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Monde

Droits humains : la protection des minorités en faillite

1948-2018 : la Déclaration universelle des droits de l’homme célèbre ses 70 ans

Rédigé par | Lundi 10 Décembre 2018 à 08:50

           

Quels pays peuvent se prévaloir d’être celui des droits de l’homme ? Aucun, bien qu’il soit vrai, des Etats sont davantage à la traîne que d’autres. Les minorités demeurent parmi les populations pour qui les droits fondamentaux sont les moins garantis, y compris dans les démocraties occidentales où l’essor des populismes et ladite guerre contre le terrorisme menacent des populations souvent parmi les plus fragiles. Un état des lieux s’impose et doit nous alerter à l'heure où la Déclaration universelle des droits de l’homme célèbre ses 70 ans.



Visuel de la campagne #standup4humanrights lancée par les Nations unies à l’occasion des 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Visuel de la campagne #standup4humanrights lancée par les Nations unies à l’occasion des 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
« Alors que nous sommes dans l’année du 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il est on ne peut plus clair que personne parmi nous ne peut considérer un seul de ses droits fondamentaux comme acquis. » Tels sont les propos de Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International, qui ouvre son rapport 2018 sur la situation des droits humains à travers la planète en évoquant la situation dramatique des Rohingyas.

Ce peuple est l’une des populations les plus persécutées au monde, par une Birmanie qui est la cible de maintes accusations de génocide et de crimes contre l’humanité. « Cet épisode restera dans l’Histoire comme un exemple supplémentaire de la calamiteuse impuissance de la communauté internationale à résoudre les situations propices aux pires atrocités de masse », signifie Amnesty.

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Quand les guerres sévissent

Et les Rohingyas sont loin d’être les seuls à être victimes de féroces répressions, qu’elles proviennent d’institutions étatiques ou de milices et d’organisations terroristes, dans une indifférence quasi générale.

Au Moyen-Orient, l’organisation État islamique (dit Daesh) n’a fait aucun cadeau aux populations non musulmanes (et à ses opposants musulmans) vivant dans les territoires qu’elle avait conquis (Yézidis, chrétiens d’Orient, chiites…) jusqu’en 2017, année de l’effondrement territorial du « califat ». Le danger n’est pas pour autant écarté dans la zone irako-syrienne, où tout reste à reconstruire.

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En parallèle, la guerre civile en Syrie, débutée en 2011, fait toujours rage, avec un régime gouvernemental brutal, celui de Bachar Al-Assad, aidé de ses alliés russes, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Plus au sud, l’une des pires crises humanitaires sévit dans un Yémen dévasté par les multiples offensives menées par l’Arabie Saoudite et ses alliés… Là où les guerres sévissent, les droits de l’homme ne sont plus. Mais, même en dehors de zones de conflits, les droits humains ne sont pas assurés d’être appliqués partout et pour tous.

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Au Pakistan, la chrétienne Asia Bibi a été acquittée le 31 octobre par la Cour suprême après neuf ans d’incarcération pour des accusations de « blasphème » envers le Prophète Muhammad. L’affaire Asia Bibi rappelle combien des législations d’essence religieuse peuvent malheureusement être instrumentalisées dans certains pays pour faire taire des voix parce que soit issues de minorités non désirables, soit issues de courants d’opposition qui luttent en faveur des libertés.

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Torture et surveillance arbitraire

Le mantra des gouvernements, qu’ils soient démocratiques, autoritaires ou dictatoriaux, ces dernières années : la lutte contre le terrorisme et la préservation de la « sécurité nationale » qui posent de nombreux défis. Pour le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), « les mesures prises par les États pour combattre le terrorisme ont souvent elles-mêmes constitué de sérieuses menaces pour les droits de l’homme et la primauté du droit » comme le recours à la torture, à la surveillance arbitraire ou encore à des lois « utilisées pour faire taire des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes, des minorités, des groupes autochtones et des représentants de la société civile ».

Or, rappelle le HCDH, « le respect des droits de l’homme […] doit constituer le fondement du combat mondial contre le terrorisme ». Parmi les exemples notables, la répression en Turquie déclenchée contre la société civile au lendemain du coup d’État manqué en 2016. Celle-ci s’est poursuivie en 2017 « à un rythme effréné », selon Amnesty, afin de lutter contre le mouvement Gülen considéré comme étant terroriste par les autorités. En Égypte, le régime du président tout puissant Abdel Fattah al-Sissi a écrasé toute opposition depuis son arrivée par la force au pouvoir, en 2013, au nom, lui aussi, de la « guerre contre le terrorisme ».

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La situation en France est évidemment loin de ressembler à celle qui prévaut en Turquie ou en Égypte, mais les organisations de défense des droits de l’homme mettent en garde. Selon le rapport 2018 de Human Rights Watch (HRW), la France « continue de s’appuyer sur des pouvoirs antiterroristes abusifs introduits au lendemain des attentats de novembre 2015 ».

Populistes et démagogues

La poussée des populismes dans le monde a conduit à l’élection de Donald Trump, aux États-Unis, de Matteo Salvini, en Italie et, dernièrement, à l’élection de Jair Bolsonaro, au Brésil. Elle n’est pas pour améliorer la situation globale des droits humains, avec une montée de l’intolérance et des discriminations qui touchent, là encore principalement, les minorités, parmi lesquelles les réfugiés et les migrants, que bien des politiques renvoient à une menace sécuritaire.

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Pour Kenneth Roth, directeur exécutif de HRW, « les démagogues se sont servis des bouleversements et des inégalités économiques causées par la mondialisation et les avancées technologiques, de la peur du changement culturel dans un monde de plus en plus mouvant et de la menace d’attaques terroristes, pour alimenter xénophobie et islamophobie. Ils se sont attaqués frontalement aux valeurs d’inclusion, de tolérance et de respect de l'autre, au cœur des droits humains ».

« La bataille pour les droits humains n’est jamais définitivement gagnée, où que ce soit et à quelque époque que ce soit. La ligne de front bouge sans cesse, et nous ne devons jamais relâcher notre vigilance. Cela n’a peut-être jamais été aussi évident dans toute l’histoire des droits humains », affirme Amnesty.

En ce 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, estime pour sa part HRW, « le meilleur moyen de lui faire honneur est d’en défendre vigoureusement les principes contre ces dirigeants qui cherchent à gagner du terrain politique en privant des groupes marginalisés des droits garantis pour tous ». D’énormes défis restent encore à relever, auxquels s’attèlent des milliers d’hommes et de femmes dans le monde. Souvent au péril de leurs vies, au nom des nobles principes d’égalité, de dignité et de justice.

CHIFFRES CLÉS

■ PEINE DE MORT
993 exécutions ont été enregistrées dans 23 pays en 2017. L’Arabie Saoudite, l’Irak, l’Iran et le Pakistan ont procédé à eux quatre à 84 % des exécutions recensées dans le monde. Les États-Unis ont été le seul pays du continent américain à mettre à mort des prisonniers en 2017. (Amnesty international)

■ ESCLAVAGE
40,3 millions de personnes à travers le monde sont soumises à une forme d’esclavage moderne. Parmi elles, 24,9 millions sont victimes de travail forcé et 15,4 millions ont été la proie d’un mariage forcé. (Walk Free Foundation)

■ TORTURE
141 pays dans lesquels ont été dévoilés des cas de torture et de mauvais traitements ont été recensés en 2014. (Amnesty International)

■ RÉFUGIÉS
68,5 millions de personnes à travers le monde ont été chassées de leurs foyers, un triste record atteint en 2018. Ils sont 25,4 millions de personnes enregistrées en tant que réfugiés qui ont fui leurs pays pour échapper au conflit et à la persécution. (Agence des Nations unies pour les réfugiés)

■ APATRIDES
10 millions de personnes dans le monde sont apatrides, privées de nationalité et d’accès aux droits élémentaires comme l’éducation, les soins de santé, l’emploi et la liberté de circulation. (ONU)

Première parution de cet article dans Salamnews, n° 69, novembre-décembre 2018.

Lire aussi le dossier « Liberté de religion et de conviction en Méditerranée », réalisé en partenariat avec le Collège des Bernardins.


Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur


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