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Economie

Consommation halal : « Un des marchés les plus prometteurs du monde »

Entretien avec la sociologue Florence Bergeaud-Blackler

Rédigé par Mohammed Colin | Jeudi 1 Juin 2006 à 00:27

           

Le halal devient un véritable phénomène de consommation. Pour preuve la grande distribution s’intéresse de très près à ce nouveau marché. Des produits halal de toutes sortes trônent en bonne place dans les rayons de nos grandes surfaces. Le marché du halal représenterait en France plus de trois 3 milliards d’euros de chiffre d’affaire. Et la demande ne cesse de croître. Pour en savoir davantage sur ce qui motive les consommateurs à manger halal Florence Bergeaud-Blackler sociologue spécialisée sur la consommation religieuse répond aux questions de la rédaction de SaphirNews.com Nous mettons à la disposition du public (Cf pièce jointe en bas de l’entretien) les résultats de l’étude sur la consommation de produits menée par Florence Bergeaud-Blackler.



Florence Bergeaud-Blackler, sociologue à l'unité d'anthropologie de l'université d'Aix-Marseille
Florence Bergeaud-Blackler, sociologue à l'unité d'anthropologie de l'université d'Aix-Marseille

SaphirNews.com : En quoi la consommation de la viande halal est elle un nouvel objet d’étude ?

Florence Bergeaud-Blackler : Il me semble que nous avons été les premiers en France à employer le terme de « consommateurs » pour parler des personnes qui achètent et mangent halal. On pourrait définir le consommateur comme celui qui se procure et utilise des biens ou des services qu’il ne produit pas lui-même. La consommation englobe la décision d’achat et donc les motivations qui y conduisent. En employant les mots consommation et consommateurs, nous remettons en question le lien univoque entre appartenance religieuse et halal. Les décisions qui amènent à consommer des produits halal, et parmi eux tel ou tel produit sont socialement complexes, elles dépendent d’une grande variété de facteurs qui sont loin de se réduire à une appartenance religieuse. La terminologie utilisée entraine l’adoption d’un angle d’approche différent, et vice versa. C’est en cela un nouvel objet d’étude. L’alimentation des populations musulmanes de France n’a jamais fait l’objet d’enquêtes très poussées.

En France, la convivialité alimentaire est très valorisée, et « manger comme tout le monde » a été considéré comme un signe d’intégration sociale. Les quelques démographes et politologues qui se sont penchés sur le phénomène halal, l’ont considéré comme indicateur d’insertion sociale. Quand on trouvait que les enfants issus de l’immigration mangeaient comme les autres, on en concluait qu’ils étaient en voie d’intégration sociale, on confondait valeurs culturelles et adhésion citoyenne. C’était bien sûr une fausse piste, mais cela a alimenté beaucoup de tensions autour des repas sans porc et de la viande halal dans les cantines d’école. Chez nos voisins européens, les conduites alimentaires spécifiques ne sont pas perçues comme une menace, en France c’est hélas souvent le cas, demandez aux végétariens ce qu’ils en pensent !

Votre travail souligne que la consommation halal repose essentiellement sur une motivation religieuse. On peut cependant observer des consommateurs non musulmans préférer cette viande. Qu’est ce qui peut les motiver ?

Florence Bergeaud-Blackler : Oui en effet, elle repose sur une motivation religieuse. C’est l’argument phare, celui qui est exposé, celui que l’enquêté souhaite mettre en avant devant son interlocuteur. Manger halal est un acte fortement valorisé chez les jeunes, beaucoup plus qu’il y a vingt ans. Mais c’est pareil qu’ « être musulman », avant on ne mettait pas cela en avant, aujourd’hui il devient le premier identifiant, celui que l’on classe avant toutes ses autres appartenances. Une étude réalisée en 2000 dans des écoles de Marseille et de Lille a très bien montré cela : chez les jeunes d’origine maghrébine on se dit musulman avant de se dire garçon/fille, français ou marseillais... Il y a bien sûr un héritage familial de la religion, mais il y a aussi un contexte politique et international favorable qui ajoute au fait d’être musulman quelque chose comme un sentiment de puissance. On trouve des jeunes non musulmans des cités qui empruntent à leurs congénères musulmans des expressions religieuses, même s’ils n’ont guère d’idée de ce à quoi cela correspond. Depuis Ben Laden, et même si on le déteste, être musulman pour un non musulman c’est s’incarner en contestataire. Ca fait de l’effet.

On observe en effet que des consommateurs non musulmans s’approvisionnent en viande halal. Mais je ne suis pas sûre que l’on puisse dire qu’ils « préfèrent » cette viande à une autre. Certes on n’a pas étudié les motivations de cette consommation chez les non musulmans, mais ce qui me fait dire qu’il ne s’agit peut-être pas d’une préférence, ce sont les situations d’achat qui n’offrent pas toujours le choix. Je m’explique : les boucheries halal se concentrent logiquement autour des quartiers à forte proportion de population musulmane et donc souvent dans les cités des grandes banlieues où les petits commerces ont fermé. Les seuls commerces de proximité dans ces espaces sont souvent tenus par des étrangers et parmi eux une majorité de musulmans, on y trouve logiquement uniquement de la viande halal. Pour parler de préférence il faudrait que le consommateur ait le choix ente halal et non halal, toutes choses égales par ailleurs, ce qui n’est pas le cas.

Différentes interprétations religieuses existent dans l’appréciation du caractère halal d’une viande. Sont elles déterminantes dans l’organisation de l’offre et la demande de ce nouveau marché ?

Florence Bergeaud-Blackler : Aujourd’hui elles ne s’organisent pas par rapport aux différentes interprétations religieuses, mais plutôt en fonction de critères économiques. Les consommateurs ont le sentiment qu’il y a d’une part du vrai halal garanti par tel boucher, telle mosquée, ou par tel certificateur, et de l’autre du faux halal. Ils recherchent le « vrai » halal et ne se posent pas la question de la méthode, ce qui importe est la confiance dans celui qui garantit et sur lequel est reporté la responsabilité d’une éventuelle faute. C’est une question en revanche que se posent les juifs qui font la différence entre la méthode qui produit de la viande simplement « casher », et celle qui produit de la viande « glatt » casher. Puisque les consommateurs musulmans ne se posent pas la question de la méthode, les producteurs et les distributeurs ne communiquent pas là-dessus. Et donc la méthode n’a pas de rôle dans l’organisation du marché halal.

Quelles sont les perspectives pour les acteurs du halal souhaitant promouvoir une crédibilité de leurs produits dans un contexte français particulièrement frileux au marketing ethnique ?

Florence Bergeaud-Blackler : Je ne suis pas sûre de partager votre point de vue sur une frilosité française par rapport au marketing ethnique. Au contraire la grande distribution commence à se passionner pour ce créneau. Les Français sont à la recherche d’« exotisme culinaire » comme l’indique un récent ouvrage sociologique sur le sujet. Certes nous ne sommes pas en Angleterre dont l’art culinaire en déconfiture a été sauvé par l’Empire colonial et où les produits du continent indiens sont entrés dans la cuisine quotidienne. La France a une tradition culinaire française forte, variée, qui dicte les goûts, les lois d’association culinaire. Celles-ci interdisent que l’on mélange sucré et salé par exemple et limite l’apport de l’aigre si prisé chez nos voisins de l’Est (sauf dans la choucroute alsacienne), mais tout cela est entrain de changer grâce aux populations immigrées et à leurs enfants qui amènent un peu de diversité venant du monde entier, mais aussi du fait de la mondialisation des échanges alimentaires. La diversification des goûts s’opèrent par l’offre qui s’est considérablement enrichie et de façon très tangible pour le consommateur français dans les années 90 avec le Marché unique européen.

Pour moi le commerce halal est tout sauf un commerce de produits ethniques ! Le halal est un traitement religieux de produits absolument identiques aux autres. Le linéaire halal a été inventé justement pour que l’on puisse distinguer un produit halal de sa version non halal, identiques par ailleurs. D’ailleurs si vous regardez ce qui est vendu sous appellation halal, c’est plutôt des produits français(petits salés aux lentilles, saucissons, choucroutes, cassoulet) ou de la World Food c’est à dires des pizzas, hamburgers et autre Chili Con carne. La World Food n’est pas plus ethnique que la World music n’est traditionnelle.

Le marché du halal est il un marché d’avenir ?

Florence Bergeaud-Blackler : En terme économique c’est un des marchés les plus prometteurs du monde. Il se développe à grande allure sur tous les continents. Il promet aussi de « sacré » batailles religieuses, idéologiques, politiques. Il a été inventé par les pays occidentaux non musulmans, mais déjà les pays musulmans commencent à ériger des barrières techniques pour que les produits halal des pays occidentaux cessent de les inonder. Ils durcissent leurs normes religieuses. Cela déplait à l’OMC dont l’idéologie est la totale et libre circulation des échanges et qui se bat contre toutes formes d’obstacle aux échanges économiques.

En France, la grande distribution a fait son apparition publique cette année lors de l’Aïd el-Kébir. Celle-ci n’a été qu’un prétexte, ce qu’elle vise c’est le marché des aliments halal, et pourquoi pas dans quelques années des produits halal non alimentaires. Ce marché a des potentialités économiques et peut-être aussi conflictuelles, qui semblent illimitées.





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