’autrui ou sur le fait de traiter autrui comme une chose, comme un objet, c’est une chose qui me révolte, qui m’indigne et qui me fait souffrir. Donc, dans l’histoire contemporaine, le cas du peuple palestinien est malheureusement terriblement exemplaire et je ne pouvais que dans ce sens là essayer de témoigner, de dire ce que je pouvais dire, d’essayer d’expliquer ce que je pouvais expliquer pour le peuple palestinien.
Comment vivez-vous ce combat du fait que vous soyez vous même d’origine juive ?
Edgar Morin : Mais vous savez, vous avez dit très justement que je suis d’origine juive. Mais si vous définissez le juif par rapport à une religion, je n’ai pas cette religion. Par rapport à un peuple qui est le peuple juif, me concernant, je relève du peuple français et puis même j’ai un esprit je dirai internationaliste, ou citoyen du monde. Et si je me définis par rapport à une nation, alors la nation dont je suis ressortissant, c’est la France et non pas Israël.
Donc, si vous voulez, je ne me sens pas comme un certain nombre de juifs identifiés à Israël. Et peut-être même que c'est parce que je suis d’origine juive que je suis sensible à l’humiliation et que ça me semble absolument effrayant d’un point de vue humain que des gens qui ont été les héritiers de générations de personnes humiliées par les chrétiens, par les nazis, soient capables de faire subir ce qu’ils ont subis à d’autres. D’autant plus que les autres n’ont jamais été participants aux persécutions contre les juifs. Il y a une phrase de Victor Hugo qui dit que « dans l’opprimé d’hier, l’oppresseur de demain » ; malheureusement, c’est une triste vérité qui s’est vérifiée pour Israël.
Donc, si vous voulez, je ne me sens pas comme un certain nombre de juifs identifiés à Israël. Et peut-être même que c'est parce que je suis d’origine juive que je suis sensible à l’humiliation et que ça me semble absolument effrayant d’un point de vue humain que des gens qui ont été les héritiers de générations de personnes humiliées par les chrétiens, par les nazis, soient capables de faire subir ce qu’ils ont subis à d’autres. D’autant plus que les autres n’ont jamais été participants aux persécutions contre les juifs. Il y a une phrase de Victor Hugo qui dit que « dans l’opprimé d’hier, l’oppresseur de demain » ; malheureusement, c’est une triste vérité qui s’est vérifiée pour Israël.
Yasser Arafat, lutte à l’heure où nous nous entretenons entre la vie et la mort, quel est votre sentiment sur cet homme ?
Edgar Morin : C’est une de ces personnalités hors du commun comme il en existe très peu par siècle. D’abord, il incarne la cause palestinienne. Dans le fond, la nation palestinienne s’est formée et est née dans la souffrance parce qu’elle est occupée et c’est lui qui a contribué à la faire naître. C’est un symbole, et c’est plus qu’un symbole parce qu’il a manifesté une grande volonté. Il a été un homme de guerre et il a été un homme de paix. Bien entendu, je ne l’idéalise pas, je sais que tout grand homme peut avoir ses « petits côtés ». Mais aujourd’hui, c’est un moment tragique et ce que l’on voit, c’est la grandeur et l'importance de l'homme et sans doute la perte que cela va poser.
Et comment voyez-vous l’avenir ?
Edgar Morin : Je ne le vois pas, parce qu’on voit très bien la continuation d’une catastrophe. Avec l’élection de Bush, Sharon aura le feu vert pour continuer et la passivité des puissances occidentales ou arabes va continuer. Je vois donc une forte probabilité d’avenir très sombre. Bien entendu, il peut toujours arriver quelque chose d’improbable. Quand j’ai fait de la résistance, sous l’occupation, au début, il était improbable que l’Allemagne nazi soit vaincu. Pourtant, c’est arrivé. Donc peut être aussi qu’il y aura une modification de la politique américaine, européenne, je ne sais pas. En tout cas, je suis dans une phase sombre, mais je n’exclus pas la possibilité d’une issue.