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Points de vue

Des hommes et… Dieu

Par Christophe Roucou*

Rédigé par Christophe Roucou | Jeudi 30 Septembre 2010 à 19:36

           


Christophe Roucou : « Nos frères de Tibhirine nous montrent un chemin : celui d’une amitié entre chrétiens et musulmans patiemment et quotidiennement tissée. »
Christophe Roucou : « Nos frères de Tibhirine nous montrent un chemin : celui d’une amitié entre chrétiens et musulmans patiemment et quotidiennement tissée. »
Depuis le 8 septembre près d’un million de Français très divers sont allés voir le film de Xavier Beauvois « Des hommes et des dieux ». Ce film touche bien au-delà des limites confessionnelles, il n’y a qu’à lire les critiques quasi unanimes. Il a reçu en même temps le prix du jury œcuménique et celui de l’Education nationale, sans oublier le grand prix du festival de Cannes 2010.

L’étonnant, c’est que le message vécu dans l’anonymat par les frères du monastère Notre-Dame-de- l’Atlas à Tibhirine, près de Médéa, en Algérie, ait un tel impact universel. Sans doute parce qu’il révèle les racines d’un engagement humain dans la foi en Dieu. Sans doute aussi car il touche à l’humain dans les dimensions les plus quotidiennes de la vie comme dans sa profondeur spirituelle : Qu’est-ce qu’être homme ? Comment vivre la fraternité ? C’est quoi aimer l’autre, mon frère en humanité ?

Des chrétiens, des musulmans, des agnostiques voient ce film, et parfois même ensemble, comme à Paris à l’initiative du SRI ou dans d’autres villes. Nous nous en réjouissons. Mais dans ce concert de louanges, nous entendons aussi des réticences ou des regrets venus de nos amis musulmans.

Personne, en effet, n’est fier de la mort des moines, qui reste une blessure profonde non seulement pour leurs familles, pour la petite Eglise catholique d’Algérie, pour une grande majorité d’Algériens, et de musulmans de tous pays, révoltés qu’on ait porté atteinte ainsi à la vie d’hommes de Dieu. Ce film réveille des blessures internes, car la plupart des familles algériennes ont été touchées par la mort d’un des leurs sans que justice et vérité soient faites aujourd’hui.

Nous comprenons nos amis musulmans qui auraient aimé voir davantage de belles figures de foi et de miséricorde en actes, qui existent parmi les croyants de l’islam, à côté de la belle figure de frères chrétiens au service de Dieu et de leurs frères algériens.

Mais, au-delà de ce film, et sans doute aussi grâce à lui, les croyants, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, ne sont-ils pas remis devant leurs vraies responsabilités ? Les hommes sont là dans leur diversité, les religions sont là, diverses aussi, avec la beauté de leur message divin mais parfois avec la perversion de paroles ou d’attitudes quand le nom de Dieu est utilisé pour détruire l’homme.

Comment combattre en nous et autour de nous la violence qui défigure l’humanité, travestit la parole qui nous fait vivre et fausse la révélation de Dieu dont nous désirons témoigner ?

Comment, pour nous chrétiens, être lucides sur les situations de non-respect des droits fondamentaux pour chacun de pratiquer sa religion, au Pakistan, en Inde, au Maghreb, en Arabie, sans procéder par amalgame et stigmatiser tous les croyants de l’islam ? Comment défendre toujours et partout la liberté de croire et de choisir sa religion, en étant conscient que des politiques cherchent à utiliser les religions ?

Ces enjeux et ces défis sont à relever ensemble, chrétiens et musulmans, et non pas dans une attitude de rivalité ou de concurrence les uns vis-à-vis des autres. Le défi est double : permettre aux hommes d’être vraiment et pleinement hommes en développant toutes les dimensions de leur humanité, conscients de leurs limites, et laisser Dieu être Dieu au fondement et à l’horizon de notre vie.

Au-delà du film, mais aussi grâce à lui, nos frères de Tibhirine nous montrent un chemin : celui d’une amitié entre chrétiens et musulmans patiemment et quotidiennement tissée, tout à la fois don de Dieu à recevoir et combat humain à mener au milieu des difficultés de tous ordres. Ils nous indiquent aussi une source où puiser, même dans l’adversité, celle de la prière devant Dieu.


* Père Christophe Roucou est directeur du Service national pour les relations avec l'islam (SRI)






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