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Points de vue

Du virtuel au réel : les lynchages publics risquent de coûter cher à tous

Rédigé par Omero Marongiu-Perria | Mardi 31 Janvier 2017 à 13:00

           


Du virtuel au réel : les lynchages publics risquent de coûter cher à tous
Le débat politique français est violent, dans les mots, dans les idées, dans les affrontements entre les protagonistes de tous bords. C’est un fait, et il ne date pas d’aujourd’hui. Que la scène publique soit le lieu des oppositions d’opinions et d’idéologies, parfois très acerbes, sur fond d’ironie et de sarcasme, c’est aussi un peu la règle du jeu. On les provoque, ou on les subit, et l’on prend un malin plaisir à lire ce qui se dit sur nos contradicteurs tout en s’offusquant des traits de satire dont on peut faire l’objet. C’est aussi le prix à payer lorsqu’on est un personnage public au pays des libertés.

Du - trop grand - costume du Simon Wiesenthal musulman...

La logique de la mise au pilori et du lynchage des personnes sur les réseaux sociaux est tout autre, et mes coreligionnaires musulmans ne sont pas en reste. Parmi eux, certains cherchent à endosser le - trop grand - costume du Simon Wiesenthal musulman, traquant inlassablement les « Frères musulmans » et autres islamistes sur le Web. Ces défenseurs de « l'islam spirituel et républicain » se donnent pour mission l’éradication des fossoyeurs de la « laïcité », qui ont pris souche dans l’Hexagone, et de tous leurs idiots utiles.

Pour ce faire, pas besoin d’entreprendre de grandes études de terrain ; les « corrélations factices » que les chercheurs en sciences sociales connaissent bien, font largement l’affaire. Vous êtes l’ami du cousin de l’oncle d’un islamiste, vous êtes l’accusé en puissance. Vos photos, noms, adresses, numéros de matricule, et j’en passe, sont désormais publiés et votre personne soumise à la vindicte des défenseurs en chef de la « patrie en danger » et de leurs thuriféraires. Vous êtes l’« accusé ».

Peu importe votre passé, votre présent ou votre futur, vous êtes coupable à l’insu de votre plein gré. Peu importe vos prises de positions, vos écrits, vos réseaux pluriels, votre investissement local ou national, vous êtes coupable par défaut. A vous de prouver le contraire, car au tribunal des chasseurs d’islamistes, la présomption d’innocence n’existe pas. Dans la traque aux « nazislamistes », ce ne sont pas les stratégies d’acteurs et leur complexité qui comptent, il faut se contenter d’abreuver le peuple de sang, quelles que soient les victimes.

....au - trop grand - costume de Danton

A l’inverse, d’autres musulmans endossent le - trop grand - costume de Danton, à la tête du club des Cordeliers, préparant l’insurrection populaire pour faire tomber les têtes des islamophobes de tout poil. Ces défenseurs des minorités stigmatisées et autres victimes du « racisme d’Etat » se donnent pour mission de débarrasser la société des fossoyeurs de la « laïcité », qui ont pris souche au sein des castes politiques et intellectuelles françaises, et de tous leurs sbires.

Pour ce faire, tout propos critiquant l’islam ou les musulmans est passé au crible de la lorgnette de l’islamophobie à tout prix. Dans cette stratégie, la prise de position politique, l’écrit journalistique, le propos satirique ou celui du café du commerce ne sont pas évalués pour ce qu’ils sont, ni même sur la base de la réalité dans laquelle ils s’inscrivent. Vous êtes islamophobes, donc vos idées ne sont pas sujettes à débat, vous êtes coupables. Vos photos, noms, adresses, numéros de matricule, et j’en passe, sont désormais publiés et votre personne soumise à la vindicte des défenseurs en chef du Tiers État et de leurs thuriféraires. Vous êtes l’« accusé ».

Peu importe que vous soyez représentant politique national, cafetier peu féru de politologie ou que votre langue a glissé dans l’instant sur une peau de banane un peu putride, vous êtes coupable à l’insu de votre plein gré. Plus de passé, plus de présent, plus d’avenir ne tiennent, et surtout pas une analyse critique des comportements, parfois mêmes des stratégies des musulmans dans leur relation à la société depuis l’échelle locale jusqu’au niveau national. Au tribunal des chasseurs d’islamophobes, il faut abreuver le Tiers-État de sang, quelles que soient les victimes.

Eviter la descente aux enfers collective

Ce combat acharné entre deux camps irréductibles ne laisse quasiment aucune place aux positionnements complexes. De même, elle évacue complètement du débat public les idées et les joutes argumentées, aussi virulentes soient-elles. Le temps est désormais aux expéditions punitives, sur les réseaux sociaux, et à la chasse aux « traîtres ». La situation serait assez comique si elle se bornait à un jeu d’idiots au comportement loufoque.

Les passages à l’acte nous rappellent cependant que les réseaux sociaux sont bien loin d’être cantonnés à la virtualité. Ils alimentent des phobies, mais aussi des paranoïas, tout comme ils construisent des représentations du monde complètement fantasmagoriques et hallucinogènes. Les uns croient voir des fascistes de l’islam au coin de chaque rue, les autres croient y voir des islamophobes. Mais les uns et les autres ne se rendent même plus compte que les délations haineuses et l’appel aux punitions collectives sont en train de nous plonger tous dans le précipice, chacun accusant l’autre d’avoir dégainé le premier. Pour nous éviter la descente aux enfers collective, il est encore possible que chacun réinjecte une petite dose d’éthique, de probité et de respect des personnes dans sa propre démarche.

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Omero Marongiu-Perria est sociologue et spécialiste de l'islam français.

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